Intervention de Pascal Émile

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 22 septembre 2016 : 1ère réunion
Audition conjointe d'organismes gestionnaires de prestations sociales : — Mme delphine champetier directrice de cabinet du directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés cnamts ; - m. pascal émile directeur délégué de la caisse nationale d'assurance vieillesse cnav ; - m. bernard tapie directeur des statistiques des études et de la recherche et mme patricia chantin responsable des relations parlementaires et institutionnelles de la caisse nationale des allocations familiales cnaf ; - m. jérôme rivoisy directeur général adjoint en charge de la stratégie et des relations extérieures de pôle emploi.

Pascal Émile, directeur délégué de la Caisse nationale d'assurance vieillesse :

Deux grandes prestations relevant de l'assurance vieillesse sont susceptibles d'être impactées par une réflexion sur la question du revenu de base.

Premièrement, il s'agit, bien évidemment, de la plus importante, à savoir le minimum vieillesse, qui profite à environ 430 000 bénéficiaires chaque année. Je rappelle que, la plupart du temps, le minimum vieillesse est une allocation différentielle : il vient compléter la pension de retraite de base, fondée sur des cotisations, quand celle-ci n'est pas suffisante pour assurer le minimum vital, de manière à garantir une pension fixée aujourd'hui à 800 euros. Environ 2,4 milliards d'euros ont été versés en 2015 au titre de cette prestation.

Deuxièmement, il s'agit de l'assurance veuvage, qui a fait l'objet de nombreuses réformes successives. Je rappelle que ce système bénéficie aux veufs et aux veuves de moins de 55 ans - au-delà de cet âge, des mécanismes de pension de réversion peuvent prendre le relais. Cette prestation est aujourd'hui versée à 7 113 bénéficiaires, pour un montant d'environ 55 millions d'euros. Son montant maximal atteint 602 euros. Bien évidemment, visant une population âgée de moins de 55 ans, elle est éventuellement cumulable, sous un certain nombre de conditions, avec, par exemple, en cas de reprise d'activité, un complément de revenu de solidarité active - ou RSA. En revanche, elle est versée pendant deux ans au maximum ; en cela, il s'agit d'une prestation de relais qui s'apparente à des prestations que la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, alloue pour lutter contre l'isolement de certaines personnes, à l'instar de l'allocation de parent isolé ou de compléments familiaux divers et variés.

Toutefois, nous constatons que cette allocation transitoire, devant théoriquement favoriser le retour à l'emploi, n'a absolument pas de volet insertion associé. Ses bénéficiaires peuvent éventuellement prendre l'initiative de se tourner vers les départements pour bénéficier des dispositifs d'insertion existants à un autre titre.

J'insiste sur un troisième volet, parfois un peu méconnu : l'action sociale d'importance développée par la branche vieillesse du régime général, à hauteur d'un peu plus de 350 millions d'euros par an, à destination principalement des personnes âgées en difficulté, avec un objectif de politique publique de préservation de l'autonomie. Cette action n'a rien à voir avec la prise en charge de la dépendance par les départements. Pour prévenir la perte d'autonomie, nous menons des actions inter-régimes, bien évidemment en concertation avec les départements, dans le cadre de la nouvelle conférence des financeurs, de différente nature : aides individuelles à domicile, actions collectives, notamment via un certain nombre d'ateliers de prévention à destination des personnes âgées, financement de tout ce que l'on appelle « l'habitat intermédiaire » - foyers-logements, etc. - et de sa réhabilitation. Nos investissements pour accompagner la prise en charge des personnes âgées sont lourds. Ces volets d'action sociale sont fortement ciblés sur les personnes âgées les plus démunies, très souvent bénéficiaires des minima sociaux d'assurance vieillesse.

L'allocation universelle inconditionnelle a bien évidemment pour objectif de lutter contre la pauvreté. À cet égard, je rappelle que le minimum vieillesse a été, au cours de nombreuses décennies, un instrument majeur de lutte contre la pauvreté des personnes âgées. Si moins de personnes en bénéficient aujourd'hui, c'est bien parce que le système de retraite assurantiel est monté en charge et est arrivé à pleine maturité. Nous nous en réjouissons. Par exemple, les femmes, qui étaient les principales bénéficiaires du minimum vieillesse voilà une vingtaine d'années, ont aujourd'hui des carrières qui leur permettent de bénéficier de niveaux de pension tout à fait satisfaisants.

Le minimum vieillesse a donc vraiment, et depuis très longtemps, un effet de levier majeur des politiques de lutte contre la pauvreté. Il remplit pleinement son rôle.

