Intervention de Hanen Rezgui Pizette

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 9 mars 2016 à 14h00
Audition de Mme Hanen Rezgui pizette présidente de l'association de sensibilisation d'information et de défense des consommateurs musulmans asidcom

Hanen Rezgui Pizette, présidente de l'association Asidcom :

Je vous remercie. Asidcom a été créée en 2006 par Hadj Abdelaziz Di Spigno au retour de son pèlerinage ; j'en ai pris la tête en 2012. En 2014, notre association a obtenu auprès du préfet du Nord l'agrément d'association de défense des consommateurs. Notre activité est néanmoins à vocation nationale et internationale : nous faisons partie d'un vaste réseau de consommateurs musulmans.

Fruit d'un travail d'investigation, mon livre, qui retrace l'histoire de l'abattage rituel en France après la deuxième guerre mondiale, met en lumière la responsabilité de l'État dans les problèmes du halal.

Le halal est à la fois une obligation et une liberté religieuse. Ses rites sont constitutifs du culte musulman dont l'État est garant. Il se définit à partir des textes sacrés - le Coran et la sunna - et ses pratiques se transmettent de génération en génération par voie orale. « Halal » signifie « licite » : c'est une obligation religieuse qui porte, en particulier, sur la source d'un bien - héritage, don ou cadeau. Ce bien est illicite s'il provient de l'intérêt, du vol ou de la corruption. Dans le Coran, le mot tayyib désigne, selon une interprétation, une nourriture halal achetée avec un bien licite.

La société industrielle a orienté la recherche sur le licite dans des voies insoupçonnées. Ainsi, voici quelques mois, une marque française spécialisée dans les légumes a reconnu que ses conserves contenaient de la viande en quantité inférieure à 1 % - limite au-dessus de laquelle la mention dans l'étiquetage est obligatoire. Ce type de pratiques pousse les consommateurs de bio, de halal ou les végétariens à se montrer plus attentifs à la traçabilité.

Le halal peut être décrit en termes de facultés. C'est d'abord une faculté sociale, celle de contribuer à la diversité culturelle, ethnique, philosophique, de la France. Vivre ensemble, c'est aussi manger ensemble ! C'est ensuite une faculté fédératrice des responsables musulmans : ainsi, le projet Tayibat a réuni, en 1983, toutes les associations musulmanes - à l'exception de la mosquée de Paris et des associations qui gravitaient autour d'elle - pour organiser le halal en France. Mais en 1985, malgré l'adhésion des industriels, du Bureau de la protection animale et de la Ligue islamique mondiale, le ministère de l'intérieur a mis fin à l'expérience, arguant d'un manque de représentativité.

En 1994, la Grande mosquée de Paris est agréée pour délivrer l'habilitation aux sacrificateurs, suivie en 1996 des mosquées de Lyon et d'Évry. En accordant des pouvoirs similaires et sans distinction à trois des 1 500 mosquées françaises, l'État a fait du halal un facteur de division. Les pouvoirs publics ont ensuite voulu instaurer une norme halal séculière : ainsi, le halal ne relevant plus de la pratique religieuse, les agréments ne seraient plus justifiés. Les acteurs musulmans du halal - y compris les trois mosquées - se sont alors unis pour se faire entendre : le projet de norme halal porté par le Comité européen de normalisation vient d'être interrompu après cinq ans de travaux. Enfin, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a joué son rôle en fédérant les acteurs musulmans autour de son projet de charte halal.

Le halal, c'est également une faculté économique, car il ouvre un marché aux efforts d'innovation des jeunes musulmans. Ceux-ci, comme beaucoup de jeunes, ont des difficultés à trouver du travail, et font face, en plus, à des discriminations à l'emploi. La filière de viande halal n'est pas encore bien établie à cause de politiques allant à l'encontre des besoins et exigences des consommateurs.

Sur le plan financier, la première faculté est le financement de l'organisation et la recherche de voies de développement économique. Le halal représente un potentiel de financement de la construction de mosquées et de la gestion des lieux de culte. Les associations préfèrent un financement par les fidèles français, à travers des dons réguliers ou occasionnels. Dans le cadre de cet autofinancement, les commerçants musulmans sont des donateurs de poids. Les musulmans ne s'opposeraient donc pas à une taxe sur le halal pour financer les lieux de culte, à la condition que l'autonomie de la structure chargée de sa gestion et la transparence dans la gestion des fonds soient respectées et garanties.

