Intervention de Christophe Léonzi

Mission d'information Accord UE-Turquie sur la crise des réfugiés — Réunion du 11 mai 2016 à 15h00
Audition de M. Christophe Léonzi directeur-adjoint de l'union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international

Christophe Léonzi, directeur-adjoint de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international :

En ce qui concerne le contexte de cet accord, la situation syrienne est l'une des causes de cette crise qui s'est développée en 2015-2016 et s'est traduite par un flux de 850 000 personnes en 2015 à travers la Turquie et la Grèce, et encore 135 000 de janvier à mars 2016, avec des pics de 10 000 entrées par jour à l'automne.

L'impact a été considérable dans les trois principales destinations : Allemagne, Suède et Autriche. La Suède a accueilli 130 000 réfugiés, soit le total le plus élevé par habitant. Ses capacités d'accueil sont saturées.

La fermeture progressive de la route des Balkans à l'initiative de l'Autriche et de la Hongrie a placé la Grèce dans une situation explosive : en quelques semaines, le pays a dû faire face à la venue de 50 000 migrants, flux difficile à gérer pour un pays dont les capacités administratives sont déjà limitées par la crise.

Quatrième élément, les conditions déplorables dans lesquelles ces mouvements de population se déroulent. L'estimation est incertaine, mais en 2015, 500 à 800 personnes se seraient noyées dans la mer Égée ; 150 à 200 début 2016. Une économie criminelle de trafic d'êtres humains s'est développée, avec un chiffre d'affaires évalué à 3 milliards d'euros pour 2015.

Enfin, le risque sécuritaire lié au terrorisme est réel, puisque certains des auteurs des attentats de 2015 et 2016 ont emprunté cette voie.

Un plan d'action a été conclu avec la Turquie le 29 novembre, prévoyant un effort accru en matière de contrôle des frontières, une lutte renforcée contre les trafics migratoires et le soutien budgétaire de l'Union européenne. Ensuite, le sommet Union européenne-Turquie du 7 mars a eu plusieurs résultats importants : la déclaration du 18 mars prévoyant la réadmission en Turquie de tous les migrants irréguliers, commencée le 4 avril selon le principe du « un pour un » : un Syrien réinstallé de Turquie dans l'Union européenne pour un Syrien renvoyé de Grèce en Turquie, afin de dissuader les réseaux criminels et de substituer des flux migratoires légaux aux flux migratoires illégaux ; une accélération du déboursement des 3 milliards d'euros d'aide européenne prévus le 29 novembre ; une accélération des négociations d'adhésion, notamment sur le chapitre 33 ; et une libéralisation des visas avant la fin juin, sur la base du respect des 72 critères. Enfin, la déclaration souligne la nécessité d'une amélioration des conditions humanitaires en Syrie.

S'agissant des priorités qui ont été les nôtres dans cette négociation, le premier objectif était de sauver des vies en substituant les voies légales au trafic d'êtres humains ; ensuite, une coopération efficace avec Ankara reposant sur une lutte accrue de la Turquie contre les trafics et une coopération policière dans le respect du droit international et européen, côté grec comme côté turc ; enfin, un engagement de la Turquie sur la protection des réfugiés syriens et non-syriens. Par l'accord du 18 mars, les autorités turques s'engagent au respect du droit d'asile européen. S'agissant du programme « un pour un », nous avons demandé que la réinstallation des migrants s'effectue dans le cadre des engagements existants pris par chaque État membre en matière de relocalisation- soit 30 000 personnes pour la France, à raison de 400 par mois à terme.

Concernant la libéralisation des visas, nous avons demandé le plein respect des procédures de l'Union européenne (les 72 critères) ; concernant les négociations d'adhésion et l'ouverture du chapitre 33, qui définit la contribution financière du futur Etat membre consacrée aux questions budgétaires et ne prend vraiment son sens qu'à la fin de la négociation, nous souhaitions une progression sur la seule base du mérite et des réformes concrètes. Les financements visés sont destinés aux réfugiés syriens ou non syriens et portent sur la santé, l'éducation, l'alimentaire, sur la base de besoins concrets. La définition des projets doit s'effectuer dans un dialogue direct entre la Commission européenne et l'ONG, sans intervention des autorités turques. Nous avons enfin insisté sur nos attentes en matière de respect des droits de l'homme et de liberté d'expression.

