Le cas que vous évoquez témoigne bien que les hommes de ces deux familles ont des craintes. Preuve que la vulnérabilité n'est pas facile à apprécier, et que ce critère est difficile à mettre en oeuvre : pour passer le test de vulnérabilité, les hommes ne peuvent pas descendre.
Pour moi, ce critère est ambivalent. Il va de pair avec la conception anglo-saxonne des droits de l'homme qui, plutôt que de s'énoncer en termes de droits, se fonde sur l'idée que les plus vulnérables méritent générosité ; une générosité qu'on leur octroie. Or, si droit d'asile il y a, c'est un droit qui vaut pour tout le monde. La CNCDH est farouchement attachée à ce principe d'universalité et d'indivisibilité des droits.
Les Turcs disent qu'ils ne font qu'accueillir les Syriens ? Ils considèrent en effet qu'en vertu de leur réserve territoriale à la Convention de Genève, c'est à eux à décider du traitement à réserver à ces personnes, dans le cadre de leur législation nationale. Le problème, c'est que l'Union européenne a mis en place un régime de droit d'asile très protecteur des demandeurs d'asile. Pour un demandeur d'asile, ce n'est pas tant le traitement de sa demande qui soulève difficulté. En France, l'arrivée de Pascal Brice à la tête de l'Ofpra a marqué une grande ouverture, et la CNDA est à l'écoute. Mais encore faut-il arriver à cette étape. Or, l'Europe n'a cessé, depuis vingt ans, de multiplier les obstacles à l'entrée, parce qu'elle a bien conscience que le droit d'asile, fondamental, emporte des obligations concrètes, et que l'on ne peut se contenter de laisser les intéressés avec un papier vert ou rose en main, mais dénués de toute protection. Il existe une importante jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet, de nombreux arrêts du Conseil d'Etat, et une jurisprudence européenne, qui considèrent que le droit d'asile implique des obligations très concrètes : informer, donner accès à la procédure, doter éventuellement d'un conseil, héberger, etc.
Comment peut-on imaginer de renvoyer en Turquie les demandeurs d'asile qui se trouvent en Grèce, alors que le représentant du HCR nous disait en mars dernier que ceux qui s'y trouvaient déjà n'étaient pas même localisables ? Mais où sont nos obligations ? On ne peut pas penser l'asile comme l'immigration. J'ai été pendant quinze ans juge du HCR à la commission de recours des réfugiés, j'ai fait partie de la commission permanente chargée de mettre en place la réflexion juridique sur l'asile, et ces expériences ont forgé en moi une certitude : il faut cesser d'envisager cette politique de l'asile isolément. Tant que notre politique étrangère ne prendra pas cela en compte, on s'interdira de comprendre pourquoi on se retrouve avec des demandeurs d'asile en provenance de certains pays d'Afrique. Demandons-nous d'où cela vient. On ne vient pas de Bangui spontanément ! Et voyez la Turquie : c'est un pays prospère, qui attire beaucoup de migrants, mais son solde migratoire est négatif !