Intervention de Larabi Becheri

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 27 avril 2016 à 16h35
Audition de M. Larabi Becheri directeur-adjoint de l'institut européen des sciences humaines de château-chinon

Larabi Becheri, directeur-adjoint de l'Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon :

Merci pour votre invitation.

La formation des imams est un grand enjeu pour l'islam de France. Dans la tradition musulmane, cette responsabilité incombe à l'État. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les pays musulmans. La France étant un État laïc, les musulmans doivent supporter cette lourde et complexe tâche. La communauté musulmane a du mal à s'organiser alors que cette formation demande une grande rigueur. Depuis une trentaine d'années, nous sommes conscients de l'importance de ce sujet. En raison des évènements tragiques qui ont touché notre pays, cette prise de conscience s'est généralisée.

En 1984, la réflexion a été engagée sur la création d'un institut. En 1989, la propriété a été achetée à Saint-Léger-de-Fougeret, dans la Nièvre, près de Château-Chinon. Le 7 juin 1990 est né l'IESH, premier centre de formation des imams en Europe. Le statut juridique est celui d'une association loi 1901. En juillet 1990, le conseil scientifique a été créé. En janvier 1992, la première promotion entamait ses études.

Pourquoi un institut européen ? Parce qu'il souhaite accueillir des étudiants de toute l'Europe. Pourquoi un institut des sciences humaines ? Il s'agissait d'élargir la formation à la philosophie, la psychologie, l'histoire, les langues. Pour l'instant, nous avons un département du Coran où les étudiants apprennent le Coran par coeur, ce qui est indispensable pour diriger les prières dans les mosquées. Il existe également un IUFR avec un département de langue arabe et un département de théologie. Une formation complète dans notre Institut dure sept années. L'imam qui a appris le Coran dirige le culte, mais il ne peut intervenir en matière théologique.

Notre programme de théologie est dispensé sur trois ans et il repose à la fois sur la théologie classique et sur les sciences qui permettent aux étudiants de prendre connaissance du contexte dans lequel ils vont évoluer : le programme théologique est proche de celui des grandes universités du monde musulman, qu'il s'agisse de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc ou même de la Turquie. Ainsi sont acquises les bases de la théologie, c'est ce qu'on appelle le Oussoul, fondement de la compréhension du texte. Les Fatwa permettent de répondre aux cas pratiques, en prenant en compte le contexte de la personne qui pose la question.

Dans ce même programme, diverses disciplines sont dispensées comme le droit, la sociologie, la psychologie, la philosophie et l'histoire afin que les étudiants contextualisent leurs connaissances théologiques.

Nous avons choisi une voie médiane entre une lecture littéraliste, rigoriste, qui voudrait que l'islam soit pratiqué de la même façon dans le monde entier, et une lecture du Coran moins orientée vers le juridique, afin de ne pas tenir compte du droit dans la tradition prophétique. Nous prenons donc en considération le texte, tout en le contextualisant. Quand Dieu impose une norme, il donne également le déterminant de cette norme, qui en permet l'application. La pratique doit donc tenir compte des modalités d'application de la norme. L'Ijtihad - effort intellectuel - permet ainsi l'interprétation du texte. La théologie musulmane prévoit elle-même une contextualisation : il s'agit donc là d'une capacité intrinsèque à s'adapter. Dans le monde musulman, c'est cette lecture qui est privilégiée car, dans la mondialisation actuelle, il est impossible de suivre l'islam comme au temps du prophète. En plus de la modernité qui touche le monde entier, nous devons tenir compte du contexte laïc français.

Je vais maintenant vous présenter le bilan de l'IESH : en vingt ans, 500 étudiants et étudiantes ont terminé leurs études en théologie, qu'il s'agisse des internes ou des étudiants à distance qui suivent les cours virtuels par Internet. Il faut y ajouter 180 étudiants qui n'ont étudié que le Coran. En tout, nous avons donc formé environ 700 étudiants qui peuvent être imams, aumôniers, enseignants, présidents d'associations ou même directeurs d'instituts : quatre ou cinq étudiants ont ainsi créé un institut pour apprendre la religion aux enfants musulmans. 90 % des instituts qui dispensent une formation religieuse ont recours à nos étudiants. La réussite de notre enseignement est donc évidente, et permet de prévenir le radicalisme et l'extrémisme. Des instituts se sont créés en Grande-Bretagne, à Paris, en Grande-Bretagne à nouveau, puis à Frankfort et un institut devrait bientôt voir le jour en Finlande. Même si ces instituts sont administrativement et financièrement indépendants, une fédération des instituts a été créée avec un conseil scientifique commun.

Nous sommes ouverts à tout dialogue et tout échange pour mener à bien la formation des imams. En quête de savoirs, d'améliorations et de conseils, nous avons reçu beaucoup de grands professeurs reconnus, comme Mohammed Arkoun, Gilles Kepel, François Burgat, ou encore le père Michel Lelong. Le 28 mai prochain, notre Institut organisera une journée porte ouverte.

Nous allons améliorer notre capacité d'accueil qui est aujourd'hui limitée à 240 étudiants. À court terme, nous devrions passer à 350 étudiants et à long terme à 550 étudiants.

Nous souhaitons que l'État nous aide : jusqu'à présent, nos étudiants n'ont pas de statut reconnu, ce qui les pénalise. Ils ne peuvent toucher les minima sociaux, étant considérés comme étudiants, mais ils n'ont aucun des droits des étudiants. Nos imams n'ont pas non plus de statut : certains étudiants renoncent à devenir imams à cause de ce flou juridique. Vous devez savoir que ce problème se pose dans de nombreuses mosquées.

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