Le GISTI a récemment envoyé une mission de trois personnes en Grèce durant une semaine. Ils ont pu se rendre à Athènes, Chios et Lesbos, et rencontrer des interlocuteurs institutionnels, des avocats et des migrants.
Les centres fermés - le terme « centre de rétention » me paraît discutable - servent de lieux de tri entre les migrants autorisés à formuler une demande d'asile en Grèce, ceux qui devront le faire en Turquie et ceux qui peuvent faire l'objet d'une relocalisation ou d'une réinstallation.
Les problèmes rencontrés dans ces centres sont multiples. On peut citer en premier lieu l'enfermement lui-même, qui consiste à retirer la liberté d'aller et venir à des personnes qui sont dans leur très grande majorité des demandeurs d'asile. La Grèce n'est pas le seul pays à enfermer ainsi des demandeurs d'asile, mais la France ne le fait pas, par exemple. Cet enfermement est particulièrement choquant quand il est imposé à des personnes vulnérables et malades, ou encore à des mineurs en famille ou isolés.
Les migrants retenus dans ces centres se plaignent de nombreux autres problèmes. Ils ne savent pas, si vous me permettez l'expression, « à quelle sauce ils vont être mangés ». Ils n'ont que très peu d'informations quant à la procédure à suivre. Ils craignent aussi de manquer de nourriture, notamment au camp de Suda, à Chios, où aucune distribution de nourriture n'est organisée, de n'avoir aucun accès à du personnel médical et à des soins, sans parler des problèmes de vêtements et d'hygiène, ou encore de la promiscuité qui règne dans ces lieux. Une mission de députés français a pu témoigner de ces conditions matérielles dramatiques ; selon elle, on est à l'aube d'une « catastrophe humanitaire » et il y aura des morts avant la fin de l'été. Que va-t-il se passer après un tel constat ?
Le problème qui intéresse plus particulièrement le GISTI est l'accès effectif au droit. La première étape de la procédure de tri est un entretien, dont l'objet est de savoir si ces personnes sont susceptibles ou non d'être renvoyées vers la Turquie. Le problème est qu'elles ne connaissent pas l'objet réel de cet entretien et pensent, souvent, qu'il s'agit d'un entretien préalable à l'octroi de l'asile : elles expriment leurs craintes ou narrent leur expérience de persécution dans la perspective d'une demande de protection ; en revanche, elles ne pensent pas en général à mentionner la Turquie et les risques qu'elles sont susceptibles d'y encourir. Elles peuvent en outre être renvoyées par la Turquie dans leur pays d'origine ; de tels retours ont eu lieu, en tout cas vers l'Afghanistan, postérieurement à la conclusion de l'accord UE-Turquie.
Durant l'entretien, ces personnes ne sont pas assistées par un conseil ou un avocat ; il est par ailleurs difficile de juger de la qualité des interprètes employés par les autorités grecques. La plupart des documents remis aux réfugiés sont en grec ; une minorité d'entre eux est traduite en anglais. J'ai ici le compte rendu d'un entretien, qui montre que la personne n'a pas été interrogée quant aux risques potentiels de son renvoi en Turquie. Il lui est simplement notifié par un agent, par le biais d'un interprète, que sa demande est non-admissible parce que la Turquie est considérée comme un pays tiers sûr.
Le problème essentiel qui se pose dans tous les camps grecs est l'absence d'aide juridictionnelle effective. Une réforme de la législation grecque sur ce sujet a été adoptée voici quelques semaines. Il est désormais prévu un système d'aide juridictionnelle mais celui-ci n'a pas encore été mis en place et aucun budget n'y a été alloué. Les avocats qui voudraient engager des contentieux en faveur de migrants ou, tout au moins, les assister lors des entretiens, le font sans aucune indemnité compensatoire, difficile à envisager dans un pays qui connaît l'austérité que vous connaissez.
Ces circonstances produisent les effets prévisibles. Les réfugiés se voient déclarés « non recevables » à l'asile et risquent le renvoi vers la Turquie. Cela concerne non seulement les Syriens mais aussi des représentants de nombreuses autres nationalités. En admettant que la Turquie, aujourd'hui, ne renvoie personne vers la Syrie, il est à craindre qu'elle ne renvoie, en revanche, vers leur pays d'origine des personnes qui auraient à y craindre des persécutions.
Les conditions qui règnent dans les camps engendrent du désespoir. Un membre du GISTI a assisté au suicide d'un mineur par pendaison, qui a donné lieu à une grève de la faim d'autres jeunes occupants du camp. Nous sommes bien à l'aube d'une « catastrophe humanitaire » ; la catastrophe juridique, quant à elle, est déjà en cours. Les droits humains les plus fondamentaux, reconnus par l'Union européenne et ses membres, sont bafoués. Le manque de contrôle démocratique de l'accord UE-Turquie me choque lui aussi.