Intervention de Christophe Sirugue

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 23 juin 2016 à 16h15
Audition de M. Christophe Sirugue député auteur du rapport « repenser les minima sociaux — Vers une couverture socle commune » remis au premier ministre

Christophe Sirugue, député :

Après une telle introduction, la barre est haute !

Vous l'avez rappelé dans votre propos introductif, la mission qui m'a été confiée ne portait pas sur la mise en place d'un revenu universel, mais sur l'évaluation des différents minimas sociaux existants. Le rapport que j'ai remis au Premier ministre a donc consisté à étudier les dix minimas sociaux existants en France, et à faire quelques constats qui sont relativement préoccupants : si nous avons une couverture sociale extrêmement développée dans notre pays, force est de constater qu'elle est parfois difficilement accessible, très souvent injuste si l'on considère le fait qu'à ressources identiques on peut relever de dispositifs différents, et d'une grande complexité pour les personnes qui en sont les allocataires mais aussi pour ceux qui instruisent les demandes d'aide.

Nos minimas sociaux sont le fruit de notre histoire et de la réponse apportée à certains problèmes à différentes périodes. Ce sont donc des dispositifs juxtaposés, sans que personne n'ait cherché à organiser un quelconque lien entre eux. Ceci explique le manque de cohérence entre ces dispositifs. Par principe, ces minimas correspondent à des statuts : tel statut ouvre droit à tel minimum social. Ceci est une source d'iniquité importante, puisque les ressources de référence prises en compte dans le calcul des minimas sont différentes : certains sont soumis à forfait - par exemple, un forfait logement est pris en compte dans le calcul du revenu de solidarité active (RSA) -, les critères d'âge sont variables - parfois légitimement, pour ce qui est notamment de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) -, certains donnent lieu à des exonérations fiscales, d'autres non, certains ont un montant est un différentiel, d'autres un montant fixe...

Par ailleurs, les droits connexes, qui représentent parfois un apport complémentaire de revenus important, sont variables d'un minimum social à l'autre. Ces aides ont outre une connotation différente : personne ne reprochera à un allocataire de percevoir l'ASPA ou l'allocation adulte handicapée (AAH), alors qu'il existe des débats récurrents autour de la légitimité du RSA.

La commande du Gouvernement fixait à la mission qui m'a été confiée trois objectifs relatifs à l'accès au droit, à la simplification et à l'équité, et formulait deux recommandations : être vigilant quant à l'impact des évolutions proposées sur les opérateurs et essayer de réaliser une évaluation financière des propositions.

A l'issue de nos travaux, nous avons proposé trois scénarios. Un premier scénario que je qualifie de « paramétrique », essaie de tenir compte des dix minimas sociaux existants, sans remettre en cause la philosophie des minimas par statut. Ce modèle propose d'harmoniser les « bases ressources » des aides, les périodes de référence - actuellement cela peut aller de l'année n-2 jusqu'aux trois derniers mois -, de clarifier la question de leur individualisation ou de leur familialisation, et d'avancer sur la question de l'âge d'éligibilité - il s'agit en l'occurrence pour moi d'une réflexion qui doit valoir pour tous les scénarios.

Maintenir les minimas sociaux existants tout en essayant d'harmoniser leurs paramètres n'est pas un exercice aisé à opérer, surtout au regard de l'écart des sommes qui sont versées entre l'aide la plus faible, qui s'élève à 340 euros, et l'aide la plus élevée qui est de 807 euros.

Le deuxième scénario s'inspire de ce que préconisait la Cour des comptes : regrouper les minimas sociaux par « pôles ». Je n'ai pas complètement suivi la classification de la Cour, et je propose pour ma part cinq pôles : un pôle relatif au handicap dans lequel on retrouve l'AAH et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), qui semblent devoir faire l'objet d'une harmonisation ; un pôle concernant les personnes âgées, qui comporte l'ASPA ; un pôle relatif à l'aide en direction des demandeurs d'asile, qu'il me paraissait difficile de regrouper avec d'autres aides ; un pôle relatif au revenu minimum qui comprendrait le RSA, l'allocation veuvage, le revenu de solidarité dans l'outre-mer (RSO), ainsi que les autres dispositifs relevant de la même logique ; enfin, un pôle constitué par l'allocation de solidarité spécifique (ASS) .

Au départ, la commande était de fusionner le RSA et l'ASS, mais l'étude que j'ai menée montre que cela risquerait de faire un nombre de perdants substantiels chez les bénéficiaires de l'ASS. Je plaide toutefois pour une réforme de l'ASS qui est censée accompagner les demandeurs d'emploi en fin de droit et où l'on retrouve des personnes bénéficiaires depuis plus de dix ans. C'est une forme d'hypocrisie que d'avoir un dispositif qui accompagne les personnes jusqu'à l'âge de la retraite sans le dire. Je suis donc favorable à ce que l'on réduise la durée de versement de l'ASS à deux ans, période à l'issue de laquelle les personnes basculeraient vers le RSA.

