Intervention de David Skuli

Mission d'information Accord UE-Turquie sur la crise des réfugiés — Réunion du 15 juin 2016 à 14h30
Audition de M. David Skuli directeur central de la police aux frontières du ministère de l'intérieur

David Skuli, directeur central de la police aux frontières du ministère de l'intérieur :

Merci de me recevoir. Je suis accompagné de M. Serge Galloni, qui me représente au sein de l'agence Frontex, avec laquelle nous sommes impliqués dans la crise migratoire à laquelle nous sommes confrontés.

Vous avez listé une série de questions. J'essaierai d'y apporter des réponses du point de vue de la direction centrale de la police des frontières, qui regroupe onze mille fonctionnaires placés sous mon autorité, en métropole et dans les territoires ultramarins.

Une des missions essentielles de la police aux frontières, dans le moment où nous sommes, consiste à gérer le rétablissement du contrôle aux frontières et les problématiques de passage frontalier, mais surtout à traiter de la lutte contre l'immigration irrégulière et le démantèlement des filières. À cela s'ajoutent d'autres missions liées à la sûreté aérienne ou, le cas échéant, à la police des transports.

L'accord entre l'Union européenne et la Turquie a été signé le 18 mars et mis en application le 20 mars. Ses premiers effets, pour ce qui est de la police aux frontières et de nos collaborateurs envoyés en Grèce, se sont fait sentir à partir du 4 avril. Force est de constater que cet accord a eu un effet immédiat significatif.

Les précédents orateurs vous l'ont indiqué : il existe plusieurs voies d'entrée dans l'Union européenne et dans l'espace Schengen, parmi lesquelles la voie de la Méditerranée orientale. Les chiffres du 9 juin recensent 160 314 migrants, soit plus de 140 % par rapport à la même période l'année dernière. En Méditerranée centrale, on en est à environ 50 533 à la même date, chiffre en perpétuelle évolution. On constate un léger tassement par rapport aux mêmes périodes de l'an dernier. L'intensité est différente en Méditerranée centrale lorsqu'on examine les chiffres au fil des mois, puisqu'on enregistre une légère baisse de 2 %.

La route des Balkans reste importante : 116 000 y ont été recensés entre le 1er janvier et le 9 juin, soit plus 131 % par rapport à la même période de référence en 2015. La Méditerranée occidentale, qui comprend les enclaves de Ceuta et de Melilla et le détroit, enregistre quant à elle une baisse de 87 % en comparaison des 5 premiers mois de l'année 2015. Les flux migratoires, sur cette voie, ne sont donc pas importants.

À ce jour, la Méditerranée orientale, si on compte les données chiffrées, restent la première voie d'entrée sur le territoire de l'Union européenne.

À partir de l'accord signé le 18 mars et appliqué le 4 avril, on a relevé une décrue extrêmement forte, presque un tarissement. On était à un chiffre compris entre huit cents et neuf cents arrivées par jour durant l'hiver, de la fin 2015 au début de 2016. Nous sommes aujourd'hui en Grèce entre cinquante et quatre-vingt-dix arrivées par jour dans les hotspots implantés sur les principales îles grecques.

Sur un plan typiquement policier et purement opérationnel, on peut dire que l'accord signé entre l'Union européenne et la Turquie a eu un effet immédiat sur les filières, puisque des retours « systématiques » vers la Turquie ont été annoncés, même si l'on peut considérer à ce jour que ceux-ci sont assez faibles - quatre cent quarante-neuf migrants. La majorité n'étant d'ailleurs pas syriens.

Cet effet s'est fait sentir, les réseaux d'immigration irrégulière ayant réorienté les filières, bien que l'on ne puisse pas encore affirmer qu'il existe un transfert de la route de la Méditerranée orientale vers la Méditerranée centrale. Les hotspots, en Grèce, qui génèrent quelques difficultés, sont devenus des sortes de centres de rétention administrative, alors qu'ils étaient auparavant des centres de passage. On a contribué à aider les Grecs sur ce point. Je rappelle que deux des terroristes qui se sont fait exploser au Stade de France étaient probablement passés par ces hotspots pour rejoindre ensuite le lieu de leur méfait.

La France a bien sûr mobilisé des moyens très importants pour participer, avec l'Allemagne, en vue de la bonne application de cet accord. Ces moyens se sont traduits par l'envoi d'officiers de la police (dont une vingtaine de la DCPAF) et de la gendarmerie nationales (une soixantaine par mois), notamment dans les hotspots, en Grèce et en Italie (la Grèce compte cinq hotspots, l'Italie en compte six). Ainsi, nous sommes présents dans les deux pays. Frontex nous a demandé depuis peu de nous réorienter vers l'Italie, la route de la Méditerranée centrale enregistrant des augmentations significatives, qui se répercutent ensuite sur notre frontière Sud, celle des Alpes-Maritimes. Nous y avons des screeners, des debriefers, et des personnels que nous encadrons pour l'assistance à la prise des empreintes digitales dans les bornes Eurodac.

