Intervention de Martin Hirsch

Mission d'information Revenu de base — Réunion du 22 septembre 2016 à 14h05
Audition de M. Martin Hirsch directeur général de l'assistance publique — Hôpitaux de paris ancien haut commissaire aux solidarités active

Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, ancien Haut-commissaire aux solidarités active :

C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre mission et je sais d'expérience comment les réflexions du Sénat peuvent se traduire en réformes, puisque la plupart de celles auxquelles j'ai pris ma part ont été précédées par des travaux de la Haute Assemblée : le RSA, avec la mission de Mme Létard, le service civique, issu d'une proposition de loi sénatoriale, l'Agence sanitaire, elle aussi née sous les auspices de votre assemblée.

Le revenu de base ne me pose aucun problème en théorie : si j'étais gouverneur de la planète Mars et qu'il fallait y implanter une politique de revenus, j'opterais pour le revenu universel sans hésiter. En revanche, dans un pays tel que le nôtre, le coût de transition serait tel, que la mise en place du revenu universel nous conduirait à s'écarter de réformes nécessaires : les réserves que j'exprimerais sont donc d'abord d'ordre pratique.

Le revenu de base a trois objectifs principaux : lutter contre la pauvreté ; intégrer socialement les individus, en facilitant le recours à l'activité quelle qu'elle soit, bien au-delà du seul travail salarié ; simplifier, harmoniser et rendre plus équitable notre système de prestations et d'aides sociales. Nous partageons tous le constat que, sur chacun de ces trois objectifs, il y a beaucoup de travail à faire dans notre pays. Nous consacrons une part record de notre richesse nationale à la lutte contre la pauvreté, mais notre pays compte autant sinon davantage de pauvres que dans les pays comparables. Sur l'emploi et l'activité, le constat est le même : celui d'un rendement faible de nos politiques publiques. Enfin, la simplification de notre système est un impératif, auquel nous nous étions déjà attelé avec le RSA.

Quand nous avions conçu le RSA, nous étions partis du constat que la lutte contre la pauvreté ne dépendait pas que de l'État mais aussi des entreprises et des collectivités publiques dans leur ensemble - qui, chaque ensemble pris séparément, proposaient des mesures contradictoires entre elles ; nous avions donc commencé par réunir ces diverses parties autour d'une même table et le consensus s'était alors établi sur l'idée que le système devait être neutre sur le coût du travail et que chaque heure travaillée devait rapporter des revenus supplémentaires, quel que soit le niveau de revenu ; nous avions constaté que les règles d'alors ne répondaient pas à ces exigences et nous avions réfléchi aux façons d'y parvenir, pour être plus efficace contre la pauvreté, pour l'insertion par le travail et l'activité - et pour que l'ensemble de notre système soit plus simple et lisible.

Nous avions amorcé la simplification en regroupant dans le RSA l'ex RMI, des primes, l'allocation spécifique de solidarité (ASS) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), mais pas la prime pour l'emploi (PPE) ni les aides personnalisées au logement (APL). Nous avions pourtant souligné combien toutes ces aides avaient des temporalités et des modes de calcul différents, au prix d'un décalage avec les faits générateurs et d'effets indésirables - le plus connu étant l'effet inflationniste des APL sur le niveau des loyers : des études académiques ont démontré que les trois-quarts du montant des APL étaient captés par la hausse des loyers, ce qui pousse à prendre des mesures correctives comme l'encadrement des loyers, avec les polémiques que l'on sait et qu'on a encore vues dans le cadre de la loi Duflot. De leurs côtés, le calcul de l'ASS ne prend pas en compte la situation familiale et celui de l'AAH dissuade l'activité puisque les revenus ne sont pas cumulables.

La fusion des différentes aides paraissait aller de soi, elle faisait consensus, puis les oppositions se sont agrégées, de droite comme de gauche, pour des raisons parfois opposées, au point de laisser la réforme entre deux eaux.

Dans ces conditions et fort de cette expérience, je peux résumer ainsi mon propos : si le rapprochement et la rationalisation des aides sont indispensables pour rendre plus efficace la lutte contre la pauvreté et bien l'articuler avec l'activité et l'emploi, ces réformes sont complexes à conduire - bien trop complexes pour croire qu'on pourrait les traiter en passant à un revenu universel qui concernerait 60 millions de Français et le transfert de centaines de milliards d'euros. Il est paradoxal, du reste, de voir le revenu de base être proposé par des gens qui s'opposent à toute simplification de notre système, voire aux minimaux sociaux eux-mêmes...

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