Le mécanisme de financement le plus adéquat serait un prélèvement au kilo lors de l'abattage, sur la base de l'arrêté du 28 décembre 2011 réglant les dérogations à l'obligation d'étourdissement, qui prévoit un système d'enregistrement des commandes. La mission commune d'information sur la filière viande préconisait, en 2013, la constitution « d'un outil statistique abattoir par abattoir permettant de connaître les tonnages abattus sans étourdissement et d'éviter les dérives ». Ce financement servirait non seulement à la construction de mosquées, mais aussi à l'enseignement de l'arabe et à l'éducation islamique pour protéger nos enfants des réseaux radicaux.

Pour exploiter ces facultés, il faut respecter l'autonomie des musulmans dans l'organisation du marché halal. Or l'État veut normaliser le halal, les pratiques de l'Aïd al-Adha, former les sacrificateurs au bien-être animal, maintenir les agréments pour l'habilitation des sacrificateurs, rapprocher l'abattage religieux des pratiques industrielles suivant les recommandations du code rural, fixer par des règles ministérielles les méthodes d'abattage compatibles, et autoriser les forces de l'ordre à apporter leur concours aux agents de la direction départementale de la protection de la population et même aux militants de la fondation Brigitte Bardot qui veulent intervenir dans les abattoirs. Ces derniers versent de l'eau de Javel sur les carcasses d'agneaux abattus, tentent de sauver les agneaux encore vivants. Enfin, l'État voudrait que les musulmans achètent l'agneau de l'Aïd en grande surface.

D'un autre côté, au prétexte que le halal est une pratique religieuse, l'État refuse de contrôler la traçabilité des produits vendus sur le marché français et de traquer les pratiques frauduleuses, ce que les responsables musulmans demandent depuis trente ans.

L'État recourt à cette astuce de scinder le halal entre un volet technique et un volet religieux. En 2008, notre association a organisé à Grenoble une formation des pères de famille au sacrifice portant sur les aspects réglementaires, sanitaires, de bien-être animal. Prévue dans une salle municipale, la formation, à laquelle 50 personnes s'étaient inscrites, a finalement été annulée sous la pression de certaines associations. L'histoire du halal montre que la mainmise de l'État a désorganisé les circuits de distribution. Entre 1970 et 1994, les sacrificateurs ont été soumis à une habilitation administrative, remplaçant les circuits communautaires par des circuits conventionnels et retirant tout contrôle aux musulmans dans leur formation.

Notre association s'intéresse également à la représentation du culte musulman en France, qui a un impact sur certains droits des consommateurs. Le CFCM est mobilisé depuis 2008 pour une organisation durable du marché halal, mais la tâche n'est pas facile. Le premier problème est le monopole d'habilitation des trois mosquées ; le deuxième, le régime totalitaire de la Grande mosquée de Paris dont le président est élu à vie et le conseil d'administration de l'association gérante assiste le président « à titre consultatif » ; le troisième, le fait que la Grande mosquée a été à la tête du CFCM durant sept ans, soit plus de la moitié de l'existence de l'instance ; enfin, la volonté de l'État d'imposer une norme séculière du halal orientée en fonction des pratiques industrielles.

Au niveau local, nous souffrons d'un manque de proximité de certains conseils régionaux du culte musulman, qui sont davantage connectés aux fédérations nationales. Or les consommateurs musulmans ont besoin d'un interlocuteur, en particulier au moment des fêtes. Par ailleurs, l'instance de dialogue a travaillé sur un guide de bonnes pratiques pour l'Aïd, or le ministère de l'intérieur estime qu'elle n'a pas vocation à prendre de décisions relatives au culte et les responsables musulmans désignés au sein de cette instance n'ont pas encore eu le courage d'exposer les besoins des familles. Ils ont plutôt recherché dans la jurisprudence musulmane des arguments pour calquer les pratiques des musulmans français sur le modèle juif.

L'islam en France serait-il dérogatoire ? Il a été transmis par la première génération d'immigrés, en fonction de leur propre perception du culte, et développé par les suivantes. Les familles souhaitent transmettre les rites à leurs enfants : la grande distribution n'est pas en mesure de répondre à ce type de besoin.

Les affaires musulmanes sont actuellement gérées en ordre dispersé, entre les principales mosquées, les instances agréées et divers représentants autoproclamés. Une partie de nos affaires sont déléguées à des institutions non musulmanes. L'État instrumentalise le halal et la formation des intervenants musulmans. C'est le symptôme d'un manque de confiance mutuel qui fait mentir la devise de notre République : liberté, égalité, fraternité.

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