Le troisième scénario, qui a ma préférence, consiste sortir de la logique de statut pour revenir au droit commun. Il s'agit d'avoir un socle de couverture commun permettant un traitement équitable des différentes situations qui en relèvent. Ce socle, de 400 euros, serait assorti de deux compléments : un complément pour les personnes dans l'impossibilité de travailler, qu'elles soient âgées ou handicapées, pour arriver à un montant comparable à celui de l'AAH et de l'ASPA ; un complément de 100 euros pour les personnes inscrites dans un processus d'insertion, ce qui permettrait une légère amélioration par rapport au montant actuel - hors forfait logement, le montant du RSA est de 477 euros. Surtout, ce dispositif serait totalement individualisé, ce qui fait permettrait une amélioration substantielle de la situation des personnes en couple.

La question qui se pose est de savoir comment revaloriser l'idée qu'on a vocation à sortir des minimas sociaux. Je suis frappé par le fait qu'on apprécie la question des minimas sociaux indépendamment des politiques d'insertion. Or, si les minimas sociaux ont toute leur utilité pour les personnes qui n'ont pas d'autre possibilité que de relever de ces dispositifs, il en est tout autrement des personnes dont notre devoir est de les amener à en sortir.

Cela pose la question des politiques d'insertion. Le constat, c'est qu'il y a un effondrement des moyens consacrés aux politiques d'insertion dans notre pays. Alors qu'au moment du revenu minimum d'insertion (RMI) il existait une obligation de consacrer 20 % de l'enveloppe de l'aide aux politiques d'insertion, cette obligation a disparu depuis. Un peu plus de 7 % des montants des allocations versées sont actuellement consacrés aux politiques d'insertion, alors même que nous aurions besoin d'actions fortes dans ce domaine.

Les politiques d'insertion sont essentiellement menées par les conseils départementaux, qui sont dans une situation financière difficile compte tenu des politiques sociales qu'ils mènent par ailleurs au profit des personnes handicapées, des personnes âgées et des personnes en situation d'exclusion. Mais je ne suis pas sûr que cela soit la seule explication de la baisse des moyens consacrés à l'insertion.

Ayant été président de conseil départemental, je m'autorise à être sévère avec les départements. Aujourd'hui, dans beaucoup de départements, les politiques d'insertion ne comportent plus d'éléments innovants. La plupart du temps, on se contente de continuer à financer les chantiers et les structures d'insertion existants ; parfois les subventions diminuent. Mais il n'existe quasiment plus d'innovation sociale en matière d'insertion. J'ai d'ailleurs échangé sur ce point avec le président de l'Assemblée des départements de France. J'ai donc proposé que le paiement du RSA soit renationalisé ou recentralisé - mais pas intégralement afin qu'il reste une forme d'incitation en direction des départements - au risque de voir sinon cette politique publique nationale être déclinée très différemment d'un département à un autre. Les déclarations entendues ici ou là montrent que ce risque existe...

Une autre question importante et non réglée est celle du pilotage territorial du service public de l'emploi. Lorsque l'on regarde ce qu'il se passe sur nos territoires, je ne suis pas sûr que les difficultés résultent d'un manque de moyens. Si l'on considère les moyens de Pôle emploi, des missions locales, de Cap emploi, des maisons de l'emploi, etc., je suis même intimement convaincu que c'est moins une question de moyens que d'organisation de l'action du service public de l'emploi. Cet élément n'a pas été clarifié : nous avons donné des compétences économiques aux régions, des compétences d'insertion aux départements, nous laissons émerger des agglomérations qui interviennent dans ces domaines, mais l'État continue de vouloir jouer un rôle sur l'ensemble de ces politiques. Or, la révision générale des politiques publiques (RGPP) étant passée par là, il ne reste plus beaucoup de personnel suffisamment formé dans les préfectures et sous-préfectures pour pouvoir appuyer l'action menée. Cela ne se produit que lorsqu'un sous-préfet est mobilisé sur ces questions et décide d'animer les choses.

Il me semble que le troisième scenario, qui permet de créer un socle unique, est un point de départ pour la mise en place éventuelle d'une allocation universelle.

Ce débat ne peut toutefois pas avoir lieu sans que soit posée la question de la fiscalité, qui dépasse le champ qui était celui de mon rapport.

Au-delà des questions techniques, il faudrait également s'interroger sur la finalité d'une telle allocation : s'agit-il d'un complément de revenu, d'une substitution aux dispositifs et allocations existants à dépense constante ou d'une transformation de notre système d'aides sociales ?

Mettre en oeuvre un revenu universel dont le niveau serait suffisant pour vivre poserait la question du rapport de notre société au travail.

Même si des expérimentations ont pu être menées à l'étranger, nous ne disposons pas aujourd'hui de retours d'expérience suffisants pour nous appuyer sur un modèle. L'exemple de l'Alaska, basé sur la rente pétrolière, est difficilement transposable, et l'expérimentation finlandaise n'est que partielle et présente une certaine incertitude juridique.

Quoi qu'il en soit, il est nécessaire, avant d'avoir un débat plus approfondi sur la question, de mettre en oeuvre un socle unique comme le propose le troisième scenario de mon rapport.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion