Intervention de Guillaume Almeras

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 15 septembre 2016 à 14h30
Audition de représentants des associations de lutte contre l'exclusion

Guillaume Almeras, responsable du département emploi, économie sociale et solidaire au Secours catholique français :

J'aborderai la question de la pauvreté et de l'éventuelle utilité du revenu de base pour la combattre ; mon collègue Dominique Redor complètera mon intervention d'un point de vue économique.

Le revenu universel nous est présenté comme un outil non seulement de lutte contre la pauvreté, mais aussi d'évolution de la manière de travailler. Un principe majeur du Secours catholique est qu'il est bon que chacun puisse contribuer à la société par son travail et bénéficier de ressources d'existence. Il nous semble à cet égard que le revenu de base comporte plus de risques que de bénéfices pour les plus fragiles. Nous y sommes donc plutôt opposés. Selon nous, un tel système, qui n'est ni économiquement solvable, ni juste, ni écologiquement souhaitable, ne favoriserait pas l'inclusion sociale.

Quel est notre regard sur la pauvreté ? Près de 80 % des personnes que nous rencontrons sont au chômage, très peu sont en formation et la plupart ont de grandes difficultés pour accéder au monde du travail. Ces personnes ont un revenu typique de 530 euros, alors que le seuil de pauvreté est fixé à 1 000 euros. Les indicateurs de pauvreté que nous utilisons ne sont pas seulement monétaires : les questions relationnelles sont elles aussi très importantes. Si l'aide matérielle peut représenter une porte d'entrée, les personnes qui viennent nous voir demandent d'abord et essentiellement du lien social et de l'écoute, préalables nécessaires à l'estime de soi. Le capital social importe.

Selon nous, le revenu de base ne serait pas un rempart contre la pauvreté. Au contraire, on risque ainsi de s'affranchir moralement du devoir de solidarité. Il s'agirait de verser aux plus fragiles un « solde de tout compte », sans se soucier de prendre des mesures favorisant le retour à l'emploi : accompagnement, formation, prise en charge sociale et expérimentations.

Le capital social des personnes est un levier premier, avant leur capital économique. Il faut bien plutôt travailler sur cet enjeu. Les personnes que nous rencontrons nous disent bien que ce ne sont pas les 500 euros du RSA qui les feront sortir de la pauvreté et leur amèneront un mieux-vivre. C'est plutôt à partir de 700 ou 800 euros que les gens peuvent avoir un logement stable ; au-dessous, on ne dispose pas de conditions d'existence dignes permettant de construire une vie.

Par ailleurs, le revenu de base faciliterait-il le retour à l'emploi ? Ses bénéficiaires, dit-on, pourraient exercer des « petits jobs » complémentaires. Or les personnes que nous accompagnons connaissent dans leur recherche d'emploi des freins multiples et corrélés. La position familiale, le logement et la mobilité comptent davantage. Le revenu de base ne modifiera pas leur rapport de travail ou leur estime de soi. Des femmes n'ayant jamais travaillé et se trouvant séparées de leur conjoint ne seraient pas plus en mesure qu'aujourd'hui d'aller négocier leurs conditions salariales auprès d'un employeur ou même de mener un entretien d'embauche qui fasse valoir leurs compétences. Le revenu de base ne renforcera pas ces capacités, comme le montre bien la dernière étude du Centre d'études de l'emploi sur les pratiques et impacts des activités réduites : les titulaires de « petits jobs » en restent prisonniers. La formation et l'accompagnement tout au long de la vie sont des questions bien plus fondamentales : si l'économie de demain est une économie de la connaissance, on ne pourra s'affranchir d'un travail très important avec les personnes en précarité pour élever considérablement leur niveau d'éducation.

On ne peut pas, par ailleurs, concevoir le revenu de base sans penser à ceux qui n'ont pas accès au droit au travail, en particulier les demandeurs d'asile, présents légalement sur le territoire, mais sans accès au travail, ce qui crée des trappes de travail informel, notamment pour ce qui est des travaux les moins agréables.

En outre, il nous semble que le revenu de base renforcerait les inégalités. Le modèle du Liber de MM. Koenig et de Basquiat n'est pas nécessairement le plus favorable aux plus précaires... L'avantage fiscal octroyé dans ce modèle aux entreprises pourrait s'élever à 250 milliards d'euros.

Par ailleurs, faire reposer un tel système de revenu pour les personnes sur la taxation des entreprises nous semble très délicat. Certes, on a tendance à penser qu'il faut aller taxer les grandes entreprises multinationales qui génèrent des sommes énormes. Néanmoins, c'est très problématique à nos yeux, car le modèle économique actuel est fou : ce capitalisme détruit la planète et nuit au corps social par le renforcement des inégalités. Faire reposer un revenu d'existence sur un système si malade nous semble paradoxal, surprenant et dangereux, comme si l'on s'asseyait sur une branche qu'on aurait envie de scier. Cela dit, la question d'une fiscalité plus juste est très importante pour nous.

Nous sommes donc défavorables au revenu de base. La priorité, selon nous, est de permettre aux personnes de travailler. Les personnes sans emploi que nous rencontrons nous disent à quel point c'est insupportable : ils sont mis au rebut de la société et souhaitent simplement avoir une existence et une utilité sociale. Cela passe par le travail et sa reconnaissance. Ces gens ne sont pas en capacité d'inventer leur travail et d'aller le promouvoir : ils sont fragiles et il faut les accompagner. S'imaginer qu'un revenu de base leur permettra de trouver le « petit job » qui leur apportera la sécurité nous semble illusoire. Il faut plutôt entrer dans une logique d'investissement social qui permette d'outiller les plus fragiles, y compris ceux qui arrivent ici par le jeu des migrations.

Quant à l'expérimentation envisagée, il nous semble fondamental qu'elle se déroule dans des zones définies. ATD-Quart monde et nous-mêmes sommes favorables aux « territoires zéro chômeur de longue durée », mais il ne faut pas mettre le revenu avant le travail : ce serait mettre la charrue avant les boeufs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion