Merci de m'accueillir. En l'absence de clergé dans l'Islam, le culte musulman s'est organisé autour d'une instance représentant le culte musulman de France : le Conseil français du culte musulman (CFCM) et les conseils régionaux du culte musulman (CRCM). En 1986, Pierre Joxe, ministre de l'intérieur, proposait un comité de réflexion sur l'Islam français. En 1999, Jean-Pierre Chevènement a accéléré le processus en lançant une grande consultation, l'istichara, réunissant les six grandes fédérations musulmanes, les six grandes mosquées de l'Islam de France et six personnalités qualifiées, afin d'esquisser une instance représentative du culte musulman. Nicolas Sarkozy l'a concrétisée en créant le CFCM, et les CRCM, en juin 2003. C'est un progrès sans précédent car l'institution regroupe les principales structures, mosquées, associations cultuelles ou culturelles. Les CRCM sont calqués sur les 22 anciennes régions. En Ile-de-France, on en compte trois : Ile-de-France Centre, avec Paris et la petite couronne ; Ile-de-France Est, avec l'Essonne et la Seine-et-Marne ; et Ile-de-France Ouest, avec le Val d'Oise et les Yvelines. Un CRCM existe aussi à La Réunion.
La force des CRCM et des CFCM, c'est l'élection de leurs membres. J'ai moi-même toujours été élu : entre 2005 et 2008 président du CRCM d'Ile-de-France Ouest ; depuis 2008, membre du Bureau du CFCM. Les personnalités qualifiées sont une minorité. Cette élection nous donne force, légitimité et crédibilité. Le CFCM est une institution représentative du culte musulman, non des musulmans de France.
Après trois ans de réflexion, en février 2013, la représentation au CFCM a été réformée. En 2003, le système prévoyait un grand électeur par 100 mètres carrés de mosquée, soit un à quinze délégués par lieu de culte. Désormais, trois types de mosquée sont définies : des petites, avec un délégué, des moyennes - entre 100 et 300 mètres carrés - avec trois délégués, et des grandes, avec cinq délégués. Donnent droit à un délégué supplémentaire les services rendus à la communauté : imam attitré, enseignement de la langue et de la religion, participation au dialogue interreligieux...
Ces délégués élisent leurs représentants régionaux et nationaux. Depuis 2013, le mandat est passé de trois à six ans. Nous avons instauré une présidence tournante et collégiale - deux ans pour chacune des trois fédérations arrivées en tête. Le recteur Dalil Boubakeur a présidé le CFCM de juin 2013 à juin 2015, je lui ai succédé et laisserai la place en juin 2017 à un représentant des musulmans d'origine turque. La passation est apaisée grâce au partage collégial des fonctions de président, vice-président, secrétaire général et trésorier entre les trois fédérations. Les luttes intestines des débuts sont dépassées, toute divergence se règle par la discussion.
Depuis sa création, la formation des imams et des cadres religieux fait partie des priorités du CFCM. L'imam est au plus près des fidèles ; il encadre et oriente, notamment les plus jeunes. Il faut distinguer la formation religieuse et théologique, assurée par les fédérations musulmanes, et la formation profane et généraliste, sanctionnée par un diplôme universitaire. L'expérimentation menée en 2008 à l'Institut catholique de Paris a été généralisée dans douze autres universités françaises, pour une formation à l'interculturalité et à la laïcité : fonctionnement des institutions, histoire des religions, de la laïcité... Six organismes assurent une formation théologique : la Grande mosquée de Paris, l'UOIF, le RMF, l'institut de Strasbourg - d'inspiration turque -, l'institut de Saint-Denis de la Réunion - le plus ancien - , et un institut en Rhône-Alpes (Mili Gorüs). Le CFCM s'est saisi de ces questions.
Le CFCM fixe pour les musulmans de France le début et la fin des mois du calendrier musulman - attendus pour connaître les dates du ramadan, du nouvel an, du Mawlid - par vision oculaire. En mai 2013, nous avions envisagé un calendrier lunaire basé sur des calculs scientifiques, ce qui aurait permis d'anticiper des jours de congés par exemple. Toutefois, une telle démarche nécessite un grand travail de pédagogie avant d'être acceptée. Nous avons maintenu les rencontres traditionnelles de la veille du début de Ramadan et de l'Aïd El Fitr (rupture du jeûne) dans l'ensemble des mosquées de France, et l'annonce solennelle et consensuelle par le CFCM du mois du ramadan après la « nuit du doute ».
Il est nécessaire de se coordonner pour l'Aïd-al-Adha (fête du sacrifice) ou l'Aïd El Kébir (grande fête). Les capacités des abattoirs étant limitées, le CFCM recommande d'étaler l'abattage sur les trois jours de l'Aïd al- Adha, et de pratiquer le sacrifice par délégation à des sacrificateurs agréés. Le sacrifice doit s'effectuer dans les abattoirs agréés par les pouvoirs publics, dans le strict respect de la réglementation en vigueur et des principes religieux qui régissent l'abattage rituel, en coordination avec le ministère de l'agriculture, les services vétérinaires des préfectures, la police sanitaire.... Notre travail pédagogique commence à porter ses fruits, et le fantasme de l'abattage dans la baignoire est dernière nous.
La capacité d'accueil de l'Arabie saoudite pour le pèlerinage à la Mecque (Hajj) est très limitée. Si les pays du Maghreb ont un contingent annuel de 25 000 pèlerins, les pays européens ne sont soumis à aucun quota. En France, 30 000 pèlerins effectuent le Hajj chaque année. Certains risques existent, et des pèlerins se plaignent des conditions d'accueil. Nous les accompagnons dans leurs relations avec les agences de voyage, pour obtenir des visas de l'ambassade d'Arabie saoudite en France - parfois délivrés à quelques heures du départ ! - et effectuons un travail de coordination avec le ministère des affaires étrangères, celui du tourisme, et le consulat de France à Djeddah.
Les prescriptions alimentaires du culte musulman - le halal - sont semblables à celles du culte israélite - le casher. Elles nécessitent de coordonner l'abattage rituel avec toute la chaîne - transformation, distribution - et de prendre en compte le bien-être animal. Le label halal doit respecter les prescriptions religieuses tant sanitaires que réglementaires.
Le CFCM a structuré en 2005-2006 les trois aumôneries musulmanes : armée, hôpitaux et prisons. L'aumônerie nationale et régionale pénitentiaire de France, créée en 2006, participe à la lutte contre la radicalisation mais manque de moyens pour faire face à ces défis : absence de statut, indemnité qui ne couvre même pas les frais de déplacement. Au bout de quelques temps, les vocations s'estompent...
Les aumôniers militaires, eux, sont bien structurés : ils ont des moyens, un grade dans la hiérarchie militaire, ils sont présents sur les opérations extérieures. Enfin, la soixantaine d'aumôniers hospitaliers apportent un réconfort moral et spirituel aux patients, notamment en fin de vie.
Nous avons travaillé avec le ministère de l'intérieur et l'association des maires de France sur la circulaire de 1991 préconisant la création des carrés musulmans. Dans les années 2000, de nombreux musulmans souhaitaient être enterrés dans leurs pays d'origine. La génération actuelle inhume de plus en plus ses proches sur le territoire, signe d'intégration.
L'islamophobie progresse, les musulmans sont souvent stigmatisés, leur religion présentée comme incompatible avec la laïcité ou la démocratie, voire comme une menace pour l'identité française. Si les musulmans de France acceptent la critique, ils récusent en revanche l'injure, la diffamation ou l'incitation à la haine raciale.
Le 17 juin 2010, le CFCM a signé avec le ministre de l'intérieur une convention-cadre pour un suivi statistique des actes antimusulmans. Rendons hommage aux pouvoirs publics qui les traitent sur un pied d'égalité avec les actes antisémites. Le 23 juin 2011, le CFCM a mis en place l'Observatoire national de l'islamophobie ; vous auriez tout intérêt à auditionner son président, M. Abdallah Zekri. On comptait 133 actes antimusulmans en France en 2014 ; ils ont triplé pour atteindre 429 en 2015, tout comme ont crû les actes antisémites et antichrétiens.
Le CFCM et ses fédérations ont organisé des colloques et des journées d'études sur la prévention de la radicalisation dès mai 2014, afin de comprendre les racines de la radicalisation, d'identifier les remèdes et les moyens de prévention, et d'établir des préconisations et des plans d'actions. La prochaine réunion de notre instance de dialogue, en mars, sera entièrement dédiée à la prévention de la radicalisation.
Le CFCM a mené des actions concrètes et innovantes. Nous sommes en train d'élaborer une charte halal établissant des critères à respecter.
Nous favorisons l'harmonisation des cursus de formation théologique et incitons les imams à s'inscrire dans les diplômes universitaires. Nous travaillons sur une charte de l'imam portant des engagements sur le discours auprès des fidèles qui devra respecter les valeurs et les lois de la République et être porteur des valeurs de tolérance de l'Islam. Le CFCM pourra ainsi délivrer une habilitation ou une recommandation à l'imam pour exercer sa mission - même si cela ne concernera pas les imams détachés par les pays musulmans (500 sur 2 500 lieux de culte en France). Cette certification devrait rassurer les mosquées, les mairies et le ministère de l'intérieur.
Nous entamons un travail de coopération et de partenariat avec la Coordination des agences de voyage, les associations, l'ambassade d'Arabie saoudite et établissons un guide du pèlerin avec un volet religieux et un volet sanitaire.
Pour prévenir la radicalisation, nous continuons d'organiser des colloques et des séminaires, au rythme d'un par mois, rassemblant responsables de mosquées, imams, aumôniers, responsables associatifs, historiens, sociologues, théologiens... Le dernier s'est tenu à Annemasse, le prochain se réunira en Haute-Normandie.
Nous renforçons l'accompagnement des victimes d'islamophobie ; la semaine dernière, on a relevé soixante impacts de balles lors de la fusillade à l'arme lourde contre une boucherie et un restaurant halal de Propriano ! Nous envisageons de développer des partenariats avec des organismes comme la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) ou la Délégation interministérielle de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcra).
Nous sommes conscients du déficit d'image du CFCM auprès de nos coreligionnaires et de la société française. Nous avons ouvert des instances de dialogue auprès des jeunes, des femmes et des convertis pour créer des espaces d'échange afin d'être à l'écoute de leurs attentes et de les intégrer dans nos structures. La première rencontre avec une vingtaine de jeunes, dont des chefs d'entreprises, des acteurs sociaux, des responsables de la société civile, des chercheurs et responsables de mosquée, des leaders d'opinion sur les réseaux sociaux, s'est tenue le 12 novembre 2015 ; la prochaine se tiendra dans deux mois.
De même, nous avons organisé le 16 janvier une réunion avec des femmes musulmanes - mères de famille, chefs d'entreprises, animatrices de mosquées... Le 8 mars, le CFCM signera une déclaration avec cette instance de dialogue.
En mars, nous entamerons un dialogue avec les convertis - qui représentent hélas la moitié des jeunes Français partis en Irak et en Syrie. Il est nécessaire de les accompagner spécifiquement avant et après leur conversion.
Le CFCM souhaite mettre en place un conseil religieux et théologique chargé d'établir les positions du culte musulman transmises aux pouvoirs publics dans le contexte particulier à la France, d'élaborer un argumentaire théologique pour renouveler la pensée de l'Islam, et d'élaborer une vision prospective sur l'Islam en France et les moyens de son intégration harmonieuse dans la société française.
L'instance de dialogue, annoncée par les pouvoirs publics en février 2015 nourrira les échanges entre les pouvoirs publics et les acteurs musulmans qui ne sont pas issus des lieux de culte. Complémentaire et non concurrent du CFCM, cette instance se réunira deux fois par an autour du Premier ministre et du ministre de l'intérieur. La première réunion s'est tenue le 15 juin, la prochaine, mi-mars, portera sur la radicalisation.
