S'agissant de l'efficacité de l'accord, on dénombrait en janvier dernier 67 400 arrivées sur les îles grecques, 57 000 en février, 26 000 en mars, avant une rupture en avril avec 3 650 personnes, puis 1 400 en mai et encore moins en juin.
On enregistre chaque mois des fluctuations, mais les chiffres baissent.
Par ailleurs, la frontière gréco-macédonienne a été fermée le 9 mars. On apprécie d'ailleurs la solidarité des pays européens, puisqu'on veut laisser en Grèce les cinquante mille migrants qui s'y trouvent ! On ferme la frontière, on envoie du monde sur les îles pour que les hotspots deviennent de gros centres de rétention administrative, et cela crée des difficultés, avec des troubles à l'ordre public assez significatifs, à tel point que de nouvelles filières se sont recréées entre les hotspots et le territoire continental grec. Il existe donc une tension du fait de la présence de migrants dans ces îles, comme à Lesbos.
Même si la population grecque est sympathique, les conditions de vie offertes aux migrants ne sont pas toujours faciles. On l'a vu lors de l'évacuation du camp d'Idoméni.
Cette fermeture de la frontière gréco-macédonienne a constitué un signal. Certains pays européens, notamment la Pologne, sont venus aider les garde-frontières macédoniens. Plusieurs pays ont renforcé leurs procédures de contrôle.
Il faut noter la très forte pression exercée sur les autorités turques. J'ai accompagné notre ministre de l'intérieur en Grèce et en Turquie. Il a été très clair en indiquant qu'il existait réellement des failles. On voyait à Bodrum une inaction quasi totale des garde-côtes turcs. Les Turcs l'ont finalement compris, sans compter qu'il existait également un accord de réadmission entre la Grèce et la Turquie. Cet accord de réadmission s'est jusqu'à présent traduit par un nombre insignifiant de réadmissions. Il ne fonctionnait donc pas.
L'accord officiel a été assorti de facilités - nouveaux chapitres dans les négociations d'adhésion, possibilité d'accorder aux Turcs la libéralisation des visas. Financièrement, ce n'est pas non plus un accord neutre. Les garde-côtes que j'ai rencontrés en Turquie avaient reçu des instructions très fermes pour mettre un terme à la situation. Il y a même eu un cas significatif où des migrants arrêtés à la limite des eaux territoriales ont été récupérés par les Turcs, qui les ont ramenés en Turquie, ce qui était inédit.
Grâce à l'ensemble de ces facteurs, on peut dire qu'on a aujourd'hui une forme de tarissement des flux.
Va-t-il durer ? J'en arrive à ce stade à la question de la réversibilité. Je ne suis pas dans les négociations entre l'Union européenne et la Turquie. Je pense que le thème des visas est extrêmement important pour les Turcs, mais l'Union européenne est également ferme sur les soixante-douze critères, qui semblent un peu compliqués, on le voit avec la levée de l'immunité de certains parlementaires. On pourrait imaginer, si les négociations n'aboutissent pas, que les Turcs, qui ont déjà reçu beaucoup d'argent pour accueillir les réfugiés, relâchent un peu leur vigilance et que des migrants arrivent régulièrement sur les côtes grecques.
Le partenaire turc a fait quelques efforts, puisque deux services de lutte contre l'immigration régulière ont été créés, l'un dans la police, l'autre dans la gendarmerie. Nous sommes déplacés entre le 2 et le 4 mai dans le cadre d'une mission, après la création d'une structure turque, à l'instar de la structure française en charge de toute problématique du démantèlement des filières.
À la suite d'opérations menées à Istanbul, où près de mille passeports français avaient été retrouvés chez des trafiquants, les Turcs nous ont communiqué l'ensemble des informations relatives à cette affaire, ce qui était quasiment impossible il y a plusieurs mois.
Nous avons donc reçu des gages qui démontrent que la Turquie fait des efforts sur ses côtes et essaie d'avoir une relation de coopération normale avec les services européens, notamment le nôtre. La Turquie a aussi accepté de coopérer avec Frontex. Depuis peu un officier de liaison de l'agence est installé en Turquie et a pour mission d'analyser les flux par voie maritime ainsi que d'apporter une forme de coopération à la Turquie.
Par ailleurs, on peut dire aujourd'hui que la Turquie est un partenaire avec lequel nous avons, depuis mai, une coopération en termes d'informations. J'ai reçu dans mon service des officiers turcs de cette structure de démantèlement des filières, et j'ai eu l'occasion d'envoyer des officiers français sur place à deux reprises. Nos demandes de renseignements sont absolument prises en compte.
Nous avons également travaillé avec les Turcs sur un programme lié à la lutte contre la fraude documentaire. Nous allons le développer.
S'agissant des autres routes migratoires, on peut dire aujourd'hui que celle de la Méditerranée orientale est fortement freinée - ce qui ne veut pas dire que cela durera tout le temps. On ne constate pas de report systématique entre le frein que nous observons dans les flux en provenance de Turquie et les arrivés par la Méditerranée centrale. Il n'empêche qu'il existe une légère progression dans cette zone. Les conditions météo se sont tout d'abord améliorées. Les trafiquants ne font le plein d'essence des bateaux que pour arriver à la limite des eaux territoriales, où les migrants sont immédiatement récupérés. La thématique du sauvetage est donc assez prégnante.
Je rappelle que la Libye est toujours un État déstabilisé et qu'il n'existe aucun contrôle au départ de ses côtes. Nous avons également un effort à faire vis-à-vis de l'Égypte, puisque 12 % des départs se font à partir de ses côtes. C'est un pays avec lequel nous devons développer notre coopération.
