Comme vous l'avez senti en parcourant le rapport, j'ai recherché non pas le scoop, mais l'analyse la plus factuelle possible. Lorsque ce que l'on nous dit ne peut être clairement mis en doute, nous n'avons pas de raison d'affirmer le contraire.
M. Bonnecarrère, sur la façon dont la France et d'autres pays ont pu être associés aux négociations, à partir du moment où le Gouvernement nous dit qu'il soutient pleinement l'accord et a eu son mot à dire, il est difficile d'y trouver à redire, d'autant qu'il ne s'agissait pas du problème le plus essentiel. La façon dont les décisions sont prises au sein de l'Union européenne mériterait malgré tout que nous nous en préoccupions !
Je n'ai malheureusement, à ce jour, aucune réponse aux questions posées par Claude Malhuret. Le choix d'un tel arrangement a été motivé par l'urgence. Personne, parmi les initiateurs de cet accord du côté européen, ne souhaitait entrer dans un débat avec le Parlement européen, qui aurait retardé la conclusion ou compliqué le processus de décision. J'entends l'argument de l'urgence ; mais cela ne doit pas devenir la règle. Nous nous sommes donc employés à remettre ce type d'accord en perspective, comme outil d'une politique cohérente plus globale, qui, malheureusement, n'existe pas aujourd'hui. Si, à chaque problème de vague migratoire - la mer Égée n'est pas le seul lieu concerné, tant s'en faut -, la réponse de l'Union européenne consistait en un accord comme celui-ci, ou plutôt une rustine comme celle-ci, nous ferions complètement fausse route !
Je comprends le mode de fonctionnement adopté par le Conseil européen, avec l'appui de certains États membres, mais nous ne disposons d'aucune information sur les leçons qu'en tirent tant la Commission européenne que le Conseil de l'Union européenne. Un dernier point d'étape a été effectué le 26 septembre, mais son contenu fut uniquement factuel.
Quant aux contentieux, ils sont en cours. Un certain nombre de leçons intéressantes pour l'avenir seront peut-être tirées, ou pas.
Concernant les remarques de Jean-Yves Leconte, la question de la part réservée, dans le plan du rapport, à la situation intérieure et à la politique extérieure de la Turquie, n'était pas facile à résoudre. À partir du moment où l'on conclut un arrangement avec un pays tel que la Turquie, il faut évidemment s'intéresser à ce qui s'y passe. M. Erdoðan utilise beaucoup la pression médiatique, pour des raisons de politique intérieure mais aussi de politique étrangère, avec des revirements toujours assez rapides et souvent imprévisibles.
Quoi qu'il en soit, il nous semble que la Turquie n'a pas intérêt à se détourner complètement de l'Union européenne, quelle que soit l'issue de la procédure d'adhésion, et cela notamment pour des raisons économiques. Si l'accord tient toujours malgré l'absence d'avancée sur la question des visas et le peu d'avancées sur celle de l'adhésion, c'est que d'autres intérêts le motivent.
Mon souhait n'est pas de diaboliser l'AKP à outrance ; néanmoins, au regard de l'évolution actuelle, on ne peut pas non plus passer sous silence les dangers de la situation et le risque d'une guerre civile en Turquie, qui aurait des conséquences en cascade, y compris sur la question syrienne. On peut apprécier comme on le souhaite l'intervention de la Turquie sur le sol syrien - s'agit-il surtout de combattre Daech, ou d'éviter que les Kurdes syriens constituent une région autonome ? -, mais il faut trouver une solution à cet afflux de réfugiés syriens se massant à la frontière turque, qui est fermée. Nous savons qu'existe, malheureusement, l'idée de « stocker » ces êtres humains, qui feraient office de boucliers, dans une zone tampon. Cette idée, évidemment, n'est pas de nature à résoudre l'état de guerre en Syrie.
Les observateurs nous ont dit que, jusqu'à présent, la population turque avait fait preuve d'un haut niveau d'acceptation dans l'accueil de ces 3 millions de réfugiés - certains y trouvent leur intérêt : les réfugiés ont sans doute pris la place d'autres migrants économiques, notamment des travailleurs saisonniers. Mais cette situation a ses limites. Au-delà de 3 millions, le sentiment pourrait se modifier. L'une des conséquences de cet accord a été la fermeture de la frontière entre la Turquie et la Syrie, afin d'éviter de nouvelles arrivées massives : le résultat, c'est que des populations se retrouvent sous les bombes.
En tout cas, monsieur Leconte, je relirai le rapport et tiendrai compte de votre observation concernant la première phase de l'action de l'AKP en Turquie.
Quant à la question de l'État de droit et de l'exemplarité de l'Union européenne, nous verrons si nous pouvons nuancer le propos afin que le rapport n'apparaisse pas comme trop péremptoire.
Monsieur Marie, l'idée d'apporter une aide aux pays d'origine est présente, me semble-t-il, dans les conclusions du rapport. Un travail avec les pays de transit paraît absolument nécessaire. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement de réguler les flux : en Turquie, en Jordanie, au Liban, beaucoup de réfugiés ne souhaitent pas nécessairement aller plus loin. Leur souhait est de rester au plus près de leur pays d'origine. L'Union européenne doit accomplir un effort de solidarité en la matière.
Beaucoup d'entre vous ont soulevé le problème des mineurs isolés. Ce sujet ne nous a pas échappé : un développement y est consacré aux pages 52 et 53, s'agissant notamment des mineurs isolés en Grèce. Ils seraient encore plus nombreux en Turquie. Or, dans ces pays, l'absence de savoir-faire sur cette question est criante : la Grèce a toujours été un pays de transit, jamais un pays d'accueil. La grande majorité de ces mineurs sont des adolescents, mais certains sont très jeunes - nous avons entendu parler d'une petite fille de 7 ans.
Les premières dispositions prises ont consisté à les enfermer, dans un souci de protection vis-à-vis des adultes. On nous a décrit le cas de ce camp de Lesbos où le premier soulèvement a eu lieu au moment du changement de directeur : alors que son prédécesseur autorisait les mineurs à sortir de leur enfermement à certains moments de la journée, le nouveau directeur leur a refusé ce temps de récréation. Cette situation carcérale était devenue intenable.
On manque donc de savoir-faire et de moyens. Et nous sommes parfaitement d'accord sur la nécessité d'accorder une attention particulière, d'un point de vue humanitaire, à la situation des mineurs.
À Jean-Pierre Vial, je réponds que les entretiens dont il a parlé, qui ont en effet constitué des moments forts, ont été utilisés dans les termes mêmes du rapport. Quant à les intégrer en totalité dans les parties annexes, cela me semble compliqué.