Intervention de Frédéric Goettmann

Mission d'information inventaire et devenir des téléphones mobiles — Réunion du 11 juillet 2016 à 14h05
Recherche et applications industrielles en matière de recyclage des téléphones portables — Audition

Frédéric Goettmann, président d'Extracthive :

Nous travaillons essentiellement pour le compte de nos clients, nous intervenons si le marché exprime une demande. Nous ne nous saisissons pas d'un sujet, comme pourrait le faire un laboratoire universitaire.

Nous travaillons sur les poussières de broyage des déchets électroniques, en partenariat avec deux sociétés. Lorsque quelqu'un a identifié une ressource dont il souhaite extraire la valeur, nous voyons ce que nous pouvons faire.

Aujourd'hui, la plupart des déchets électroniques sont rassemblés, démantelés à la main, puis en partie broyés. Ce n'est pas un broyage fin : les pièces ainsi obtenues mesurent quelques centimètres. Des opérateurs font ensuite le tri à la main. J'ai visité l'usine de traitement de déchets électroniques de Suez au sud de Lyon. Le fer est séparé de façon magnétique, tout le reste - morceaux de cartes électroniques, bouts de verre, de plastique, d'aluminium - est trié à la main par une dizaine d'opérateurs sur un tapis roulant.

Une telle organisation n'est pas possible pour les téléphones portables, les batteries, que l'on ne sait pas extraire, risqueraient de prendre feu, ce qui serait dangereux pour les opérateurs. Si on voulait mettre en place une filière dédiée aux téléphones, sachant qu'un certain nombre de constructeurs se donnent beaucoup de mal pour rendre difficile l'extraction des batteries, il faudrait mettre en place un broyage sous eau afin de gérer l'inflammabilité des batteries.

Une société française, ITHPP, basée en Dordogne, a développé un broyage par ultrasons qui fonctionne bien. Un tel broyage donnerait des composants plus fins. La technique de picking à la main ne fonctionnerait pas, il faudrait alors avoir recours à la chimie.

Les opérations de broyage à sec provoquent des poussières, lesquelles sont aspirées afin de protéger les travailleurs, avant d'être mises en décharges de déchets dangereux, ce qui coûte 400 euros la tonne. Nous avons analysé ces poussières : elles contiennent du platine et de l'or, dans des teneurs plus faibles que dans les téléphones, mais il est possible de les extraire grâce à des technologies de séparation malines. Nous sommes à cet égard en train de mettre en place un partenariat avec une société basée en Lozère afin d'y implanter une unité de traitement de ces poussières.

Le marché, je le répète, était demandeur. Nous avons vérifié que le traitement de ces poussières tenait la route d'un point de vue économique. Nous devons maintenant vérifier les volumes disponibles. Pour que le procédé soit rentable, il faudrait qu'on rassemble 500 tonnes de poussières par an.

J'en reviens au téléphone. Le volume de téléphones portables à recycler par an - 2 000 tonnes - est vraiment faible, sachant qu'une grosse partie de la masse est constituée de plastique et de verre. La partie valorisable est assez limitée.

Une usine traitant la moitié de ce volume - soit 1 000 tonnes par an - nécessiterait un investissement de plus de 2 millions d'euros et l'embauche d'une quinzaine de personnes. Son chiffre d'affaires pourrait s'élever à 10 millions d'euros. Il s'agit là d'une estimation au doigt mouillé. Pour traiter 2 000 tonnes, il faudrait créer une trentaine d'emplois. On peut faire le calcul dans l'autre sens. Les sociétés spécialisées dans le recyclage des métaux précieux ayant un rapport entre chiffre d'affaires et employé de l'ordre de 400 000 euros, dans l'hypothèse d'un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros, cela représenterait 50 emplois, soit le même ordre de grandeur.

Si on élargit aux déchets électroniques, les volumes sont bien plus importants, mais le problème aujourd'hui est que les sociétés qui disent faire du recyclage de déchets électroniques ne font que du broyage et de la séparation physique. Les cartes sont envoyées aux trois recycleurs du nord de l'Europe. Je ne connais pas de fondeur de cuivre en France. Toutes les approches hydro-métallurgiques n'ont pas encore atteint le marché.

Les chiffres concernant la collecte datent également. Sur les 20 millions de téléphones à recycler, on en récupère au mieux 2 millions, soit 10 %. Si les pouvoirs publics décidaient de se saisir sérieusement du problème, il faudrait convaincre les gens de rendre leur téléphone.

Autre difficulté, 70 % des téléphones collectés sont réexportés pour être réutilisés, dont 35 % vers le Nigeria. Les chiffres proviennent d'une interview d'Orange et d'O2, l'opérateur britannique.

Réutiliser un objet au lieu de le recycler est assez tentant en termes d'empreinte environnementale. Le problème est que les téléphones sont réutilisés dans des pays où l'on ne maîtrise pas ce qu'ils deviennent, y compris dans des pays avancés. Aujourd'hui, les déchets de Singapour sont incinérés, les laitiers étant utilisés pour créer une île artificielle dans la baie de Singapour. Singapour est aujourd'hui incapable de dire quelle quantité de cadmium, de nickel et de chrome se retrouve dans les poissons !

Vouloir favoriser le réemploi est une saine tentation, mais que faire du téléphone ensuite ? Il faut avoir à l'esprit qu'une très large partie des déchets échappe à la classification de déchet, qu'elle est exportée au loin et qu'on en perd la maîtrise.

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