Intervention de Jérome Rivoisy

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 22 septembre 2016 : 1ère réunion
Audition conjointe d'organismes gestionnaires de prestations sociales : — Mme delphine champetier directrice de cabinet du directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés cnamts ; - m. pascal émile directeur délégué de la caisse nationale d'assurance vieillesse cnav ; - m. bernard tapie directeur des statistiques des études et de la recherche et mme patricia chantin responsable des relations parlementaires et institutionnelles de la caisse nationale des allocations familiales cnaf ; - m. jérôme rivoisy directeur général adjoint en charge de la stratégie et des relations extérieures de pôle emploi.

Jérome Rivoisy, directeur général adjoint en charge de la stratégie et des relations extérieures de Pôle emploi :

Je veux d'abord rappeler le cadre général qui met Pôle emploi en relation avec les bénéficiaires de minima sociaux, puis passer en revue les questions liant notamment revenu de base, minima sociaux et retour à l'emploi qui peuvent se poser.

Pôle emploi est concerné par deux minima sociaux : l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, prestation d'indemnisation versée aux personnes ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage, dont les règles sont fixées par l'État et le calcul et la gestion assurés par Pôle emploi, et le RSA, à travers les actions d'accompagnement de ses bénéficiaires.

L'ASS, qui est susceptible d'être concernée par une éventuelle simplification ou par une fusion avec d'autres minima sociaux, mais qui relève de l'État, est versée mensuellement aux demandeurs d'emploi qui ont épuisé leurs droits à l'allocation chômage, justifient d'au moins cinq ans d'activité salariée et disposent de ressources inférieures à un plafond défini en fonction de leur situation conjugale. Elle est renouvelée tous les six mois après vérification de satisfaction des conditions de ressources sur les douze derniers mois et n'a pas de durée limitée. Elle permet d'ouvrir des droits à la retraite définis sous forme de trimestre, un dispositif d'intéressement étant prévu en cas de reprise d'emploi.

En juin 2016, on comptait environ 460 000 bénéficiaires de l'ASS, toutes catégories confondues. Parmi ceux-ci, 47 % avaient plus de 50 ans, 40 % la touchaient depuis plus de deux ans et 10 % depuis au moins huit ans. Les allocataires de l'ASS en bénéficiaient depuis 1 307 jours en moyenne, soit trois ans et demi. On observe une corrélation assez forte entre la durée de versement et l'âge des allocataires. J'insiste sur ce point, le minimum social ou le revenu de base n'étant pas forcément le paramètre central d'un retour à l'emploi.

Des économistes vous ont peut-être déjà rendu compte des études qui ont été réalisées pour observer notamment les effets d'incitation au retour à l'emploi de la durée d'indemnisation et du versement d'un revenu de base. Ainsi, une évaluation conduite préalablement à la généralisation du RSA n'avait pas vraiment pu mettre en évidence d'effets « désincitatifs » au retour à l'emploi. Il n'a pas été démontré que le versement d'un revenu minimum était de nature à prolonger une inactivité.

Nous verrons d'ailleurs que la question du revenu est importante dans l'aide à la recherche d'emploi. Il existe d'autres aides susceptibles de venir s'ajouter à un revenu de base qui peuvent avoir un effet incitatif au retour à l'emploi. Pôle emploi en verse quelques-unes. Je pense notamment à ce que l'on appelle, dans notre réglementation interne, les « aides à la mobilité » ou les « aides à la recherche d'un premier emploi » pour les jeunes qui peuvent effectivement constituer un levier plus incitatif qu'un revenu de base en matière de recherche d'emploi.

Ce qu'il est important de noter pour les bénéficiaires de l'ASS - avant d'évoquer ceux du RSA -, qui ont des difficultés de nature sociale à reprendre pied sur le marché du travail, c'est que pour favoriser leur retour à l'emploi, ce sont effectivement les actions d'accompagnement, au-delà du revenu, qui peuvent être couronnées de succès ou non et leur permettre de retrouver un emploi plus ou moins durable.

Cet accompagnement est le coeur de métier de Pôle emploi, au-delà du calcul et du versement de l'allocation de solidarité spécifique. Aujourd'hui, dans le cadre de notre offre de services tendant à une individualisation du suivi des demandeurs d'emploi, ces bénéficiaires occupent une place importante dans ce que nous appelons l'accompagnement intensif ou renforcé, pour lequel les conseillers consacrent un temps d'accompagnement plus important, ce qui est logique. Nous avons aussi considéré que des actions complémentaires étaient indispensables pour se donner une chance de garantir le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. C'est dans ce cadre que Pôle emploi a contractualisé une démarche d'accompagnement global avec des conseils départementaux. Ils sont 96 à avoir signé une convention avec Pôle emploi, d'une part, pour agir en matière d'accompagnement à l'emploi - c'est le métier de Pôle emploi -, d'autre part, pour lever toute une série de difficultés sociales par l'action combinée des travailleurs sociaux et des départements. Cette action est de nature à optimiser les chances de retour à l'emploi au-delà de la question du versement d'un revenu comme le RSA.

Pour ce qui des demandeurs d'emploi bénéficiaires du RSA, ils étaient en juin dernier un peu plus de 718 000, toutes catégories de demandeurs d'emploi confondus - A, B et C - ; 48 % des bénéficiaires du RSA étaient inscrits depuis au moins un an, 29 % depuis deux ans et plus. En ce qui concerne leur niveau de formation, ils étaient 67 % à avoir un niveau de formation inférieur au bac - 70 % pour les bénéficiaires de l'ASS, chiffre très proche. Pour ce qui est de la prise en charge par Pôle emploi au titre de ses actions d'accompagnement, ils étaient plus de 27 % à être en accompagnement intensif, 24 % en accompagnement renforcé et 3,4 % en accompagnement global.

Pôle emploi est donc concerné potentiellement au travers de deux minima sociaux par les réformes que les pouvoirs publics pourraient engager sur ce sujet. Dans l'aide à la recherche d'un emploi, la question du revenu existe, mais elle n'est pas forcément centrale.

Monsieur le président, vous avez mentionné tout à l'heure l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », action à laquelle Pôle emploi est associé de par la loi : cette démarche expérimentale est davantage centrée sur la sélection de territoires extrêmement ciblés, plutôt de petite taille, et dans lesquels la recherche d'une insertion rapide des demandeurs d'emploi, identifiés par Pôle emploi dans la plupart des cas - qu'ils soient inscrits ou non -, passera non pas tant par une mobilisation de revenus que par l'identification sur ces territoires d'opérateurs économiques - entreprises ou autres - susceptibles de proposer des emplois considérés comme additionnels ou supplémentaires, pour les faire émerger avec une mise en adéquation très fine entre des demandeurs d'emploi éloignés de l'emploi ; c'est un besoin économique latent qui ne serait pas satisfait par d'autres opérateurs économiques. L'un des enjeux de cette expérimentation est bien de montrer que ces emplois ne se substituent pas à d'autres emplois latents dans le tissu économique et de voir, sur une période de cinq ans, comment cette mise en adéquation entre cette offre et cette demande peut être couronnée de succès sur la durée, indépendamment des questions d'allocations ou de revenus, puisque ces demandeurs d'emploi pourront se trouver dans des situations différentes au regard de leur indemnisation.

S'agissant de la question des revenus au regard du retour à l'emploi des publics qui en sont éloignés, des études économiques portant aussi bien sur la durée d'indemnisation que sur le versement de minima sociaux tels que le RSA n'ont pas permis de conclure de manière très claire à un quelconque effet « désincitatif ». On peut penser alors que le versement un jour d'un revenu minimum universel ou socle serait sans impact négatif sur le retour à l'emploi - reste à voir quel serait son montant.

