Effectivement, le taux de non recours atteint 30 % pour le RMI, 30 % pour le RSA « socle » et 60 % pour l'ancien RSA « activité » ; il atteint même 85 % pour l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé... Pour le RSA « activité », un tel niveau a été voulu et maintenu sciemment : en 2008, la hantise était l'excès de recours et la pression était très forte pour instaurer des verrous, ce qui a été fait par décret. J'ai été ensuite en désaccord ouvert, quand on m'a refusé de lever ces verrous : il suffisait de rendre possible une levée annuelle, plutôt que trimestrielle, pour distribuer davantage de droits. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Il y avait la querelle de l'assistanat, mais aussi le fait que, grâce à la prime pour l'emploi, la PPE, quelques milliards d'euros ont pu être « récupérés » sur le dos des travailleurs pauvres.
Nous avions prévu de fusionner le RSA et la PPE : cela m'a été refusé. Nous avons ensuite proposé d'arrêter l'indexation sur trois ans, ce qui représentait un levier de 800 millions d'euros, afin d'abonder le RSA : nouveau refus, mais on nous a cependant accordé la moitié. Cette séquence représente un véritable hold-up : les gouvernements successifs ont littéralement volé les travailleurs pauvres en toute impunité - mais avec des effets réels pour les personnes lésées. Les malfaçons signalées n'ont pas été corrigées, au point qu'on est allé contre les objectifs initialement affichés - avant que la prime pour l'activité ne change la donne.
La question du non recours est complexe et se pose pour de nombreuses prestations, ce qui offre bien des marges de progression. Un exemple : on a choisi de ne pas passer par l'employeur pour le RSA « activité », ceci pour éviter de diffuser l'information, alors que ç'aurait été garantir l'accessibilité ; mais une solution technique était possible, qui concilie mieux l'exigence de discrétion et l'accessibilité aux droits.
S'agissant de l'expérimentation, j'y suis bien sûr favorable pour toutes les politiques publiques fondées sur des hypothèses qui reposent sur des comportements sociaux. Nous avons expérimenté le RSA pendant dix-huit mois, et la mission conduite par M. François Bourguignon a conclu que c'était un puissant levier de retour à l'emploi - je me souviens que le rapport estimait que les effets positifs sur le retour à l'emploi étaient dus « à 80% » au RSA. Autre exemple d'expérimentation et d'évaluation utiles : la Cour des comptes, après avoir examiné l'effet sur l'emploi du subventionnement du permis de conduire pour quelque 10 000 jeunes, a conclu qu'il était préférable de réformer le permis de conduire plutôt que de continuer à le subventionner...
Cependant, l'expérimentation du revenu de base me paraît difficile sur le plan méthodologique même, car il est censé produire des effets sur les salaires, ce qui suppose une application généralisée, de même que sur les prix - ce qui a son importance sachant que les plus pauvres paient davantage que les autres certains services, comme par exemple l'assurance. L'expérimentation risque bien de ne présenter qu'une partie des effets, ce qui en limite l'intérêt.