Vis-à-vis de la Grèce, qui se trouve dans une situation très difficile, l'Union européenne doit marquer sa solidarité. Nous le faisons au niveau français : 362 personnes ont d'ores et déjà été relocalisées et nous allons poursuivre sur un rythme de 400 par mois. De même, nous prêtons notre concours aux Grecs à travers la mise à disposition de deux cents agents français (juges, interprètes, spécialistes du droit d'asile, etc.) destinés au renforcement des équipes dans les hotspots et à la conduite des opérations de criblage. Depuis l'accord, la situation s'est détendue en Grèce. Nous avons aussi contribué au programme d'aide Euro Echo de 700 millions d'euros sur trois ans, auxquels s'ajoutent 200 millions versés en 2015, mis sur pied dans un délai record de quelques semaines.

Nous y insistons depuis le début : l'accord Union européenne-Turquie doit s'inscrire dans une approche globale, ce qui implique que l'UE renforce le contrôle des frontières extérieures, notamment avec la création d'un corps de garde-frontières, mais aussi qu'elle soit attentive aux autres voies d'accès.

C'est ainsi que nous sommes montrés particulièrement attentifs au volet africain. L'engagement de l'Union européenne sur le dossier syrien est important.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'accord, je peux indiquer, sur la base du récent rapport de la Commission, que plus d'un mois après l'accord, nous sommes passés de 2 000 à 3 000 entrées par jour début 2016 à 50 à 60 en mai. Dans les trois semaines précédant l'accord, 26 800 entrées ont été enregistrées, et 5 800 dans les trois semaines suivantes, ce qui démontre l'effet dissuasif de ce dispositif.

La Turquie a également décidé d'accorder une protection temporaire renouvelable aux Syriens admis sur son territoire ainsi qu'un accès au marché légal du travail, une scolarisation pour les enfants et une protection internationale. A minima, les non Syriens - principalement Pakistanais et Afghans - ne seront pas refoulés du territoire turc, aux termes d'un engagement pris auprès de l'Union européenne.

L'Union européenne a renforcé sa délégation à Ankara pour surveiller la mise en oeuvre des accords. Un programme de visites des centres d'accueil des migrants a été établi.

Les financements européens sont conditionnés au respect des engagements de l'accord ; de plus, ils vont directement aux ONG, ce qui nous donne un aperçu des développements sur le terrain.

La Grèce a accéléré le traitement des demandes d'asile, réduisant le délai à deux semaines. Une centaine de demandes de recours sont en cours d'examen. Les hotspots sont en train d'être renforcés. Le pré-enregistrement accéléré de 21 000 réfugiés a été entamé avant l'enregistrement proprement dit, auquel nous participerons.

Pas moins de 22 000 réinstallations de la Turquie vers l'Union européenne sont prévues ; 16 000 offres n'ont pas encore été honorées à ce jour. En France, l'objectif est de 6 000 sur deux ans.

La Commission n'a pas constaté de report massif des flux de réfugiés de la mer Égée vers la Méditerranée centrale, même si cette dernière route connait à nouveau une hausse de fréquentation comparable à celle de l'année passée pour la même période. .

Enfin, dans le cadre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie, des contrats d'un montant de 77 millions d'euros ont été signés et les premiers paiements effectués fin mars ; une évaluation conjointe a été présentée au comité de pilotage le 12 mai. Une enveloppe de 165 millions a été débloquée. Six nouveaux projets en faveur des réfugiés seront financés par le fonds d'affectation spéciale de l'Union européenne pour l'aide d'urgence (dit fonds « Madad ») à hauteur de 76 millions d'euros.

En dépit des nombreuses difficultés quotidiennes, il y a du positif. Les flux illégaux ont été jugulés au profit des circuits légaux. Face à l'urgence, cet accord était la seule option viable.

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