Comment la police aux frontières participe-elle au travail avec les pays de transit et les pays sources ? Nous y menons d'abord des actions de coopération technique. Nous disposons d'un réseau de la direction de la coopération internationale. D'ici la fin de l'année, sept cents experts seront mobilisés dans le cadre de différentes missions. Ils seront à la fois impliqués dans les hotspots et dans les missions à l'étranger que nous effectuons.
Par ailleurs, nous allons installer une équipe au Niger dans le cadre d'un projet opérationnel franco-espagnol financé par la Commission européenne. Le Niger est un pays extrêmement important pour les différentes filières africaines.
La semaine passée, nous étions au Niger, où nous avons rencontré le ministre de l'intérieur et le directeur général de la police pour étudier les principes de cette coopération. Celle-ci sera opérationnelle. Elle permettra d'aider les Nigériens à identifier les filières, à mieux contrôler leurs frontières - ce qui constitue un vaste défi quand on considère l'importance de ce pays - et à fournir des informations aux différents services occidentaux qui participent au suivi et à la gestion desdites filières.
Cette équipe commune doit bénéficier d'un financement européen de plusieurs millions d'euros sur trois ans. Le déploiement devrait s'opérer au deuxième semestre pour arriver à Niamey. Et il s'agira d'actions de coopération opérationnelle et en matière de formation avec les Nigériens.
C'est une expérience que les Espagnols avaient mené en Mauritanie, où ils avaient, dans le cadre d'un projet appelé « Seahorse Atlantico », développé une équipe commune.
C'est là notre second axe de coopération.
Par ailleurs, nous disposons d'une quarantaine d'officiers d'immigration dans le monde et notamment en Afrique. Ces officiers sont en lien avec nos partenaires africains dans le domaine des flux migratoires. Nous démantelons chaque année près de deux cent cinquante à deux cent soixante filières, ce qui est considérable. Près de 50 % des filières démantelées le sont à partir d'informations ou de renseignements provenant de ces officiers de liaison.
Le troisième volet de notre action regroupe toutes les consultations diverses que nous avons avec la direction générale des étrangers en France (DGEF), qui n'est pas une direction opérationnelle mais administrative, avec qui nous coopérons sur les aspects opérationnels de la mise en oeuvre des accords de réadmission ou de la politique des visas.
Voici les différentes coopérations que nous partageons avec les pays tiers.
Quant à la pression migratoire, elle est forte dans les Alpes-Maritimes. Nous avons des unités de forces mobiles dans ce département et un gros dispositif de la police aux frontières. La majeure partie des entrées sur le territoire français s'opère par deux voies, dont la voie ferroviaire Vintimille-Menton, où nous avons partageons quelques patrouilles avec les Italiens. Nous avons interpellé, depuis le début de l'année, neuf mille deux cents migrants utilisant cette voie. La seconde voie qu'empruntent les migrants passe par l'autoroute A8 et le péage de La Turbie, ainsi que par la vallée de la Roya, qui constitue un axe de passage assez important.
Il ne s'agit pas, comme dans le cas des filières chinoises, d'un organisateur unique, mais de filières multiples. C'est ce qui complique les choses. Une multitude de passeurs se charge de conduire les migrants de l'Italie vers la France, avant que de petites filières ne les aident à atteindre Paris ou le Calaisis, notamment pour ce qui est des ressortissants soudanais.
Les ressortissants qui empruntent la filière du Sud sont Soudanais, Tunisiens, Érythréens, Pakistanais. On compte peu d'Afghans ou d'Irakiens, qui utilisent plutôt des voies en provenance d'Allemagne ou de Belgique pour arriver sur notre territoire.
Nous avons actuellement une population stabilisée d'environ huit cents personnes sur le Dunkerquois et quatre mille cinq cents sur le Calaisis, soit un total d'environ cinq mille personnes, de sociologie assez différente. Nous sommes confrontés à des Soudanais, des Érythréens, des Afghans, des Irakiens, des Syriens. Pour ces trois dernières nationalités, force est de constater que les éloignements sont aujourd'hui assez difficiles.
Les filières, en France, sont de deux types. Il s'agit de filières de transit, dont je viens de parler, et de filières d'installation, qui sont particulièrement liées à l'Algérie, à la Tunisie ou au Maroc, où de faux documents permettent l'installation de ces ressortissants.
La thématique des mineurs isolés est importante et coûte très cher, les conseils départementaux ne sachant plus comment faire. Ce sont des personnes que l'on ne peut renvoyer et qu'il faut placer en foyer. Il y a d'abord un problème d'identification. Quelle est aujourd'hui la différence entre un mineur et un jeune majeur ? C'est assez compliqué, et nous y sommes quotidiennement confrontés à Calais, la marge d'erreur étant de plus de dix-huit mois selon les standards de la médecine légale.
On compte aujourd'hui trois cents mineurs isolés dans le Calaisis, dont le placement comporte des difficultés pour le Conseil départemental. Il n'y a en effet pas de places pour tout le monde, et le conseil départemental doit également assurer le placement d'autres mineurs du département. Ces mineurs sont parfois placés dans des foyers mais, après deux ou trois jours, reviennent dans le camp de Lande, à Calais.
Les procédures de placement sont donc d'une efficacité toute relative, sans compter que les conseils départementaux n'ont plus assez d'argent. C'est ce qu'ils affirmaient lors d'une réunion sur ce thème à laquelle j'ai eu l'occasion d'assister avec le ministre de la justice.
Quant à la problématique des mineurs isolés venant d'Italie, elle est faible, puisque les ressortissants sont plutôt majeurs. Scientifiquement, je le répète, il est toutefois difficile de déterminer si une personne est mineure entre quatorze ans et demi et dix-huit ans. Nous estimons que la population de mineurs isolés est de l'ordre de trois cents personnes dans le Calaisis.