Comme l'indiquent ses statuts fondateurs, le CFCM a pour objet d'encourager le dialogue entre les religions. Il fait partie du Conseil des responsables de culte en France (CRCF), qui regroupe depuis 2010 deux représentants de chacun des six cultes. C'est une instance d'échange et de dialogue avec les pouvoirs publics, invitée aux voeux du président de la République aux autorités religieuses ou à la Mobilisation des consciences et des spiritualités pour la sauvegarde de la planète dans le cadre de la COP21. Elle a été entendue par le ministère de l'intérieur sur la crise des réfugiés et informée de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Elle ne connait pas de sujet tabou : elle a évoqué le « mariage pour tous » ou la déchéance de nationalité, même si elle ne publie pas de communiqué commun.
Le culte musulman, qui n'était pas installé en France en 1905, manque cruellement de ressources humaines et financières. Nous ne demandons pas un moratoire ou une modification de la loi de 1905, qui fait partie de l'ADN des musulmans de France, mais une réflexion pour trouver les moyens, dans le respect du cadre laïc, de rattraper notre retard. Nous étudions la mise en place d'une taxe sur les produits halal que nous prélèverions - et non Bercy - en accord avec les acteurs musulmans ; ça peut être soit quelques centimes par kilo de viande, soit un forfait annuel. Nous dialoguons avec les trois grandes mosquées - Paris, Lyon, Evry - qui ont la capacité de certifier le halal et les opérateurs de contrôle.
Nous souhaitons harmoniser le cahier des charges des agences de voyage et étudier la mise en place d'une taxe sur le pèlerinage à la Mecque - par exemple, 10 euros par pèlerin.
Nous étudions les possibilités de financement de projets du CFCM par des partenariats avec des fondations ou des mécènes. La Fondation des oeuvres de l'Islam, créée en 2005 par Dominique de Villepin, alors ministre de l'intérieur, est restée bloquée, alors que sa présidence devait tourner. Désormais, les pouvoirs publics souhaitent la dissoudre et réfléchissent à une nouvelle structure avec un volet cultuel de construction de mosquées, de formation de cadres religieux et un volet culturel de communication sur la religion musulmane. Nous envisageons un partenariat avec l'Institut du monde arabe pour une meilleure compréhension de la religion musulmane et des différentes écoles de pensée, ainsi qu'un volet social - à l'usage du Fonds social juif unifié. Des annonces seront peut-être faites en ce sens lors de la prochaine réunion de l'instance de dialogue.
Le CFCM appelle à un regard positif et serein sur la place de l'Islam dans la République laïque. Tout le monde s'accorde sur la prédominance de la tradition judéo-chrétienne en France, mais la France est neutre envers les religions. L'esprit libéral qui a prévalu depuis plus d'un siècle dans l'application de la loi 1905 permet, sans la modifier, d'intégrer harmonieusement l'Islam dans le paysage cultuel français. Nous tenons à la devise de la République : liberté de croyance et de conscience pour tous les citoyens ; égalité entre tous les citoyens au-delà de leur origine ou de leur religion ; fraternité entre les différentes composantes de la communauté nationale.
Les musulmans de France n'aspirent qu'à vivre sereinement leur spiritualité, en évitant toute provocation, en refusant toute stigmatisation. Ils sont en droit d'exiger la reconnaissance de leur contribution citoyenne : leurs impôts ne financent-ils pas l'entretien des églises ? Ils sont en droit de revendiquer que leur citoyenneté ne soit pas remise en cause.
Je forme le voeu que 2016 soit l'année des prises de conscience, de part et d'autre, que l'on sorte des postures de victimisation. Nous espérons que votre mission d'information y contribuera, et vous pouvez compter sur le CFCM pour participer à ce travail de pédagogie. Que chacun contribue à faire tomber les murs et les barrières, à apaiser les peurs et les angoisses ; que chacun donne tous leur sens aux valeurs de respect et de fraternité. Il y va du maintien de la cohésion nationale et de la concrétisation du vivre-ensemble auxquels nous aspirons tous dans ce beau pays qu'est la France !