Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'intérêt que vous portez aux travaux du BRGM. Mme Dörfliger et moi-même sommes très fiers de pouvoir contribuer à la réflexion de votre mission d'information.
Je commencerai par une brève présentation de notre établissement, qui vient de rendre public son rapport annuel, dont je vous ai apporté un exemplaire.
Le BRGM est un établissement public à caractère industriel et commercial, qui compte environ 1 000 collaborateurs exerçant des métiers variés. Ancien opérateur minier, il a été transformé en établissement de recherche. Nous dépendons d'une triple tutelle : notre tutelle principale est exercée par le ministère de la recherche et deux cotutelles sont exercées par le ministère de l'écologie et par le ministère chargé des mines.
Les missions du BRGM concernent l'adaptation du territoire aux changements climatiques du point de vue des géosciences, les réservoirs pour la transition énergétique et l'économie circulaire, pour ce qui est des ressources minérales. Nous avons aussi vocation à participer au débat public. En effet, nous n'oublions pas que nous sommes un établissement public : nous ne gardons pas nos travaux scientifiques entre spécialistes ! Nous assurons également des transferts de compétences à l'international.
Nous vous remercions de nous donner l'occasion d'enrichir nos réflexions ; les questions que vous nous poserez nous aideront certainement à les faire progresser.
Notre établissement est financé, pour une moitié, par des crédits votés par le Parlement et, pour l'autre, par des recettes propres, issues de nombreux appels à recherche émanant de l'Agence nationale de la Recherche, l'ANR, de la recherche européenne et aussi des industriels. Le BRGM fait partie du réseau des instituts Carnot.
Aujourd'hui, la recherche représente 30 % de notre activité, le reste étant constitué d'activités d'appui aux politiques publiques, de recherche-contrat pour les entreprises et de collaborations internationales, avec une très forte orientation en géologie, notamment à finalité minière. Nous avons signé voilà un an et demi un contrat de 20 millions d'euros au Tchad pour une carte géologique à finalité minière. Nous étions voilà trois semaines au Malawi pour un contrat de 10 millions d'euros de géologie à finalité minière, portant sur une cartographie des risques naturels. À chaque fois, nous assurons un transfert de compétences et une formation de nos interlocuteurs.
J'en viens aux questions que vous nous avez transmises sur les matières premières et le recyclage des téléphones.
La troisième édition du World Materials Forum s'est tenue à Nancy. Je vous ai apporté l'étude que nous avons élaborée pendant un an avec McKinsey sur les métaux et les métaux critiques. Les débats dans ce domaine évoluent actuellement vers la notion de material efficiency. Les grands patrons de Rio Tinto, le CEO de Mitsubishi Heavy industries et les dirigeants d'Arkema et de Solvay, entre autres, assistaient à ce forum, qui cherche à devenir le « Davos des matières premières ».
Personne n'imagine - nous sommes toujours dans la prévision - un retour du super-cycle chinois.
Selon nous, il y a deux familles de métaux : les grands métaux qui, comme l'acier, servent pour les infrastructures, et les petits métaux, dont la consommation est tirée plutôt par la technologie. Ceux que l'on trouve dans les téléphones portables relèvent de la seconde catégorie.
Intéressons-nous d'abord aux grands métaux. Globalement, dans les pays de l'OCDE, en ville, la consommation est de 400 kilos de fer par an et par habitant, contre 1,7 kilo de fer par an et par habitant à l'époque de l'Empire romain ! Ce qui va tirer la consommation, c'est le nombre de personnes qui rejoindront les villes. Nonobstant la surconsommation en Chine au cours des dix dernières années, les statistiques de l'OCDE sur la population qui rejoint les villes et sur l'augmentation du niveau moyen de vie par habitant révèlent une tendance mondiale lourde : la population mondiale concernée va se développer. Pour ces grands métaux, la croissance est de l'ordre de 3 % par an. Et 3 % par an pendant vingt ans, cela fait beaucoup !
Pourquoi parle-t-on de super-cycle chinois ? Au cours des dix dernières années, la Chine a beaucoup investi dans les infrastructures, de sorte que sa consommation a atteint 600 kilos de fer par an et par habitant. Or la relance de la croissance chinoise dont on parle aujourd'hui ne viendra pas de la construction de gares TGV ou d'aéroports ; personne ne pense que la Chine continuera de consommer du fer dans les mêmes proportions que ces dernières années. Quant au modèle de développement économique de l'Inde, il sera différent, moins consommateur en fer.
Pour les métaux présents dans l'électronique, les marchés sont beaucoup plus modestes, en raison du temps de vie des matériaux. Le béton armé ou le fer qu'on utilise dans les infrastructures peut durer cinquante, voire quatre-vingts ans ; on ne le retrouve donc pas tout de suite sur le marché.
Il en va autrement pour les petits métaux. Outre que la durée de vie des pièces est différente, il y a surtout une particularité minière. Il n'y a pas de mines d'indium, par exemple ; l'indium est un coproduit du zinc. Ces métaux sont dits « métaux compagnons ». Il n'y a pas de mine pour un métal ou pour une terre rare : on trouve le produit en retraitant ou en cotraitant des minerais présents dans les métaux d'infrastructure.
Pour l'indium, le zinc et le cuivre, par exemple, il y a une part importante d'activités chinoises. La Chine a beaucoup investi dans ce domaine, à hauteur de 30 % dans des actifs de mines, ainsi que dans la transformation : la très grande majorité du minerai de cuivre transformé est dans les mains de capitaux chinois. C'est là que la question des métaux critiques peut se poser.
Vous trouverez dans notre étude des informations détaillées sur les métaux d'infrastructures et sur les petits métaux. Certains d'entre eux entrent dans le champ de votre réflexion sur la téléphonie mobile. Pour aucun d'entre eux il n'y a de criticité. Les petites pastilles vertes ou orange que vous verrez se rapportent au point de vue des consommateurs, pas des producteurs. Il peut y avoir quelques tensions dans les cinq ans sur le prix du cuivre ou de l'aluminium, mais pour des motifs d'ajustement. Dans aucun cas nous n'avons identifié de tensions liées à la géologie.
Sans vouloir faire de publicité pour les travaux du BRGM, dont c'est le métier, il faudra rechercher de nouveaux gisements. Mais nous ne pensons pas que la géologie puisse être un problème. Certes, la répartition géographique de certains produits est parfois limitée à des zones restreintes ; c'est le cas du pétrole, mais cela ne relève pas du BRGM, qui ne s'occupe que des minerais non énergétiques. Pour ceux-là, les répartitions sont assez homogènes. Certes, il y a eu une crise sur le lithium, dont le prix a quadruplé en quelques années. Mais, aujourd'hui, nous avons plus de 300 ans de réserves de lithium avérées, et qui sont réparties un peu partout dans le monde, de sorte qu'aucun pays ne peut prendre le marché mondial en otage. Rio Tinto a annoncé son intention de construire une nouvelle mine de lithium en Serbie, preuve qu'il n'y pas du lithium qu'en Bolivie.
La problématique des petits métaux et celle des grands métaux sont différentes. Pour les grands métaux, même si la géologie ne pose pas de problème, les cours sont aujourd'hui bas, en sorte que plus personne ne fait d'exploration.
En effet, l'industrie minière a suivi le même schéma que l'industrie pharmaceutique. Les grandes entreprises ne font plus leur recherche amont : elles achètent des juniors. Or, du fait des prix des métaux, les juniors ne se financent plus facilement ; il n'y en a donc plus. Mais on ne peut pas faire comme pour le pétrole. Par exemple, pour le cuivre, il y a une grande zone minière qui représente, je crois, 20 % de la production mondiale ; il en faudrait une nouvelle comme cela tous les quinze ans ! Faute d'exploration en amont aujourd'hui, le jour où le marché redémarrera, les acteurs miniers diront que, même s'il n'y a pas de difficulté sur le plan de la géologie, il leur faut quinze ans entre le début de la recherche et le lancement de la production. Or, en quinze ans, il peut se passer beaucoup de choses. Si on a sauté sur Kolwezi dans les années 1970, c'est parce qu'il y avait des mines de cuivre !
Par conséquent, certains acteurs, y compris des groupes industriels, comme Rio Tinto, émettent des doutes sur la capacité d'anticipation et de régulation du marché. Nous voyons bien le rôle des États et des politiques publiques en matière d'exploration géologique et minière face aux tensions qui peuvent survenir pendant ce laps de temps. Les acteurs économiques ont besoin d'anticipation, pour le jour où le marché va redémarrer.
Pour les petits métaux - nous revenons à la téléphonie mobile -, le temps de la technologie peut être plus rapide que celui de la mine. Nous avons tous en tête les tensions qui se sont produites sur les mémoires d'ordinateur et les disques durs lors de la crise des terres rares. Cela a même abouti à des contentieux à l'échelon international, au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Mais il y a eu une évolution technologique. Auparavant, les disques durs étaient très largement en aimant permanent, d'où les tensions. Aujourd'hui, compte tenu de l'évolution technologique, on va vers la mémoire flash. D'une part, il y a moins de disques durs dans des téléphones portables. D'autre part, nous sommes passés à des technologies « nano » : c'est une couche nanométrique, et non plus l'ensemble du disque dur, qui est en aimant permanent ; du coup, pour le même gigaoctet de mémoire, il y a besoin de cinquante fois moins d'aimant permanent.
Par rapport au temps de la mine, l'évolution technologique a été beaucoup plus rapide. C'est ce que nous avons conclu dans notre étude. Les grands métaux d'infrastructure, c'est une chose ; mais, aujourd'hui, il faut faire de la veille non pas sur les mines, mais plutôt sur la technologie.
En prévision de mon intervention devant vous et au World Materials Forum, j'ai consulté le rapport annuel du CEA Leti, qui mène de nombreuses recherches à Grenoble sur l'électronique et les batteries, avec tous les composants nanofacturés. Ce que j'y ai appris est très intéressant. Ils ont un portefeuille de technologies, notamment dans les produits électroniques. Ils mènent aussi des projets de recherche, par exemple sur le lithium - encore une fois, il y a eu beaucoup de crises à cet égard -, pour réduire la consommation, fabriquer une batterie et trouver un substitut à tel ou tel métal sensible. En fait, ils favorisent tel ou tel projet de développement en fonction du cours des métaux. C'est comme si la veille était du côté de la R&D d'entreprise, avec une vitesse de réaction rapide.
La durée de vie d'un téléphone portable est de trois ans, mais, en allant jusqu'à sa troisième vie, on peut atteindre onze ou douze ans ! Les métaux compagnons, d'une part, et la rapidité de l'évolution technologique, d'autre part, changent la donne. D'ailleurs, cela complique le traitement statistique : il peut il y avoir des compétitions sur des marchés très différents pour le même métal !
Prenons le cas des terres rares. Sur 24 000 tonnes, les voitures électriques et les éoliennes représentent 25 ou 30 % du marché, contre plus de 60 % pour le matériel électrodomestique, par exemple les moteurs d'électronique ou l'électroménager. Il y a effectivement des tensions sur les éoliennes ; mais il y a des marges de progrès dans les produits à vie courte.
Mme Dörfliger va maintenant traiter de façon plus précise des métaux présents dans les téléphones portables et du recyclage.