Intervention de Christian Leyrit

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 22 février 2017 à 15h00
Audition de M. Christian Leyrit président de la commission nationale du débat public cndp

Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public :

Merci pour votre invitation, c'est un très grand honneur.

Comme vous l'avez rappelé, la CNDP est issue de la « loi Barnier » du 2 février 1995. En signant la convention d'Aarhus en 1998 avec une trentaine d'États, la France était tenue de respecter les engagements prévus et notamment de faire en sorte que « la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options sont encore possibles ». C'est à ce stade, bien en amont de l'enquête publique, qu'intervient la CNDP. La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a ensuite qualifié la CNDP d'autorité administrative indépendante (AAI). La directive européenne du 28 janvier 2003, puis la charte de l'environnement de 2004, qui a acquis une valeur constitutionnelle en 2005, ont conforté le principe de participation du public ; enfin, la « loi Grenelle » du 12 juillet 2010 a étendu les missions de la CNDP. Ce sont donc trois lois successives, prises avec des majorités différentes, qui ont créé et conforté la CNDP. Plus récemment, les ordonnances d'avril et août 2016 ont considérablement développé les missions de la CNDP.

Un sondage datant de 2014 démontre la forte attente des Français envers la participation : plus de 90 % souhaitent être consultés directement avant toute décision publique. C'est le point qui arrive très nettement en tête parmi six propositions pour améliorer le fonctionnement de la démocratie.

Cette demande de participation est d'autant plus forte que le modèle politique apparaît en crise. Les trois-quarts de nos compatriotes pensent que la décision est déjà prise lorsqu'un débat public est lancé. Les Français attendent aussi des garanties de neutralité : 89 % souhaitent que les débats publics soient organisés par une autorité indépendante du Gouvernement. Ainsi, y compris pour les collectivités territoriales, la structure qui organise les débats ne doit pas être partie prenante des décisions. S'agissant des experts, 64 % des citoyens pensent qu'ils sont liés aux pouvoirs politiques, 69 % qu'ils sont liés aux lobbies. Selon le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, 70 % des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, soit une augmentation de 22 points par rapport à 2009.

Il y a donc aujourd'hui un problème majeur de confiance et de légitimité des décisions publiques.

Les situations très conflictuelles enregistrées sur de nombreux projets d'aménagement et d'équipement - qui ne sont toutefois pas générales -, amènent aujourd'hui à s'interroger sur nos processus d'élaboration des projets, de consultation des citoyens et de décision.

D'un côté, certains affirment la légitimité de l'État de droit : dès lors que toutes les procédures en vigueur, y compris l'enquête publique, ont été menées, le projet doit être réalisé sans délai. De l'autre, des opposants expriment leur frustration, leur colère de ne pas être entendus par les porteurs de projet. Ces opposants considèrent que des décisions fondées en droit mais prises sans un fondement démocratique suffisant ne sont pas légitimes et doivent être combattues au nom de préoccupations de plus long terme (préservation de l'eau et de la biodiversité, changement climatique...).

Ces deux points de vue antagonistes sont renforcés par la longueur du processus de décision : dix ans, vingt ans s'écoulent entre la conception du projet et sa réalisation. Il arrive donc fréquemment que les besoins évoluent fortement pendant cette période, ce qui peut conduire, in fine, à des réalisations surdimensionnées ou inadaptées.

L'État de droit n'est donc pas suffisant pour légitimer les décisions publiques. À mon sens, la légitimité d'une décision dépend moins de son contenu intrinsèque que des conditions de son élaboration. C'est la transparence, la rigueur, l'impartialité et la loyauté du débat qui fondent cette légitimité.

Mais pour que les citoyens retrouvent la confiance, il faut que le débat ait lieu suffisamment tôt, en amont des décisions, lorsque les choix ne sont pas arrêtés et que d'autres alternatives sont encore possibles. Les citoyens doivent aussi disposer d'éléments pluralistes et d'expertises indépendantes du maître d'ouvrage, que nous développons beaucoup ces derniers temps.

Par ailleurs, dans une décision publique, il y a toujours des « gagnants » et des « perdants ». Le débat public ne conduit que rarement à des consensus, mais il doit permettre d'identifier les « perdants ». Il faut s'assurer que ces derniers reçoivent une compensation et que soient prises en compte des préoccupations de long terme. D'ailleurs, une commission d'enquête du Sénat travaille actuellement sur les compensations en matière de biodiversité.

Enfin, les citoyens doivent être entendus, la devise de la CNDP étant : « Vous donner la parole et la faire entendre ». Le sociologue Michel Callon expliquait à propos du débat public : « Ce qui s'y joue de plus profond, c'est la reconstruction du lien social à partir de l'existence reconnue des minorités ».

Dans notre pays, on a multiplié depuis 20 ans les comités « théodules », mais, en réalité, la consultation directe des citoyens reste peu développée par rapport à d'autres pays. Il faut simplifier les procédures et développer le dialogue direct avec les citoyens.