En comparaison, on peut regretter que l'allocation veuvage, qui contribue elle aussi à assurer un minimum d'existence, ne soit totalement déconnectée de logiques permettant, en particulier, de favoriser le retour à l'emploi par le versement d'une allocation temporaire et ne s'inscrive pas du tout dans une dynamique de progression. Ce constat nous semble tout à fait important.

Enfin, il nous est parfois un peu difficile de nous prononcer sur le périmètre de ce que doit recouvrir un éventuel revenu de base. On voit que la définition de celui-ci peut être extrêmement large : il s'agit même parfois d'englober tous les types de prestations pour aboutir à un minimum de base. Les autres registres de prestations ne viendraient alors se déclencher que de manière complémentaire.

Pour revenir sur chacune des prestations qui nous concernent, nous n'avons bien évidemment aucun mal à imaginer que l'allocation veuvage puisse, demain, être gérée tout à fait différemment : elle relève, pratiquement, d'une autre logique.

Cependant, il nous faudra régler, à son sujet, quelques petites difficultés connexes. Ainsi, assez curieusement, cette prestation de solidarité n'est pas soumise à condition de résidence : sur plus de 7 000 bénéficiaires de l'allocation veuvage, environ 2 900 vivent à l'étranger. C'est l'une des données du problème.

L'assurance veuvage a pour autre particularité d'être financée par la cotisation d'assurance vieillesse. La cotisation spécifique d'assurance veuvage qui existait avant 2003 a été intégrée dans la totalité des cotisations d'assurance vieillesse. Ce mécanisme de financement ne permet donc pas de l'assimiler complètement à une prestation de solidarité : c'est une prestation de solidarité délivrée par le système assurantiel à l'intérieur de son propre système de cotisations.

Cela dit, ces difficultés sont bien évidemment tout à fait surmontables.

Pour ce qui concerne le minimum vieillesse, une des difficultés réside dans le fait qu'il consiste, dans l'essentiel des cas, en le versement d'une prestation différentielle : les assurés perçoivent un complément parce que les droits propres qu'ils se sont constitués au titre de leurs cotisations sont insuffisants - par exemple, la durée de cotisation ne leur permet pas de bénéficier d'un taux plein.

Nous devrons donc nous interroger sur la ligne à adopter en matière de financement, entre système de nature assurantielle et prestation de solidarité. Aujourd'hui, le système est financé par le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, auquel nous adressons chaque année une facture. De très nombreux rapports le décrivent comme extrêmement complexe. En tout état de cause, la question se posera, quel que soit le dispositif.

Enfin, nous nous interrogeons sur l'accès aux droits.

Je pense tout d'abord à la question de la continuité des droits qui se pose de manière quasi permanente, même si les organismes se coordonnent au mieux. Ainsi, l'accès à l'allocation de solidarité aux personnes âgées, l'ASPA, qui représente l'essentiel du minimum vieillesse, peut intervenir à différents âges : 62 ans en cas d'invalidité, 65 ans et 67 ans à la suite des réformes intervenues en matière de retraite.

Alors que les systèmes d'assurance vieillesse corrèlent de plus en plus la durée de cotisation à la durée de versement d'une pension - tous les systèmes sont aujourd'hui structurés de cette manière -, nous nous posons une question fondamentale : sur ces prestations de solidarité, l'équivalence de durée et la limite d'âge ont-elles toujours un sens ? Faut-il faire dépendre d'un simple critère d'âge lié aux réformes des retraites la bascule dans le minimum vieillesse ou faut-il se doter de règles différentes, le rapport à l'emploi se posant différemment pour des personnes en situation d'invalidité, de handicap ou durablement éloignées de l'emploi à des âges avancés ?

Par ailleurs, le revenu de base est parfois défini comme un revenu socle, versé avant toute autre prestation. Veillons toutefois au respect des grandes logiques qui traversent nos systèmes : le système de l'assurance vieillesse, les systèmes de retraite au sens large sont des systèmes relativement sophistiqués, mais pilotés sur la base de paramètres tout à fait structurants en France comme dans l'ensemble des pays européens. Les critères de durée de cotisation, les lignes de partage entre vie active et retraite, les montants de revalorisation des pensions et des cotisations sont autant de paramètres qui permettent effectivement de piloter l'ensemble d'un système de retraite.

Tout système socle qui se positionnerait en amont de l'ensemble de la distribution des prestations pour les personnes âgées viendrait assez fortement percuter la manière dont les systèmes de retraite sont pilotés. Or, en vertu du consensus actuel, la retraite au sens général est un salaire différé, basé sur des cotisations et de plus en plus proportionné au montant des cotisations versées. La logique n'est donc pas tout à fait la même ! Le capital investi, même s'il est redistribué immédiatement, donne un droit à créance à terme. Dès lors, la mise en place d'un revenu de base qui emporterait, par exemple, un minimum de 600 ou de 800 euros par mois et d'une retraite qui n'interviendrait que complémentairement changerait donc l'ergonomie générale du système d'assurance vieillesse en France.