Pôle emploi, en complément des mesures d'accompagnement existantes, peut attribuer des aides financières au retour à l'emploi qui peuvent être un coup de pouce clé à un moment donné du parcours de recherche d'emploi. Le conseil d'administration de Pôle emploi bénéficie, de par la loi, d'une sorte de quasi-pouvoir réglementaire encadré qui lui permet de verser des aides à la mobilité - toujours versées sous condition de ressources sur la base d'un barème national -, qui peuvent prendre la forme de bons de transport SNCF, de bons de réservation, de bons d'aide à la mobilité non ciblés sur un transport en particulier - c'est plus exceptionnel - pour la prise en charge des frais de déplacement pour se rendre par exemple à un entretien, dans une limite de 150 euros. De même, il est possible de financer les permis de conduire des publics en difficulté financière. Cette aide, attribuée sous conditions de ressources, d'un montant maximum de 1 200 euros et versée par Pôle emploi en trois fois, est de nature à débloquer des situations pour permettre plus facilement le retour à l'emploi.

Dans votre propos introductif, monsieur le président, vous disiez que le revenu de base pourrait avoir deux objectifs principaux : un objectif central d'amélioration de la protection sociale au titre de la réduction de la pauvreté et un objectif de retour au travail des personnes éloignées de l'emploi en assurant un socle de revenus, sans pour autant épuiser le sujet des aides et de la mobilisation des leviers pour aider les personnes les plus éloignées de l'emploi à retrouver du travail.

L'autre question que l'on peut se poser, et qui a été abordée par M. Émile, est la suivante : un revenu avec ou sans condition de ressources ? L'allocation de solidarité spécifique est versée aujourd'hui sous conditions de ressources, ce qui oblige à un travail de vérification selon un rythme semestriel. On peut effectivement imaginer qu'il serait plus simple pour les usagers, pour les bénéficiaires et pour les organismes versant la prestation que celle-ci soit sans condition de ressources. La forte variabilité du marché du travail, sa fragmentation, conduit de plus en plus de demandeurs d'emploi à enchaîner des CDD parfois de très courte durée. Si le revenu minimum était sous conditions de ressources, cela obligerait les bénéficiaires confrontés à une succession de contrats courts à produire des justificatifs selon des rythmes extrêmement fréquents. Parfois, on pourrait se retrouver avec des effets ciseaux dans le cas des allocations différentielles ou, a contrario, quand des séquences de chômage alternent avec des contrats courts.

L'objectif visé à travers ce revenu de base, ce revenu socle, ce revenu minimum est-il une celui d'une simplification, d'une plus forte intégration des minima sociaux ou, au contraire, s'agit-il de créer véritablement un revenu de base indépendant auquel s'ajouteraient le cas échéant des prestations spécifiques, qu'il faudrait redéfinir et revoir en fonction du montant de ce revenu de base ? Les actions vis-à-vis des usagers qui sont déjà en cours pour certaines d'entre elles et qui pourraient être encore intensifiées dans un très proche avenir vont dans le bon sens : je pense là à la mise en place de portails pour permettre un accès plus simple à l'information - Pôle emploi s'inscrit dans cette démarche pour éviter les phénomènes de non-recours et faire en sorte que les usagers connaissent mieux leurs droits -, à l'amélioration des interconnexions entre les organismes de protection sociale pour éviter, dans le cas des allocations soumises à conditions de ressources, de multiplier les remises de pièces justificatives.

Cette première étape de simplification ne serait pas nécessairement la plus aisée à franchir dans un premier temps - l'interconnexion des systèmes d'information entraînerait des surcoûts au début -, mais c'est une piste prometteuse sur la durée. L'harmonisation des règles de gestion entre les opérateurs et en matière de pièces justificatives pourrait jouer. En ce qui concerne Pôle emploi, les règles ne sont pas fixées par l'organisme de protection sociale : l'ASS dépend de l'État et les règles applicables au RSA ne relèvent pas de Pôle emploi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion