Intervention de David Skuli

Mission d'information Accord UE-Turquie sur la crise des réfugiés — Réunion du 15 juin 2016 à 14h30
Audition de M. David Skuli directeur central de la police aux frontières du ministère de l'intérieur

David Skuli, directeur central de la police aux frontières du ministère de l'intérieur :

Tout d'abord, une réponse globale : depuis le rétablissement des contrôles aux frontières, juste après le 13 novembre, on a prononcé plus de vingt-deux mille mesures de non-admission sur notre territoire. Vingt-deux mille personnes auraient pu avoir le statut d'étranger en situation irrégulière. C'est considérable, puisqu'on compte près de cinq mille gardes-frontières sur les frontières terrestres, maritimes, aériennes. Près de quarante millions de personnes, dans les flux entrants et sortants, ont fait l'objet d'un passage contrôlé. Les fichiers de police ont été interrogés plus de vingt millions de fois afin de détecter les entrées ou les sorties qui pourraient faire l'objet de fiches particulières, et vingt-huit mille fiches ont été détectées. Ce rétablissement des contrôles aux frontières est d'ailleurs une barrière, certes temporaire, mais qui participe au ralentissement des flux illégaux pouvant pénétrer sur notre territoire.

Je ne connais aucune frontière hermétique. La Grèce a seize mille kilomètres de côtes, et quatre mille îles, dont quatre cents habitées. J'en ai parcouru lors de la précédente présidence grecque de l'Union européenne. Les chiffres que je vous donne sont répertoriés sur les principales îles : Lesbos, Leros, Chios, Kos, Samos. C'est principalement là que les flux arrivent, mais on enregistre parfois un petit nombre d'arrivées de trente ou quarante migrants sur le chapelet d'îles qui existent. Aujourd'hui, il est vrai qu'il existe un véritable tarissement de cette route, puisque le travail est également fait par les Turcs. C'est de leurs côtes que partent les migrants. Les Turcs jouent donc actuellement le jeu. Les arrivées, même dans les petites îles, restent très accessoires par rapport aux cinq îles que je viens de citer.

Huit mille quatre cents personnes sont aujourd'hui répertoriées dans les cinq hotspots grecs, ce qui crée d'ailleurs des tensions. La majeure partie d'entre eux demandent l'asile, et les Grecs traitent l'asile avec lenteur, malgré l'assistance de l'agence européenne EASO, qui apporte son soutien, et malgré la modification de la législation. Cela crée des troubles parmi les migrants, qui refusent de se laisser signaliser. Ceux qui sont là n'ont qu'un seul objectif, celui de quitter l'île et de reformer des flux vers le continent, puisqu'à l'issue de leur période de rétention de vingt-cinq jours, ils sont en principe dispersés et placés sous une forme d'assignation à résidence. C'est ce qui est prévu dans l'attente du résultat sur l'asile.

C'est d'ailleurs un des enjeux, car plus on met de temps pour rendre une décision en la matière, moins on peut les renvoyer, et plus on fragilise l'accord.

Le nombre de migrants actuellement présents en Grèce, qu'elle soit continentale ou qu'il s'agisse des îles, s'élève à cinquante-trois mille ou cinquante-quatre mille. Je tiens ces chiffres de notre attaché de sécurité intérieure en poste à Athènes, qui suit cela régulièrement, avec toutes les marges d'incertitude qui peuvent exister mais, compte tenu de la fermeture de la frontière gréco-macédonienne, on pense que ces chiffres sont assez fiables, même s'il existe un flux assez important de migrants irréguliers séjournant de manière permanente en Grèce.

Le chiffre de 116 806 qui auraient emprunté la route des Balkans remonte au début de l'année. Cela ne veut pas dire que cette route est toujours active, mais les arrivées de janvier, février et mars ont été extrêmement nombreuses.

Je rappelle que la frontière macédonienne a commencé à se fermer le 9 mars et que l'efficacité de cette fermeture a commencé à faire effet vers fin mars, lorsque deux cents garde-frontières polonais sont venus aider les Macédoniens. J'en parlais la semaine dernière avec Fabrice Leggeri à Varsovie, qui me disait qu'il n'avait pas bien compris l'action qu'avait menée la Macédoine, sans aucune concertation globale, créant des problèmes en perturbant la réaction d'ensemble.

Aujourd'hui, plusieurs pays européens, comme la Slovénie ou l'Autriche, ont rétabli leurs frontières, rendant les passages plus difficiles, mais celles-ci ne sont pas encore complètement hermétiques. Certains passages s'opèrent donc encore par la frontière italienne, le tunnel du Mont-Blanc et celui du Fréjus, ou par la Savoie. Nous les prenons en compte.

Les effectifs de la police aux frontières sont de onze mille, en y intégrant les territoires ultramarins, et d'environ huit mille sur le territoire national. Le rétablissement des contrôles aux frontières pose de nouveaux défis. Le contrôle aux frontières peut s'opérer de deux façons : soit vous y mettez des hommes, soit vous recourez aussi à la technologie. Je pense qu'il faut aussi s'orienter vers cette deuxième solution, car certaines frontières sont extrêmement importantes, comme les frontières aériennes. Peut-être avez-vous entendu parler des dispositifs automatiques de passage aux frontières que nous expérimentons. Il s'agit de dispositifs de reconnaissance faciale, notamment à Saint-Pancras pour l'Eurostar, et à Roissy, pour l'aéroport. Nous réalisons un effort de développement de ces moyens automatiques de contrôle, qui s'inscrivent dans le projet smart border de la Commission européenne, qui va trouver son application en 2019-2020. Il convient de contrôler toutes les personnes qui entrent et sortent de l'espace Schengen. L'association des hommes et des technologies est de nature à nous permettre d'absorber certains flux, notamment en matière de trafic aérien.

