J'ai l'impression que les deux phénomènes jouent. Il me semble que l'élément le plus important tient à l'absence de résultats, aux difficultés de la vie quotidienne et à la relation de la société à elle-même. Cela dit, beaucoup d'autres facteurs jouent.
Je pense, par exemple, au rôle des médias dans la relation entre le monde politique et les citoyens. Ce rôle est très complexe. La dérision qu'ils entretiennent à l'égard de l'univers politique perturbe profondément, selon moi, la perception qu'en ont nos concitoyens.
Je pense également au phénomène de radicalisation des points de vue. Sur la plupart des thèmes, pour des raisons qui, là aussi, tiennent aux moyens de communication, les positions deviennent de plus en plus difficilement conciliables. Or, comme l'a montré Tocqueville, il faut des éléments de compromis pour qu'une démocratie fonctionne. Si toutes les opinions s'expriment de manière extrême, on aboutit à une sorte de « guerre civile froide ».
Aujourd'hui, l'une des grandes difficultés est de mettre en valeur ce qui unit les hommes pour paraphraser Rousseau. À cet égard, la représentation est efficace lorsqu'elle permet des compromis sur des questions qui ne font pas l'unanimité, lorsque l'on parvient à dégager des solutions viables et acceptables par toutes les parties.
Je suis assez tenté de répondre que, oui, il est nécessaire de mettre en place d'autres mécanismes. Il est certain que les sociétés ne fonctionnent plus aujourd'hui comme elles fonctionnaient voilà encore cinquante ans, pour un certain nombre de raisons. Je pense qu'il y a une confiance à restaurer. Cela peut donc passer par des procédures nouvelles.
De nombreux dispositifs ont été expérimentés à l'étranger, on pourrait aussi en inventer de nouveaux.
À ce sujet, je vous renvoie à une thèse tout à fait remarquable, rédigée par Stéphane Schott, maître de conférences à Bordeaux, sur un sujet jusque-là parfaitement inconnu en France : les mécanismes de démocratie médiate dans les États fédérés allemands. Les Länder ont mis en place un ensemble de procédures de concertation ou d'initiative. De manière très intéressante, Stéphane Schott montre que celles-ci n'aboutissent pas forcément à un référendum : dans certains Länder, il peut y avoir des initiatives « propositives », et non décisionnelles. Dans certains cas, les citoyens s'adressent au corps délibérant, lui demandent de traiter une question ou d'adopter telle ou telle solution mais c'est l'assemblée qui en délibère, et en cas de refus, la procédure s'arrête. Autrement dit, l'initiative ne se conclut pas par l'organisation d'un référendum.
M. Schott estime que ces initiatives sont un procédé de démocratie représentative, et non de démocratie semi-directe, puisque, au final, elles ne se terminent pas par une prise de décision. Cela ne signifie pas que l'on ne pourrait pas, dans certains cas, envisager des initiatives « décisionnelles », prenant la forme d'un référendum.
Ce n'est donc pas du « tout ou rien ». Plusieurs solutions peuvent être mises en oeuvre, soit successivement, soit simultanément, pour renouer une discussion, positive pour les deux parties, entre nos concitoyens et les organes délibérants.