Nous nous exprimons comme praticiens de l'enquête publique, à travers notre expérience de terrain et celle des 3 700 commissaires enquêteurs qui adhèrent aujourd'hui à la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE). Pour ma part, je suis inscrite sur la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur du Maine-et-Loire depuis 1995. Je précise que nous sommes tenus à une certaine réserve concernant les enquêtes publiques que nous avons conduites.
Les dernières années ont vu l'émergence de conflits d'une intensité renouvelée, opposant des citoyens à des porteurs de projet qui ne parviennent plus à faire partager les objectifs qu'ils se sont donnés, et plus encore à justifier de l'utilité de leurs opérations. Néanmoins, il me semble important de préciser que la majorité des opérations de création d'installations classées, des projets urbains ou des développements d'axes de transport aboutissent sans trop de conflictualité, particulièrement lorsqu'ils ont fait l'objet d'une bonne information et d'un dialogue transparent avec le public, ce qui favorise leur acceptation.
De nombreux maîtres d'ouvrage, y compris des collectivités territoriales, affichent de plus en plus une réelle volonté de « bien faire » en matière de consultation du public : ils deviennent de plus en plus sensibles à la bonne information et à la bonne exécution des procédures et ils cherchent à adapter leurs projets pour prendre en compte les réactions qu'ils suscitent.
À l'inverse, des autorités publiques, dont beaucoup d'élus, peinent à adapter leurs processus de décision pour permettre aux citoyens de ne plus être des spectateurs passifs ou critiques des différents étapes d'élaboration des projets, en devenant de véritables forces de proposition, des acteurs à même d'améliorer les caractéristiques d'un projet, voire d'en discuter l'opportunité en s'appuyant sur des bases raisonnables ou rationnelles.
Comment concourir à cette évolution ? Quelle place l'enquête publique occupe-t-elle aujourd'hui dans le processus de démocratisation du dialogue environnemental engagé ces deux dernières années et traduit dans l'ordonnance du 3 août 2016, par des mesures de nature à rendre plus effective l'amélioration de la participation du public ?
L'enquête publique remonte à l'Ancien régime. Elle était alors destinée à favoriser les relations entre les citoyens et l'administration. Elle a fait l'objet d'une adaptation continue au fil des évolutions sociétales et réglementaires, les plus marquantes étant issues de la loi dite « Bouchardeau » du 12 juillet 1983 et de la loi dite « Grenelle II » du 12 juillet 2010, qui ont étendu considérablement le champ d'application de l'enquête publique et ont réglementé la fonction et le rôle du commissaire enquêteur.
Pour mémoire, le code de l'environnement définit ainsi cette procédure de concertation : « L'enquête publique a pour objet d'assurer l'information et la participation du public, ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers, lors de l'élaboration des décisions susceptibles d'affecter l'environnement [...]. Les observations et propositions recueillies pendant le délai de l'enquête sont prises en considération par le maître d'ouvrage et par l'autorité compétente pour prendre la décision ». Pourtant, cette dernière disposition est-elle toujours mise en oeuvre ?
Particularité française, l'enquête publique n'a pas d'équivalent dans les autres pays européens. Aujourd'hui, elle a atteint une maturité certaine, même s'il apparaît qu'elle ne bénéficie pas toujours de la juste reconnaissance qu'elle mérite.
Contrairement aux idées reçues, souvent relayées par la presse et de nombreux élus, l'enquête publique n'est pas une consultation obsolète, onéreuse, trop tardive qui ne servirait qu'à contrarier et à retarder les projets. Cette procédure cristallise de nombreuses critiques dans un contexte économique appelant de plus en plus à une simplification de l'action publique et alors qu'est attendue une mise en oeuvre plus rapide des projets, tandis que ces derniers font encore l'objet de procédures souvent longues et complexes. Dans sa forme antérieure à la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (« Grenelle II »), l'enquête publique permettait peut-être certaines de ces critiques, ce n'est plus forcément le cas aujourd'hui.
L'enquête publique existe depuis longtemps, est bien identifiée par le public et est devenue un véritable outil d'information et de recueil d'opinion qui permet, dans la majorité des cas, de mesurer l'acceptabilité sociale et environnementale d'un projet. L'enquête publique peut maintenant être suspendue pour tenir compte des réactions du public, voire complétée en cas de modification importante du projet. Toutefois, ces moyens sont très peu utilisés, voire très méconnus des maîtres d'ouvrage ou des autorités publiques, ce qui est dommageable.
Certaines procédures de démocratie participative n'aboutissent pas à un dialogue réellement constructif, à cause de leurs défauts ou en raison de l'esprit dans lequel elles sont menées. Dans ce cas, elles font naître, à l'inverse des objectifs poursuivis, une exaspération des citoyens qui y participent loyalement et constatent qu'en réalité « les jeux sont faits » et que la démocratie participative n'est qu'un simulacre. Souvent, le public que nous, les commissaires enquêteurs, rencontrons, nous interpelle à ce sujet.
Le public a changé au fil des années : il est plus éduqué, il est mieux organisé, il est curieux, il s'informe par lui-même, il n'est pas forcément directement intéressé dans ses biens par le projet faisant l'objet de l'enquête publique, mais davantage concerné par son environnement, son cadre de vie ou une politique d'urbanisme, il devient beaucoup plus exigeant.
La généralisation de la dématérialisation de l'enquête publique, prévue par les ordonnances du 3 août 2016, devrait faciliter la mobilisation d'un plus grand nombre de citoyens en démultipliant l'information et en favorisant la prise en conscience du public et ses intérêts à participer.
Monsieur Jean-Pierre Chaulet va vous illustrer mon propos général par quelques exemples.