Intervention de Bernard Tapie

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 22 septembre 2016 : 1ère réunion
Audition conjointe d'organismes gestionnaires de prestations sociales : — Mme delphine champetier directrice de cabinet du directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés cnamts ; - m. pascal émile directeur délégué de la caisse nationale d'assurance vieillesse cnav ; - m. bernard tapie directeur des statistiques des études et de la recherche et mme patricia chantin responsable des relations parlementaires et institutionnelles de la caisse nationale des allocations familiales cnaf ; - m. jérôme rivoisy directeur général adjoint en charge de la stratégie et des relations extérieures de pôle emploi.

Bernard Tapie, directeur des statistiques, des études et de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales :

Non seulement il y a plusieurs seuils, mais en plus ils ne sont pas très rationnels : quand on passe de 200 euros à 250 euros de revenus, le taux marginal d'imposition baisse, tout simplement parce que les dispositifs n'ont pas été conçus pour s'impliquer les uns dans les autres.

Si l'on revient à la question d'un revenu garanti ou d'un revenu de base, de quoi parle-t-on ? On ne peut s'en tenir aux seuls minima sociaux, il existe des prestations qui viennent les compléter tout de suite : je pense, par exemple, aux allocations logement, que touchent un grand nombre de bénéficiaires des minima sociaux. Et puisqu'elles ne sont pas comprises dans la base ressources, il s'agit presque d'un supplément de minimum social pour les locataires.

Dans nos travaux d'analyse, nous avons scindé les prestations en prestations en direction des ménages modestes et prestations généralistes. Parmi les prestations en direction des ménages modestes, on distingue les allocations logement - environ 6 millions de bénéficiaires -, le RSA socle, la prime d'activité, l'AAH, la majoration pour la vie autonome, l'allocation de base, le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation de soutien familial, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé. Dans notre modèle de simulation, nous avons intégré l'allocation de solidarité aux personnes âgées.

Cela représente une enveloppe globale de 45,4 milliards d'euros. L'effet incitatif de l'ensemble ne semble pas très clair quand on effectue une simulation avec variation des revenus : parfois, un euro supplémentaire de revenus conduit à une baisse des prestations et à l'effet inverse juste après.

Plutôt que d'envisager un revenu de base, nous avons plutôt envisagé un revenu minimum garanti, en déterminant son montant possible, à enveloppe constante. Dans nos simulations, nous avons retenu 900 euros, et nous avons constaté que l'impact serait très fort sur la pauvreté : en retenant un seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian, on passerait de 8 % de la population à 2 %. Au moins sur cet objectif de politique publique de réduction de la grande pauvreté, cette manière de procéder serait intéressante.

Nous n'avons pas simulé un revenu universel garanti qui soit complètement uniforme, quelle que soit la situation du foyer : nous avons majoré ces 900 euros de 40 % dans le cas de la présence d'un handicapé, de 10 % dans le cas d'un parent isolé, inclus des majorations pour les enfants, certaines zones géographiques, etc.... Nous avons ainsi créé un revenu minimum garanti « familialisé » pour tenir compte de la situation du foyer qui pourrait en bénéficier.

Ce revenu mettrait fin à certaines incohérences du système actuel. Par exemple, aujourd'hui des foyers des déciles 5, 6 et 7 qui bénéficient actuellement de l'allocation logement n'en bénéficieraient plus. Elles en bénéficient pour des raisons liées à la réglementation : les ressources qu'on considère pour l'allocation logement sont les ressources de l'année n-2 ; même si vos ressources ont évolué entre-temps, vous pouvez donc continuer à bénéficier de l'allocation logement. Toutes ces anomalies ou scories dues aux différentes réglementations disparaîtraient pour une plus grande cohérence dans la distribution de ces prestations.

