Les partis de masse - censés promouvoir une démocratie interne - ont développé des mouvements oligarchiques, comme l'ont bien analysé Robert Michels et les néo-machiavéliens. Ces organisations ont tendance à se refermer sur elles-mêmes, à se coopter. Ce phénomène est inhérent au système. La démocratie représentative entraîne une professionnalisation de la politique. Comme Sieyes le disait déjà et comme le disent encore les sociologues proches des théories de Pierre Bourdieu, elle est une division du pouvoir. L'une des conditions de la démocratie directe à Athènes tient au fait que les citoyens étaient des militants. L'Assemblée athénienne se réunissait quarante jours par an. Qui serait prêt aujourd'hui à ce sacrifice ? À Athènes, même, l'obole que l'on distribuait comme un jeton de présence pour permettre aux plus indigents de participer a abouti à un paradoxe : ce sont les catégories les plus pauvres qui peuplaient le coeur du pouvoir, alors que les riches préféraient gérer leurs affaires. Quoi qu'il en soit, la démocratie directe exige une motivation forte. Souvenez-vous aussi de la prosopopée des lois dans le Criton de Platon : Socrate refuse de s'enfuir et boit la cigüe pour obéir aux lois de la Cité.
Nous sommes bien loin, aujourd'hui, de cette forme athénienne de la démocratie. Désormais, les gens veulent des élus pour qu'ils fassent le travail et pour pouvoir les critiquer. On pourrait en revanche espérer un plus grand intérêt pour la chose publique, que les électeurs aillent voter régulièrement comme cela fut le cas. Mais peut-être y a-t-il là un cercle vicieux : plus les organisations politiques se referment sur elles-mêmes, plus c'est difficile de susciter l'intérêt pour le débat public et, inversement, plus les citoyens se désintéressent de la politique, plus les partis se trouvent repliés sur eux-mêmes.