Intervention de Gérard Sadik

Mission d'information Accord UE-Turquie sur la crise des réfugiés — Réunion du 1er juin 2016 à 14h35
Audition conjointe d'organisations non gouvernementales ong

Gérard Sadik, coordinateur national asile à la Cimade :

Je voudrais aborder la façon dont l'Europe réagit à la question des réfugiés. Un certain nombre d'initiatives ont été prises par la Commission européenne, notamment en matière de relocalisation, mais aussi la révision annoncée le mois dernier du règlement Dublin. Il s'agit là d'une proposition radicale car elle pose comme principe l'application de la notion de pays tiers sûr par tous les États. Cela pose en France un problème de constitutionnalité.

Cette proposition inclut aussi l'examen très rapide des demandes issues de pays d'origine sûrs, avant même la détermination de l'État responsable et ce, ad vitam aeternam. La particularité du système actuel, qui explique peut-être l'absence d'explosion en Italie ou en Grèce, est que, après un délai de transfert pouvant aller de six à dix-huit mois, la responsabilité relevant à l'origine de la Grèce ou de la Hongrie disparaît parce que l'intéressé n'a pu être transféré depuis, par exemple, la France.

Or dans ce projet de « Dublin IV », la responsabilité resterait pour toujours à l'État initialement responsable. Les critères fixés dans ce projet restent sensiblement les mêmes. Certes, un système d'allocation serait mis en oeuvre lorsque les capacités d'un pays sont dépassées de plus de 150 %, suivant une distribution complexe.

On entrerait ainsi dans un système qui risque de provoquer des situations dramatiques dans les pays « frontières » de l'Union européenne, la Grèce au premier chef. Certes, depuis 2011, les États européens ne transfèrent plus personne vers la Grèce, à la suite d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Au-delà de la Grèce, on peut penser à la Hongrie, premier pays saisi par la France en 2015. Si les transferts restent peu nombreux, la situation en Hongrie est néanmoins catastrophique. Même si l'on peut relocaliser des Syriens, s'ils prennent la route des Balkans ils seront transférés vers la Hongrie, où on les enfermera. L'audience de grande chambre de la CEDH du 17 décembre 2015 pourrait peut-être conduire à un moratoire similaire à celui en vigueur pour la Grèce.

Quant aux femmes qui se trouvent en Grèce alors que leur mari est en France ou en Allemagne, le règlement Dublin devrait normalement s'appliquer de façon positive : la Grèce pourrait le saisir pour les transférer. Or cela reste statistiquement marginal, sauf pour l'Allemagne.

En 2015, 1 200 000 demandeurs d'asile sont arrivés en Europe. Cela ne représente que 0,23 % de la population européenne : ce n'est donc pas totalement ingérable ou massif au sens du HCR. La zizanie et les décisions unilatérales de chacun des États ont provoqué cette crise.

Deux systèmes sont possibles. Soit on maintient un système obsidional, ultra-sécuritaire, qui externalise les procédures d'asile - cette logique, développée depuis quelques années, commence à être mise en oeuvre avec l'accord UE-Turquie et va encore provoquer des drames -, soit on choisit une approche plus fédérale. Une des idées possibles serait de développer une sorte d'OPFRA européen, dont les critères de détermination seraient du plus haut niveau de protection. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins. Si l'on s'en tient à une logique nationale, le système explosera quoi qu'il arrive et quelque mur qu'on construise. Il faudrait plutôt aller vers une plus grande intégration des politiques européennes.

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