Reste la question de l'augmentation. Il faudra, je pense, réfléchir au nombre d'« équivalents temps plein » dévolu à la police aux frontières - car, aujourd'hui, la frontière de la France est gréco-turque - si l'on veut s'inscrire dans ce système qu'est le nouveau mandat de l'agence Frontex, c'est-à-dire projeter des effectifs interopérables. Un garde-frontière français peut fort bien servir à la frontière avec la Pologne ou la Grèce. Frontex crée d'ailleurs un module de formation qui fait que nous avons des garde-frontières interopérables. Je reçois, dans le cadre de l'Euro, vingt-huit garde-frontières tout à fait interopérables. On se rend donc bien compte que tout le débat autour des frontières va être celui de la souveraineté.

Dans un espace commun dans lequel on veut garantir une libre circulation, cela ne va-t-il pas supposer un accord global des vingt-huit pour surveiller nos frontières extérieures et pallier les carences d'un État membre ? On ne pourra plus arguer de la souveraineté en prétendant contrôler seul sa frontière : cela n'aura aucun sens - ou bien l'on démantèle le bel espace qui est le nôtre. La vraie problématique est de savoir si nous devons projeter de plus en plus d'experts. Lorsqu'on réadmet une personne, on ne fait pas que lui payer un billet d'avion : on l'escorte. A titre d'exemple, aujourd'hui, quatre Russes qui ont commis des troubles à Marseille sont partis avec des policiers français jusqu'à Moscou. Si Frontex, dans son nouveau mandat, doit organiser des vols de retour, il va nous falloir un vivier d'escorteurs. Frontex l'estime à mille cinq cent pour toute l'Europe.

Par ailleurs, il faut une force de projection rapide, afin que chaque État membre soit en mesure d'envoyer des garde-frontières sur une frontière. À ce titre, il faut de la ressource. Nous devrons donc réfléchir, dans un futur proche, à une nouvelle modélisation de la police aux frontières, le nombre d'experts à projeter étant de plus en plus important. Nous les perdrons d'ailleurs lorsque le contrôle intégré des frontières extérieures fonctionnera. C'est Frontex qui décidera alors, à partir d'une action de l'Union européenne. C'est l'avenir auquel nous allons être confrontés.

Pour ce qui est des réfugiés, la Turquie en héberge environ trois millions. Je n'ai pas trop de visibilité sur cette thématique. Je suis sur les flux et les passages de migrants. Je n'ai donc pas véritablement de réponse à vous apporter.

S'agissant du Calaisis, le passage vers l'Angleterre à partir de cette région est extrêmement difficile, voire nul pour ce qui est du vecteur maritime et du vecteur ferroviaire. C'est un dispositif extrêmement : nous disposons de huit unités de forces mobiles sur Calais. Quant à la PAF, je projette des effectifs chaque semaine de l'OCRIEST en complément des effectifs locaux. Notre rôle concernant le démantèlement des filières est considérable

Les dispositifs d'Eurotunnel et du port de Calais, financés par les Britanniques, sont très importants, les Britanniques ayant investi plusieurs millions d'euros dans les dispositifs de sécurité, les clôtures, les caméras, les obstacles, les inondations de certains espaces. C'est si vrai que l'on constate une augmentation de la pression sur Dieppe, Ouistreham et Cherbourg. Nous devons donc prendre des mesures, les migrants qui s'aperçoivent qu'il n'est plus possible de passer par Calais tentant de passer ailleurs.

Certains mouvements s'opèrent également depuis Zeebrugge. On a à présent des migrants qui remontent vers la Belgique pour essayer de passer par les ports belges - mais les Belges s'organisent aussi. Les filières s'adaptent donc à chaque fois, mais les intrusions dans le tunnel du Calaisis sont devenues quasiment impossibles : il faut franchir six clôtures et compter avec les forces mobiles.

Tout se passe actuellement sur la rocade de Calais, où les migrants prennent d'assaut les poids lourds pour y pénétrer. Les réseaux prennent également les migrants sur la rocade, les emmènent parfois jusque dans la Marne, sur des parkings que nous surveillons, pour les réintroduire dans des camions et les faire revenir à Calais pour les plus riches.

Les migrants les plus pauvres, qui n'ont pas les moyens d'utiliser des camions avec la complicité de chauffeurs, notamment polonais ou étrangers, agressent chaque soir les poids lourds sur la rocade en essayant d'y pénétrer de force, ce qui entraîne d'autres problèmes, puisqu'on découvre dans les poids lourds un nombre de migrants considérable.

On se rend aujourd'hui compte qu'un véritable étau s'est créé. Notre problématique, à Calais, est de faire diminuer les chiffres. C'est ce qui crée cette noria vers les ports du Nord, avant qu'elle ne se déplace ensuite vers Calais et la Manche.

Cela représente entre cinq mille et cinq mille cinq cents personnes, qu'il n'est pas aisé de gérer. Il est assez difficile de renvoyer ces personnes en Érythrée ou au Soudan. On trouve dans cette population très particulière des Syriens et des Afghans. On pourrait techniquement envisager des éloignements, mais il faut clairement définir la stratégie politique que notre pays veut mettre en oeuvre vis-à-vis de ces pays.

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