Ces questions me paraissent légitimes. L'allocation universelle n'est pas une garantie d'épanouissement pour chaque Français, mais plutôt un remède à un certain nombre de défauts de notre système actuel de protection sociale de manière à l'ajuster aux défis du XXIe siècle. Cette démarche, donne une possibilité accrue de dire oui ou non à un emploi qui est sensible au montant et à la proportion du niveau du PIB qu'il représente. Mais il importe d'y aller graduellement, car il faut que la demande de travail s'y ajuste. Procéder graduellement permet, d'une part, de multiplier le développement de ces emplois, à haute qualité de formation, en raison de la possibilité plus grande de dire oui ; de tels emplois ayant plus de sens pour les personnes qui les occupent. D'autre part, cette démarche force à un ajustement pour les emplois qui ne présentent pas ces qualités et qui risquent de connaître une pénurie de candidats. Alors il faudra essayer d'automatiser ces tâches et de remplacer les gens par des machines, ou, si cette démarche n'est pas possible, essayer d'améliorer leur qualité. Si cette perspective n'était ni possible ni désirable, il conviendrait alors de les rémunérer davantage. Il faudra un certain temps pour que cela intervienne. L'allocation universelle induit une dynamique au sein de l'économie et de la société qui correspond aux exigences de notre monde, à la fois en raison des contraintes écologiques et des nouvelles possibilités technologiques qui devraient être couplées avec une transformation réellement révolutionnaire de notre système d'enseignement. Je n'aborderai pas ce dernier sujet qui me passionne, mais je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que le versement de cette allocation n'est pas la panacée qui va épanouir d'emblée tous les Français.
S'agissant de la question des rapports avec le SMIC, je n'ai pas personnellement étudié ce point en France. Je l'ai fait en revanche pour la Belgique pour laquelle nous avons fait des micro-simulations, avec des allocations, fût-ce même d'un niveau relativement faible. Dans le cas belge, toute proposition de financement à un niveau relativement faible doit passer par la réforme de l'impôt sur les personnes physiques. Dans tous nos pays, nous avons une forme d'exonération des premières tranches de revenus et des taux faibles sur les tranches suivantes, à des taux bien inférieurs au taux marginal de la plupart des contribuables. Ces cadeaux fiscaux seraient remplacés par l'allocation universelle et ce, même pour les personnes bénéficiaires des revenus les plus élevés. Les gens qui sont au SMIC verront les premières tranches de leur salaire davantage imposées qu'elles ne le sont aujourd'hui. Les revenus bruts des travailleurs à temps plein au SMIC ne seront ainsi pas réellement modifiés et les raisons d'avoir un SMIC ne disparaîtront pas en cas d'allocation universelle. Mais alors, dans quelle mesure la trappe du chômage est-elle diminuée ? En raison de l'augmentation considérable et souhaitable du travail à temps partiel voulu et choisi. L'allocation universelle est à la fois un moyen pour ceux qui se rendent malades, parce qu'ils travaillent trop, de réduire leur temps de travail et ainsi de libérer leurs emplois de manière temporaire ou partielle en faveur de ceux qui ne parviennent pas à en trouver un. D'après nos micro-simulations, les principaux gagnants nets de l'introduction de l'allocation universelle sont les travailleurs à temps partiel. Il faut désormais considérer le travail à temps partiel comme une forme d'investissement dans notre capital humain puisqu'il permet de concilier la formation et le développement de nouvelles capacités. Il faut ainsi abandonner cette idée qu'on est formé pour la vie après quelques années d'enseignement après les études secondaires. Ce temps partiel est également un investissement dans la génération plus jeune puisque les parents qui en bénéficient peuvent prendre plus de temps pour s'occuper de leurs enfants au moment où ils voient que ces enfants en ont en besoin. Ce temps partiel est lié à la question du SMIC qui aura toute sa raison d'être en cas de l'allocation universelle. Comment sortons-nous alors de la trappe du chômage, puisqu'il faudra prévoir que tout emploi viable soit suffisamment rentable pour que l'employeur soit en mesure de payer le SMIC ? Ce qui va être systématiquement encouragé, c'est une multiplicité d'emplois à temps partiel, y compris sous la forme d'un travail non salarié, indépendant, en partenariat avec d'autres et avec toutes les incertitudes que l'on peut assumer du moment qu'on peut compter sur ce revenu socle.