Pour terminer, j'évoquerai les questions de « grande » simplification. Du rapport de Christophe Sirugue et d'un certain nombre de débats se dégagent trois grandes options : l'amélioration immédiate du fonctionnement des minima sociaux, la fusion d'un certain nombre d'entre eux et la refonte de l'ensemble des minima dans le cadre d'un revenu de base.

En ce qui concerne l'amélioration immédiate du fonctionnement des minima sociaux, mes collègues des autres secteurs de la protection sociale seront d'accord pour dire qu'ils sont marqués aujourd'hui par une complexité redoutable, laquelle ne sert bien évidemment pas la lisibilité de l'ensemble de ces prestations pour nos concitoyens, voire handicape leur accès aux droits.

Nous validons les propositions relatives aux portails d'accès pour favoriser la simulation et l'accès aux droits. Nous insistons sur l'importance de la simulation : l'accès aux droits n'est imaginable que dès lors que le citoyen est en capacité de se demander par lui-même s'il remplit les conditions requises pour bénéficier d'une prestation. Cet axe nous semble important.

Par ailleurs, et c'est sans doute l'un des aspects les plus techniques et complexes du problème, il convient de rapprocher les règles de gestion des différents opérateurs de minima sociaux. Chaque opérateur a des règles qui lui sont propres. Bien évidemment, la question des montants est à cet égard tout à fait symptomatique. Je pense également à la question des pièces justificatives partagées, sur laquelle nous sommes en train de progresser, même si le chantier demeure important, mais aussi à la question de la continuité des droits par automatisme de transferts. Aujourd'hui, pour opérer la bascule depuis une allocation aux adultes handicapés, une pension d'invalidité ou une situation de chômeur en fin de droits vers une pension de retraite, nous demandons à nos assurés d'effectuer une multiplicité de démarches, alors qu'un certain nombre de systèmes, nécessitant une transformation de la réglementation, nous permettraient sans doute assez aisément de passer à une bascule automatique en matière d'ouverture de droits - je rappelle que, pour l'heure, la plupart de nos droits sont quérables.

Enfin, je veux évoquer le sujet absolument récurrent pour chacune de nos institutions de la nature des ressources prises en compte et de la fréquence de leur fourniture. Cette question est majeure et le restera dans toutes les situations. Chaque caisse demande que lui soient communiqués à intervalles réguliers la nature et le montant des revenus à prendre en compte pour le versement des prestations, mais cet intervalle est tantôt de trois mois, tantôt d'un an, tantôt de deux...

À ce sujet, vous savez sans doute que le minimum vieillesse, pour lequel existent des problèmes d'accès au droit, est récupérable sur succession au-delà d'un certain plafond, plafond applicable même en cas de livret A agréablement fourni. Dès lors, cette règle est, pour nous, un obstacle tout à fait important.

Nous voyons dans la création d'une base de ressources unique et la définition de règles de gestion appuyées sur des réglementations beaucoup plus homogénéisées un moyen simple et plutôt de court terme d'aboutir à un meilleur fonctionnement des différents minima sociaux en les laissant peu ou prou en l'état.

Pour ce qui concerne la deuxième option, qui consiste à fusionner un certain nombre de minima sociaux, nous estimons, vous l'avez compris, que l'assurance veuvage relève d'une autre logique et qu'elle a vocation à fusionner, par exemple avec un RSA renouvelé. Quelle que soit la prestation retenue in fine, cette piste nous paraît devoir être explorée.

Enfin, la refonte totale de l'ensemble des minima sociaux dans le cadre de la mise en place d'une couverture socle soulève un certain nombre des questionnements, que j'ai commencé à évoquer. Cette troisième option nécessitera, nous semble-t-il, une investigation approfondie. En effet, conduire des réformes d'une telle envergure sans disposer d'étude d'impact extrêmement détaillée nous paraîtrait relativement risqué.

Pour terminer, en matière d'assurance vieillesse, oui, la rationalisation de la gestion est nécessaire. Elle doit avant tout se traduire par une simplification pour l'usager. Le back office et ses complexités relèvent de la salade interne ! Si l'on peut bien évidemment gagner un peu d'argent sur ce plan, je rappelle que, s'agissant du minimum vieillesse au sens large, la gestion de l'ASPA représente à peu près 1 % des quelque 110 milliards d'euros de prestations vieillesse que nous versons chaque année et environ 3 % de nos bénéficiaires. Il ne faut donc pas espérer un abaissement des coûts de gestion extrêmement significatif, quelle que soit la nature des évolutions qui seront engagées. En revanche, l'enjeu de simplification pour les assurés est, lui, absolument majeur.

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