Comment passe-t-on à un revenu universel ? La première solution consiste à dire que ces 900 euros « familialisés » pourraient être versés à tout le monde, ce qui serait beaucoup plus coûteux qu'un revenu minimum garanti. Par conséquent, il faudrait mettre en place un prélèvement. Nous avons retenu l'hypothèse d'une flat tax, d'un taux forfaitaire de 40 % sur les revenus, c'est-à-dire en fait à la base « ressources » du RSA. Coût : entre 440 et 450 milliards d'euros.

Toujours est-il que ce n'est pas le coût réel, puisque des gens vont recevoir 900 euros « familialisés » tout en étant ponctionnés de ces 40 %. Pour une grande partie de la population, ce sera neutre, c'est-à-dire qu'ils seront ponctionnés à peu près de ce qu'ils recevront. En gros, à partir du décile 5 jusqu'au décile 9, le système est quasi neutre. Évidemment, le décile 9 se retrouvera très affecté par ce prélèvement sur les revenus et les déciles du début de distribution bénéficieront à plein des 900 euros et seront très peu ponctionnés.

Ce qu'il faut donc regarder, ce n'est pas le coût du prélèvement, mais le coût pour les perdants, ceux qui vont devoir contribuer à ce versement à tous de 900 euros. Ce coût est de 100 milliards d'euros ; c'est le montant de l'effort redistributif que doit consentir le pays, en particulier les personnes des déciles 8, 9 et 10, pour pouvoir assurer ce revenu universel de base s'il est financé de cette manière.

Nous avons étudié un deuxième scénario, celui d'un revenu universel de base quasi fictif. Il consisterait à verser 900 euros à tout le monde, mais pour ceux qui n'avaient pas ce revenu, on ponctionnerait leurs ressources de telle manière qu'ils le perçoivent réellement - ceux qui n'ont pas de ressources recevront 900 euros, et à ceux qui ont 50 ou 100 euros de ressources, on versera les 900 euros mais leurs ressources seront ponctionnées au titre du financement du revenu universel. Tous les autres seront ponctionnés exactement du revenu de base. Et donc le coût est exactement le même que celui du revenu universel garanti, à savoir 45 milliards d'euros.

En fait, il est possible de procéder progressivement. On peut partir exactement de l'effort de redistribution d'aujourd'hui et dire qu'on crée un revenu minimum garanti. On pourra l'appeler revenu de base dès lors qu'on se sera mis d'accord sur la manière dont il est financé. Dans un second temps, il sera possible de faire varier la manière dont ce revenu de base est financé pour rendre ce financement plus progressif, et non forfaitaire.

De ces travaux exploratoires, nous tirons trois conclusions.

Premièrement, il nous semble qu'une fusion des prestations versées aux ménages modestes permettrait de clarifier les objectifs de politique publique assignés aux prestations versées à ces ménages. Fusion pour faire soit un revenu garanti, soit une allocation unique d'activité : nous avons aussi étudié la possibilité de procéder par analogie avec la prime d'activité, c'est-à-dire de prévoir un montant forfaitaire de base, les gens gardant ensuite, en fonction de leurs ressources, 50 % de ce qu'ils ont gagné pour les inciter au travail.

Deuxièmement, en termes de simplification et de gestion, nous savons gérer la prime d'activité par un accès direct par internet, et la déclaration sociale nominative nous permettra un accès simplifié aux ressources. Il nous semble que la partie revenu universel garanti serait gérable dès lors que les Français concernés accepteraient de faire une déclaration trimestrielle de ressources. Ainsi, en ce qui concerne la prime d'activité, le niveau d'acceptation est très haut comme le montre le doublement du taux de recours entre le RSA activité et la prime d'activité alors que la prestation a assez peu varié finalement. La manière de dispenser le droit, c'est-à-dire de permettre aux gens de procéder depuis chez eux, est essentielle et cette modalité de dispensation serait finalement assez efficace pour garantir le recours.

Troisièmement, si l'on dit qu'il est souhaitable de fusionner l'ensemble des prestations versées aux ménages modestes - vous avez noté que je n'ai pas parlé des allocations familiales -, le passage au revenu universel de base est un passage simplement « paramétrique », dans la manière dont on le finance ; ce n'est pas un big bang.

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