Le président Giuliani a déjà répondu à beaucoup des questions que je souhaitais lui poser, mais on peut essayer d'en approfondir d'autres, tout d'abord en prenant un peu des distances par rapport à l'accord spécifique entre l'Union Européenne et la Turquie - pour en revenir au problème migratoire d'un point de vue plus général.
Quelle est l'analyse de la Fondation Robert Schuman sur ce que beaucoup considèrent comme une crise migratoire ? Est-on vraiment face à une telle crise, qui aurait un début et une fin, ou sommes-nous plutôt face à un mouvement de longue durée - pour ne pas dire perpétuel, dans un environnement bien plus mondialisé que ce qu'il était auparavant ? On doit en effet tirer de l'analyse de cette question une politique en rapport avec le problème qui est posé.
S'il s'agit d'une crise migratoire provoquée par des conditions exceptionnelles liées à la situation de déstabilisation dans certains pays du Moyen-Orient, on peut décider de mesures transitoires, à caractère exceptionnel et limitées dans la durée, mais ce que nous cherchons à savoir, c'est si l'Union européenne n'est pas à la recherche d'un modèle d'accord qui pourrait se transposer à d'autres pays, avec d'autres problématiques qui consisteraient à essayer de faire traiter la question des migrations à destination de l'Europe par les pays voisins. On a là un premier essai avec la Turquie.
Une réflexion est en cours avec la Libye, qui se heurte à d'autres types de problème, notamment celui d'avoir un État qui n'est pas encore réellement constitué. On voit bien, dans les nouveaux mouvements migratoires, que la route de la Méditerranée, au départ de l'Égypte, s'ouvre à nouveau. Ne faudra-t-il pas, demain, avoir ce type d'accord avec l'Égypte, ce qui posera à chaque fois la question des contreparties et de savoir dans quel type de rapport de force on est amené à négocier, sous la contrainte d'un effet migratoire que l'Europe ne souhaite pas affronter ?
Par ailleurs, le droit d'asile est-il remis en cause en Europe ? À partir du moment où on traite du problème avec des pays que l'on peut qualifier de peu sûrs, je pense que le droit d'asile subit, en Europe, une perversion assez importante.
Ceux qui défendent cet accord - et c'était le cas de la conseillère de l'ambassadeur de Turquie que nous avons auditionnée avant vous - mettent en avant le fait que c'est un moyen d'augmenter les voies légales d'accès à l'asile et à la migration vers l'Europe, notamment à travers l'application du principe « un pour un », qu'on ne voit pour le moment pas se concrétiser. Quelle a été l'évolution des voies légales d'accès à l'asile et à la migration en Europe depuis une vingtaine d'années ? Peut-on affirmer, comme on l'entend parfois, que l'Europe s'est refermée ?
Enfin, qu'elle analyse faites-vous de la montée du populisme en Europe face à la crise des réfugiés, qui peut justifier que les vingt-huit États de l'Union européenne aient beaucoup de difficultés à se mettre d'accord sur une politique migratoire commune ? Peut-on parler d'un rejet des opinions publiques vis-à-vis du phénomène migratoire ?
J'ajoute que la question a été posée par la conseillère de l'ambassade de Turquie, qui a précisé qu'il n'existait pas en Turquie de problématique politique quant à l'accueil des réfugiés, à l'inverse de ce qui se passe en Europe.