Intervention de Philippe Van Parijs

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 23 juin 2016 à 13h30
Audition de M. Philippe Van parijs professeur à l'université catholique de louvain fondateur du basic income earth network

Philippe Van Parijs :

Je partage les considérations générales qui viennent d'être évoquées, s'agissant notamment de la difficulté à réconcilier cette réflexion à long terme avec la prise à bras le corps des nouveaux défis avec les échéances politiques. Une chose demeure remarquable à mes yeux : c'est le degré auquel ces propositions divisent les partis politiques, ce qui représente à court terme une difficulté et à plus long terme un atout. Une difficulté tout d'abord puisqu'aucun d'eux d'ailleurs ne souhaite mettre cette mesure à son programme tant elle est un facteur de division. En Suisse, des débats parlementaires ont eu lieu avant la votation populaire : si les partis de droite ont voté unanimement contre cette mesure, les partis socialistes et écologiques étaient divisés entre partisans et opposants à cette mesure. À plus long terme, il faudra obtenir le même type de consensus pour instaurer ce troisième modèle de protection sociale que celui qu'on a pu obtenir pour les deux précédents. Il ne faut pas qu'une nouvelle majorité démantèle ce qui a été créé par la précédente. En fait, à travers l'Europe, ce sont plutôt les partis chrétiens-démocrates, plutôt localisés à droite initialement, qui ont introduit les systèmes d'assurance sociale grâce à un consensus suffisamment large sur la base du système. Dans certains pays, comme en Finlande, la proposition d'un revenu de base, initialement portée par les écologistes et la gauche du parti social-démocrate qui sont tous deux dans l'opposition aujourd'hui, est désormais relayée par le « parti des vrais Finlandais », membre le plus à droite de l'actuelle coalition gouvernementale qui a pourtant mis cette mesure-là à l'ordre du jour. Certes, des différences se sont faites jour entre les différentes versions, mais la question n'est pas tant celle du montant que celle de savoir ce que l'on remplace. Sur le fond, il s'agit d'un défi permanent. Nos démocraties sont rythmées par les échéances électorales, dans certains pays plus particulièrement. En Suisse, la dynamique est profondément différente de celle que l'on trouve en France, puisque ce pays est doté d'une assemblée et d'un gouvernement constitués à la proportionnelle où toute forme d'alternance est empêchée, puisque tous les partis se trouvent représentés dans le Conseil fédéral.

Comme vous l'avez souligné, le montant évoqué pour l'allocation universelle ne changera pas grand' chose à la situation des ménages les plus défavorisés. Or, pour ceux-ci, des changements surviendront, en raison du nombre de personnes qui ne font pas valoir leurs droits à un certain nombre de transferts. France stratégie a publié un rapport dans lequel il était indiqué qu'en France, la moitié des ayant-droits du RSA-socle ne faisait pas valoir ses droits. Le taux de pauvreté en Suisse est de 7,5 %, alors que seuls 2,5 % des personnes disposent de l'aide sociale, soit un taux de non-versement extrêmement important. Le fait d'avoir formellement droit à quelque chose ne signifie pas qu'on fait effectivement valoir ses droits. Les personnes qui sont dans cette situation sont les plus démunies également en matière d'information et le revenu universel induit une réelle différence. Mais, outre cette question des ayant-droits, le fait que ce revenu soit un socle et non un filet, c'est-à-dire qu'il soit combinable avec d'autres prestations ou revenus, instille une dynamique et une plus grande liberté quant au choix d'activités. Il permet également aux ménages de sortir de l'exclusion puisqu'il est possible de cumuler sans limite leur socle avec des revenus du travail, fût-il à temps partiel. C'est là une différence dynamique, et non statique, avec notamment le RSA.

L'allocation universelle, telle que je la conçois, n'a pas vocation à se substituer au système en vigueur. Loin de n'être qu'une seule allocation pour tous, elle constitue est un socle qui peut se substituer entièrement à certains transferts, si ce socle est suffisamment important. En particulier, les couples, qui sont actuellement au revenu conditionnel dans certains pays, n'auront plus besoin d'une intrusion quelconque dans leur vie privée pour savoir s'ils ont droit à quelque chose. En revanche, pour toutes les propositions sérieuses d'allocation universelle, ce sera insuffisant pour pouvoir en vivre, si l'on vit seul dans une ville où le coût du logement est très élevé. Pour ces personnes-là, il faudra un complément et qu'un travailleur social s'occupe de leur situation n'est pas une mauvaise chose, car cette démarche permet de rompre l'isolement dans lequel elles sont bien souvent confinées.

L'allocation universelle induit également une simplification pour deux raisons. D'abord, en partie parce que les allocations, ou certains avantages fiscaux qu'il est parfois plus difficile d'obtenir, sont plus faibles que son montant. Ensuite, parce qu'il s'agit d'un socle qui permet de sortir de cette situation d'ayant-droits conditionnels, du fait de la possibilité de combiner un revenu du travail.

Enfin, votre dernière question portait sur la compréhension par l'opinion de l'octroi d'une allocation universelle aux plus riches. Donner aux riches comme aux pauvres est en fait mieux pour les pauvres, car les riches paieront pour leur allocation universelle. On leur supprimera ainsi leur exonération pour les premières tranches d'impôt ainsi que les taux faibles s'appliquant aux tranches suivantes. S'il y a des gagnants nets du système, en particulier parmi les travailleurs à temps partiel, un ajustement fiscal devra être effectué. Par exemple, si l'on introduisait une allocation universelle en Belgique, je ne devrais pas me demander comment l'utiliser, parce qu'en fait, à la fin du mois, mon salaire serait certainement moindre que ce dont je dispose actuellement, car un professeur d'université, en fin de carrière et au barème maximal, figure parmi les 6 à 7 % des salariés les plus riches du pays. Je devrai ainsi contribuer au financement de cette allocation universelle. Mon incitation au travail sera-t-elle réduite ? Bien sûr que non ! Et ma réponse vaut également pour les autres personnes qui seront soumises à ce type de régime. Ce n'est pas qu'on gaspille en donnant aux riches. Il faut se garder d'une sorte de myopie, y compris parmi les personnes qui sont préoccupées par la réduction de la pauvreté, et réfléchir en termes d'équilibre général à l'effet comparé de ces deux dispositifs.

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