Nous constatons, au vu des enveloppes budgétaires disponibles, que l'argument selon lequel l'Europe n'a pas les moyens d'accueillir les personnes en besoin de protection internationale ne tient pas. L'argent est visiblement disponible ; il s'agit donc de priorités politiques.
Concernant les financements à destination de la Turquie, nos informations nous ont été fournies par le Comité citoyen Helsinki, association membre de notre réseau. Je leur demanderai des précisions, que je vous ferai parvenir.
En tout état de cause, il faut se demander quelles associations vont profiter de ces financements, si ce n'est le gouvernement turc. Les organisations internationales, comme vous l'a expliqué Loïc Blanchard, rencontrent déjà des obstacles ; une nouvelle loi sur les associations pourrait encore compliquer les financements depuis l'étranger. Les gages donnés verbalement par le gouvernement turc lors de la conclusion de l'accord ne sont pas effectifs à nos yeux. Nous venons de publier un rapport sur la situation dans le Sud du pays, où nous suivons de très près les atteintes aux violations des droits des populations, en particulier des minorités kurdes. Au vu de cette situation, on peut se poser la question de l'efficacité de l'action associative dans un tel pays.
Par ailleurs, des financements de l'Union européenne ont servi à financer les centres de rétention utilisés depuis novembre 2015 pour priver de liberté les personnes renvoyées de Grèce.
Il serait intéressant de proposer la mise en place d'un mécanisme de contrôle indépendant pour s'assurer précisément de la destination des 3 milliards d'euros promis. Cela permettrait à la société civile de bénéficier d'une forme de transparence sur ces questions.
Quant à la réinstallation, elle se fait normalement par le biais d'une recommandation par le HCR. Il s'agit, pour ainsi dire, d'une tractation avec le pays d'accueil. Le gouvernement turc a ainsi déclaré qu'il pouvait refuser la réinstallation dans un autre pays d'une personne utile à l'économie turque par ses qualifications. L'indépendance du système de réinstallation est en cause.
L'accord de réadmission conclu entre l'UE et la Turquie contient une clause applicable aux ressortissants tiers non-turcs, dont l'application devait à l'origine être effective en octobre 2017 mais semble avoir été avancée à ce jour, le 1er juin 2016. C'est très préoccupant : qu'en sera-t-il des personnes dont on considérera que la demande d'asile est inadmissible, qui arriveront en Turquie sans papiers mais seront réadmises ? On assistera là à une expulsion « en chaîne ».
Enfin, s'il y a peu de demandeurs d'asile turcs en Europe, c'est aussi parce que les Turcs, comme beaucoup d'autres nationalités, ont besoin d'un visa pour entrer dans l'espace Schengen. Se rendre dans une ambassade européenne pour demander un visa Schengen peut s'avérer problématique pour une victime, même potentielle, de persécutions dans la Turquie actuelle, véritable État policier où les droits humains sont moins respectés que jamais durant les dix dernières années.
Par ailleurs, je rappellerai que la France impose des visas de transit aéroportuaires aux ressortissants syriens, ce qui constitue une atteinte au droit de demande d'asile ; en dépit de la validation par le Conseil d'État de ce dispositif, nous nous y opposons très fortement. Une audition a eu lieu à ce sujet à l'automne dernier à l'Assemblée nationale.