Beaucoup de responsables politiques et de chefs d'entreprises disent que les procédures de consultation font perdre du temps et retarder les projets. C'est tout le contraire. Combien de projets ont été retardés de 5 ans, 10 ans ou plus parce que l'on n'a pas voulu consacrer quelques mois au dialogue avec les citoyens ? Ce dialogue n'est pas une perte mais un gain de temps. Certains chefs d'entreprises l'ont bien compris - l'un d'entre eux ayant négligé cette dimension sur un grand projet qui est occupé aujourd'hui par des « zadistes » m'a demandé d'organiser un débat public sur des projets de moindre ampleur, qui sont habituellement hors du champ de compétence de la CNDP. D'ailleurs, sans cette dernière, des débats auraient pu difficilement être organisés et des blocages auraient probablement été constatés pour des projets qui se situaient dans la même région.

L'efficacité économique exige des projets qui se réalisent. Pour cela, il faut qu'ils soient plus légitimes. Pour qu'ils soient plus légitimes, il faut plus dialoguer avec les citoyens avant que la décision ne soit prise.

La CNDP développe la culture du débat public pour qu'il devienne naturel de concerter avant de décider. Nous avons fait évoluer les débats que nous organisons. Nous tenons moins de réunions publiques, dans lesquelles la moyenne d'âge est relativement importante et où le profil des participants est plutôt masculin, et de catégories socioprofessionnelles élevées. Nous développons beaucoup les ateliers participatifs, les échanges par petits groupes, les « débats mobiles » dans les gares, les universités, les trains, ou encore les quartiers populaires, comme pour le projet EuropaCity dans le Val-d'Oise.

Parallèlement, nous multiplions les modes d'expression de tous les publics, notamment à travers les réseaux sociaux et les civic techs qui permettent l'implication de la société civile : forums participatifs, outils cartographiques, « jeux sérieux », « outils de réalité augmentée »...

Dans le cadre du chantier sur la démocratisation du dialogue environnemental lancé après le drame à Sivens en octobre 2014, nous avons fait de nombreuses propositions, dont la plupart ont été retenues dans les ordonnances du 3 août 2016 : la création d'un droit d'initiative citoyenne permettant à 10 000 citoyens de demander l'organisation d'un débat public pour les plus grands projets, mais aussi pour les projets de réforme de politique publique, avec une saisine de 500 000 citoyens ou 60 parlementaires ; l'organisation de débats publics sur les plans et programmes nationaux et pas seulement sur les projets individuels ; la création d'un dispositif de conciliation pour réunir les acteurs, rechercher un compromis et traiter des sujets conflictuels ; la mise en place d'un continuum de la concertation tout au long du processus pour maintenir la confiance ; enfin, la création d'un vivier national de garants de la concertation. Sur ce dernier point, nous avons reçu 515 candidatures ; nous formerons les candidats désormais sélectionnés, tous les maîtres d'ouvrage et responsables de collectivités publiques pourront puiser dans ce vivier.

Une autre ordonnance parue en avril 2016 est relative à la consultation des électeurs sur un projet d'équipement. Ces consultations existent dans plusieurs États : Suisse, Finlande, Land de Baden-Württemberg, etc. La première consultation de ce type a eu lieu le 26 juin 2016 sur le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. La Commission nationale du débat public a été chargée d'élaborer le document d'information à l'attention des citoyens.

Plutôt que de multiplier les sondages, il me semblerait préférable de développer les conférences de citoyens. Il s'agit de réunir une vingtaine de personnes, formées de manière contradictoire, et qui délibèrent ensemble sur une thématique donnée. Très développé en Europe du Nord, ce processus a montré sa pertinence sur plusieurs sujets complexes comme le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bures, qui concerne l'enfouissement des déchets nucléaires, et l'ouverture des données personnelles de santé. Les résultats sont proprement spectaculaires. Dans l'exemple de Cigéo, projet d'une complexité absolument considérable, les responsables de l'autorité de sûreté nucléaire ont insisté sur la pertinence de cette délibération de dix-huit personnes profanes qui ont travaillé sur ce sujet pendant trois week-ends. Nous avons également organisé un débat citoyen sur l'énergie et le climat, en marge de la Cop 21, qui a réuni le même jour des milliers de participants, avec l'organisation de 97 débats dans 76 pays.

Pour conclure, les questions que nous nous posons sur la place du citoyen dans la décision publique se posent dans tous les pays. Nous recevons des organisations internationales comme la Banque mondiale et des délégations étrangères, y compris de Chine, de Russie. Nous intervenons aussi à l'étranger - récemment en Corée du Sud, à Taïwan, en République dominicaine... En décembre 2016, j'ai lancé, dans le cadre du sommet du partenariat pour un gouvernement ouvert qui s'est tenu à Paris, un réseau d'échanges international « Esprit d'Aarhus » qui vise à promouvoir les bonnes pratiques de participation citoyenne et de gestion des conflits au niveau des États et des grandes villes.

Ce qui est en jeu, c'est la mise en oeuvre d'une nouvelle gouvernance publique, fondée non plus sur des rapports de force, mais sur une capacité d'écoute, une « co-construction » de l'intérêt général, seule à même d'améliorer le fonctionnement de la démocratie et de redonner confiance à nos concitoyens.

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