La Turquie est le premier pays d'accueil - après la Syrie elle-même, bien sûr - des déplacés du conflit syrien, et le premier pays de transit vers l'Union européenne. Elle héberge environ 3 millions de réfugiés, dont 2,7 millions de Syriens. En 2015, Frontex a détecté 885 000 passages irréguliers de la Turquie vers la Grèce, soit dix-sept fois plus qu'en 2014, alors que le flux migratoire entre la Libye et l'Italie est resté à peu près stable. La France souhaite assurer de bonnes conditions d'accueil aux personnes ayant besoin de protection et faire diminuer les flux irréguliers, à la fois pour préserver les capacités d'accueil et pour protéger les migrants des réseaux criminels de passeurs. Pour atteindre ces objectifs, la coopération avec les pays de transit est sans doute l'un des outils les plus efficaces à court terme, surtout lorsque ceux-ci disposent de capacités d'action réelles. C'est pourquoi la coopération avec la Turquie est une priorité.
Les relations de l'Union européenne et de ses membres avec la Turquie étaient déjà particulièrement intenses avant cette crise migratoire : entre les instruments de pré-adhésion, de voisinage ou de paix et de stabilité, une enveloppe de 4 milliards d'euros était déjà prévue. Les accords conclus depuis ne sont pas des instruments conventionnels, en effet, mais des accords politiques. Depuis octobre 2015, trois réunions au sommet ont eu lieu, et la déclaration commune du 29 novembre 2015 a marqué un premier accord. Les discussions ont porté sur cinq volets. Les deux premiers - le processus d'adhésion et le renforcement du dialogue à haut niveau structuré entre l'Union et la Turquie - ne sont pas de mon ressort. Deux autres concernent plus directement ma direction générale : la libéralisation des visas et la mise en oeuvre des accords de réadmission, d'une part, et la lutte contre l'immigration irrégulière et la mise en place de voies légales d'accès à l'Union européenne, d'autre part. Quant au cinquième volet - le soutien financier de l'Union européenne et de ses États-membres à l'accueil des réfugiés en Turquie - il ne représente pas une aide à la Turquie elle-même mais à l'accueil des réfugiés en Turquie ; en novembre 2015, une facilité de 3 milliards d'euros a été mise en place à cet effet, et il a été prévu le 18 mars dernier que ce montant pourrait être dépassé, sans que le montant final soit précisé. Pour l'heure, 1 milliard d'euros est prélevé sur le budget de l'Union, et 2 milliards d'euros doivent être versés par les États-membres.
L'accord du 18 mars 2016 prévoit de rendre opérationnels les accords de réadmission. La Turquie et la Grèce ont signé il y a une quinzaine d'années un accord bilatéral de réadmission portant aussi sur les ressortissants de pays tiers, mais sa mise en oeuvre a rencontré des difficultés. Un accord de réadmission existe également entre la Turquie et l'Union européenne. Il est entré en vigueur en octobre 2014, mais la clause concernant les ressortissants de pays tiers ne doit entrer en vigueur qu'en octobre 2016 ; il est envisagé d'anticiper cette date. L'accord du 18 mars 2016 rappelle certaines garanties, notamment sur les modalités opérationnelles de la réadmission.
Il approfondit également les contreparties. Le processus de libéralisation des visas sera accéléré, sans que cela dispense la Turquie de se conformer aux 72 critères prévus dans la feuille de route initiale. Alors que le troisième rapport sur leur respect devait initialement être rendu par la Commission européenne à l'automne 2016, il a été présenté la semaine dernière. Et l'échéance de la libéralisation des visas a été fixée à la fin juin de cette année.
Le programme dit « un pour un » prévoit que pour chaque Syrien réadmis, un autre serait accueilli à titre définitif dans un État-membre de l'Union. Cela établira une voie légale d'accès à l'Union européenne, fondée sur la vulnérabilité des personnes et non leur propension à tenter un passage irrégulier. Les engagements pris par chaque État-membre au titre de la réadmission sont déductibles de ceux pris au titre de la relocalisation.