À cela s'ajoute une contribution française tout à fait significative d'escorteurs. Le Président de la République avait annoncé une contribution française de deux cents escorteurs. Finalement, les besoins de Frontex ont été moins importants. On en a d'abord projeté cent vingt-deux. Un total de soixante-et-onze escorteurs, composés de policiers, de gendarmes et de personnels de la préfecture de police est susceptible d'être projeté en Grèce pour servir à des escortes vers la Turquie, en fonction du besoin, sous soixante-douze heures.

Selon les personnels sur place, les problèmes que nous rencontrons dans l'application de cet accord concernent le système de l'asile. Nombre de migrants qui arrivent sur les îles grecques - et même ceux qui sont déjà sur place - déposent systématiquement une demande d'asile, dès lors qu'ils savent qu'ils peuvent être renvoyés vers la Turquie, poussés en cela par les différentes associations qui demeurent. Certaines, en raison des conditions sanitaires qui sévissent dans les hotspots, ont quitté les îles grecques.

La législation grecque en matière d'asile a été modifiée en avril dernier. Il fallait auparavant plus de dix mois pour traiter une demande. Le délai théorique est maintenant de quatorze jours. C'est fort impressionnant, je pense que l'administration grecque n'est pas en mesure de traiter toutes les demandes d'asile, malgré l'aide de l'agence European Asylum Support Office (EASO).

Il y a dans la capacité à traiter ces demandes un véritable enjeu. Un des piliers de l'accord veut que l'on renvoie un Syrien en Turquie et que, en contrepartie, on réinstalle dans un pays de l'Union européenne, une autre ressortissant syrien afin de favoriser les conditions d'entrée légale dans celle-ci. La problématique de l'asile risque donc de handicaper l'accord.

Par ailleurs, se pose le problème des relocalisations qui, à ce jour, n'est pas complètement réglé. Force est de constater que cet accord a mis un coup d'arrêt très net aux flux sur la route de la Méditerranée orientale. Il ne faudrait toutefois pas, à la faveur de ratés, que le mouvement migratoire reparte. Les Turcs ont, à l'occasion de cet accord, renforcé la surveillance de leurs côtes, et nous coopérons beaucoup.

Je reviens d'Ankara, où j'ai eu l'occasion de dialoguer à plusieurs reprises avec eux et le chef de l'OCRIEST s'est également rendu en Turquie dans le cadre de la mise en place d'un service turc similaire à l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST). Izmir et Bodrum sont en effet des lieux classiques d'embarquement vers les îles grecques. Les Turcs, à l'occasion de ratés ou de difficultés, ont relâché la surveillance de leurs côtes et ont permis à la « pompe » de se réamorcer, laissant le flux migratoire repartir vers les îles grecques.

Nous constatons une réactivation des flux en Méditerranée centrale. Même si on est toujours, en volume, sur une baisse de 2 %, je pense que l'on aura un chiffre positif d'ici peu de temps. On constate en effet que les arrivées en Italie sont importantes : on est passé d'environ cinquante à soixante interpellations à la frontière franco-italienne à Menton de migrants par jour à des niveaux compris entre cent et cent cinquante.

Les migrants arrivent par l'Italie, puis les mouvements s'amorcent vers notre territoire et prennent la direction du Nord pour s'agglutiner à Calais ou monter encore plus haut, vers les pays d'Europe du Nord.

Tous les services de renseignement le disent : trente-cinq mille migrants sont potentiellement en instance de départ, principalement de Libye, car tous les départs de Méditerranée centrale s'opèrent à 90 % de ce pays, et un peu d'Égypte et de Tunisie. Il y a fort à parier que les filières actives en Méditerranée centrale vont essayer de faire passer beaucoup de migrants, avec un risque supplémentaire venant de Libye, l'introduction de personnes pouvant peu ou prou être liées aux organisations terroristes comme Daech.

Voilà ce que je pouvais dire en introduction. Selon ce que je viens d'apprendre, le process de libéralisation des visas, qui devait trouver son terme en juin 2016, va se poursuivre jusqu'en octobre, voire novembre, les soixante-douze critères auxquels la Turquie doit répondre n'étant pas complètement atteints. Le ministre turc compétent a bien compris que, concernant la libéralisation des visas, l'accord connaîtrait un peu de retard.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion