Intervention de Bruno Dalles

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 14 mars 2016 à 16h00
Audition de M. Bruno dallEs directeur de tracfin

Bruno Dalles, directeur de TRACFIN :

Merci de votre invitation. L'intitulé de votre mission d'information est si large que j'ai d'abord craint de vous décevoir ; TRACFIN ne s'intéressant qu'aux mouvements financiers - et seulement dans les cas pathologiques - l'organisation et le financement de l'Islam en France sont des sujets qui dépassent mes attributions. De plus, nous ne faisons pas de recherche de renseignement, et notre travail porte uniquement sur les données qui nous sont signalées par des déclarations de soupçon, comme vous l'avez indiqué. Nous n'exploitons pas de bases de données ni ne procédons à des études statistiques. Enfin, 85 % des quelque 40 000 déclarations de soupçon qui nous parviennent chaque année concernent le secteur financier.

Certaines, toutefois, portent sur l'activité d'associations humanitaires, d'aide aux personnes incarcérées, ou encore de gestion et de rénovation de lieux de cultes. En pareil cas, c'est que ces associations ont éveillé les soupçons d'une institution assujettie. Il est vrai que la médiatisation de certaines affaires incite les établissements financiers à vérifier si l'association évoquée figure dans leurs bases de données et, si c'est le cas, à nous adresser une déclaration. Cela dit, TRACFIN s'était déjà intéressé à l'association BarakaCity avant que le doublement de son volume d'activité et du nombre de ses salariés ne défraie la chronique.

Dans ces associations, nous trouvons plus souvent des irrégularités comptables banales que des anomalies susceptibles de constituer l'infraction de financement du terrorisme. D'ailleurs, d'autres associations, notamment sportives, ne sont pas toutes des modèles de transparence. En fait, le statut associatif est en lui-même porteur de risques d'opacité.

Pour une association donnée, nous identifions les comptes bancaires situés sur le territoire national, recensons les ressources et vérifions que les dépenses effectuées correspondent bien à l'objet de l'association. Souvent, les opérations financières sont tout à fait licites. La complexité de certains modes de financement ne signifie pas nécessairement que les dépenses concernées ne sont pas conformes à l'objet de l'association. Même, certaines associations sont contraintes de changer d'établissement financier au rythme des déclarations de soupçon, au point d'en être parfois rendues à demander à la Banque de France de bénéficier du droit au compte ! Si elles en viennent à devoir ouvrir un compte à l'étranger, cela complique notre travail... Il arrive que les virements soient effectués depuis un compte PayPal, ce qui rend difficile de retracer l'origine des fonds, malgré les bonnes relations que nous avons avec le Luxembourg, où est situé le siège de PayPal. Et, si nous accédons aux justificatifs des dépenses, nous ne pouvons nous assurer qu'ils correspondent à la réalité. Nous dépendons pour ce type de vérification des autres services de renseignement.

Nous épluchons les comptes d'une pléiade d'associations, suite à une déclaration de soupçon ou à la demande d'un service de renseignement. Nous travaillons ainsi sur une association qui aide les détenus et leurs familles - qui mériterait d'être mieux surveillée, car cet objet peut recouvrir du prosélytisme. Elle verse de l'argent à des familles de détenus ou même à des détenus. Or ceux-ci appartiennent à la mouvance islamiste radicale. On imagine l'effet au sein des établissements pénitentiaires... Il est utile de connaître les donateurs de ce type d'association, car nous savons que le parcours-type de l'apprenti-terroriste commence par le soutien logistique. Ensuite, nous passons le relais aux services de renseignement.

Les associations participant à la mise en place de lieux de prières que nous avons examinées ont souvent une faible surface financière, et il est rare que leurs fonds proviennent de l'étranger. Certes, les médias se font l'écho d'opérations publiquement financées par certains pays ou donateurs étrangers. Dans nos dossiers, le chèque moyen est typiquement d'une centaine d'euros, et plus de la moitié des dons n'atteignent pas cinquante euros. Les infractions que nous décelons sont, de ce point de vue, décevantes. Des retraits d'argent liquide, par exemple, n'ont souvent d'autre objet que de financer une partie des travaux au noir ou, au pis, de contribuer aux dépenses personnelles de certains membres. Bien sûr, si l'association appartient à la mouvance salafiste, nous entrons dans une logique d'entrave et ce type d'information est transmis à la justice, qui ouvre une enquête judiciaire pour abus de confiance ou blanchiment afin d'accrocher le plus tôt possible ce type d'acteurs. Mais nous sommes loin de l'infraction de financement du terrorisme !

Dans l'un de nos dossiers, sur un budget de 2 millions d'euros, 1,3 million d'euros viennent d'une personne privée, originaire du Qatar. La transparence est faible, mais ce n'est pas interdit. Nous nous bornons à vérifier que la personne en question ne figure sur aucune liste des Nations Unies ou des services de renseignement. Établir ainsi l'environnement financier est utile, dès lors que nous partageons ces informations avec les autres services de renseignement et que ce travail mène parfois à des décisions administratives, comme récemment à Lagny-sur-Marne - où le responsable avait tout de même eu le temps de partir en Égypte...

Certains modes de financement accroissent l'opacité et sont dénoncés par TRACFIN depuis quelque temps. Les comptes Nickel, par exemple, ont déjà 230 000 utilisateurs. M. Sapin a souhaité qu'ils soient enregistrés dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) ; ils le sont depuis le 1er janvier, mais ils ont soulevé des difficultés en 2014 et en 2015. De même, le financement participatif, ou crowdfunding, est très opaque. On peut quasiment financer ainsi son djihad ! La finance islamique en fait un grand usage, pour des transactions répondant à ses critères : absence d'intérêts, prêts étudiants, aide communautaire... Depuis une ordonnance de 2014, les établissements de paiement concernés sont assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment, mais ils n'émettent pas spontanément de déclarations de soupçon. Aussi allons-nous à leur rencontre pour les sensibiliser à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Enfin, la réduction des montants de paiement en liquide autorisés est bienvenue, comme la traçabilité des cartes prépayées, qui sera débattue prochainement au Sénat. Il convient aussi de renforcer les possibilités de mettre une personne physique ou morale sous surveillance. Bien sûr, ces dispositifs doivent faire l'objet d'une coordination européenne et internationale. Il y a encore beaucoup à faire : en Europe, les entraves restent nombreuses ; quant à la Turquie, notre coopération avec elle est quasi-nulle.

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