L'accord est assorti d'un mécanisme de suivi qui a déjà donné lieu à un rapport de la Commission européenne publié le 4 mai 2016. Les flux irréguliers entre la Turquie et la Grèce, qui concernaient jusqu'à 10 000 personnes par jour à l'automne, puis 2 000 pendant l'hiver, ont considérablement diminué pour s'établir à quelques dizaines de personnes par jour aujourd'hui. Entre 600 et 700 personnes ont été réadmises en Turquie depuis la Grèce depuis le 18 mars dernier. Des échanges d'agents de liaison sont en cours entre la Grèce, la Turquie, Frontex et Europol. Une plateforme d'échange d'informations est mise en place.
Plusieurs dizaines de projets ont été approuvés par le comité de pilotage du fonds fiduciaire et 187 millions d'euros ont déjà été engagés, notamment dans des projets d'aide alimentaire, d'accompagnement social, de scolarisation ou de construction de centres communautaires.
La Commission européenne a publié en même temps que ce rapport une proposition législative tendant à l'exemption de visas pour les ressortissants turcs. Le troisième rapport de la Commission montre toutefois que plusieurs critères ne sont pas respectés, malgré des efforts importants faits par les autorités turques. La France considère que le respect effectif de tous les critères est un préalable incontournable à une exemption de visas et demande donc un quatrième rapport de progrès. Elle estime aussi que des modalités de suspension éventuelle de la libéralisation des visas doivent être définies.
D'après la Commission, 135 personnes ont été réinstallées depuis la Turquie vers les pays de l'Union européenne. La France a donné son accord à 81 dossiers dès le 1er avril, et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a depuis examiné sur place 227 dossiers. Mais comme il s'agit d'un processus volontaire, les personnes concernées arrivent quand elles le souhaitent, ce qui rend plus difficile leur comptabilisation.
Le bon fonctionnement de cet accord nécessite des efforts importants de la Grèce, avec un fort soutien de l'Union européenne. Pour faire réadmettre en Turquie des demandeurs d'asile, il faut en effet que la demande d'asile ait été examinée et qu'un recours suspensif ait pu être déposé. Il a donc fallu modifier la législation grecque, ce qui a été fait le 3 avril dernier, et la Turquie a dû apporter des garanties sur la protection dont bénéficieraient les personnes réadmises. En pratique, il faut que la Grèce dispose de moyens suffisants pour appliquer l'accord. C'est pourquoi les agences ont lancé des appels à la mise à disposition d'experts : 1 500 pour Frontex, surtout pour des escortes, et plusieurs centaines pour le Bureau européen d'appui en matière d'asile (European Asylum Support Office, EASO). Certes, le système d'asile grec, déficient depuis longtemps, n'allait pas devenir performant du jour au lendemain. Trois mille demandes d'asiles ont été enregistrées et plusieurs centaines de décisions rendues, dont la moitié environ est défavorable. Les recours, toutefois, n'ont pas encore été jugés.
La France s'est pleinement mobilisée pour la mise en oeuvre de cet accord. Le Président de la République a pris le 18 mars 2016 un engagement, avec la Chancelière allemande, consigné dans une lettre cosignée par MM. Cazeneuve et de Maizière, les deux ministres de l'intérieur. Il s'agissait pour chaque pays de mettre à disposition 200 experts pour effectuer les escortes. La France s'est exécutée fin mars en déployant en 48 heures dans les îles grecques 122 escorteurs français - le premier contingent, et de loin. Les cent experts promis à EASO seront des officiers de l'Ofpra, des interprètes, des personnes susceptibles d'enregistrer des demandes d'asile ainsi que des spécialistes qui aideront à bâtir un système juridictionnel d'appel.
Les officiers de protection de l'Ofpra ont accéléré les opérations de relocalisation. Déjà, 900 personnes ont été relocalisées vers d'autres États-membres, dont 40 % en France. Si l'on ajoute à ces 360 personnes arrivées en France un nombre équivalent dont les dossiers ont été acceptés, notre pays est nettement le plus engagé. Sur les 50 000 personnes arrivées en Grèce avant le 20 mars 2016, la moitié environ est éligible à une relocalisation.
Le groupe opérationnel a organisé la montée en puissance de la contribution française à l'application de l'accord. La France soutient aussi le service de soutien à la réforme structurelle en Grèce, qui coordonne ces opérations. Envers la Grèce comme envers la Turquie, la France se mobilise pour tenir ses engagements.