Intervention de Corinne Bouchoux

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 23 février 2017 : 1ère réunion
Les enfants à identité sexuelle indéterminée — Examen du rapport d'information de mmes maryvonne blondin et corinne bouchoux

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux, co-rapporteure :

Mes chers collègues, l'objet de ce rapport est de mener un état des lieux des aspects médicaux, juridiques et sociologiques de la situation, en France, des personnes concernées par les variations du développement sexuel - que nous appellerons pour le moment par commodité « personnes intersexes » - afin de contribuer à les faire connaître et améliorer leurs conditions de vie. Ces personnes ne naissent pas nécessairement avec des organes sexuels leur permettant d'être déclarées avec certitude « fille » ou « garçon », ce qui peut être la source de nombreux problèmes sur lesquels nous reviendrons.

Ce sujet longtemps tabou émerge peu à peu dans le débat public, grâce aux travaux effectués au niveau européen, aussi bien dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont Maryvonne Blondin est membre, que de l'Union européenne.

Lorsque nous avons décidé d'en saisir la délégation, à l'automne 2015, ce sujet s'inscrivait par ailleurs dans l'actualité judiciaire, le tribunal de grande instance de Tours ayant reconnu, en août 2015, le droit de faire apposer la mention « sexe neutre » sur l'état civil du plaignant. Cette décision a par la suite été infirmée par la cour d'appel d'Orléans, cette dernière estimant qu'il n'appartenait pas au juge, mais au législateur, de créer une « autre catégorie sexuelle ».

Nous ne concevons pas ce rapport comme un travail définitif sur une question fort complexe, sensible, et par ailleurs encore assez mal documentée. Il s'agit plutôt de « libérer la parole » et de faire évoluer la réflexion et les consciences sur un sujet qui demeure encore très mal connu.

La délégation, particulièrement sensible aux questions d'égalité, a une vraie légitimité pour ce saisir de ce sujet : les problèmes de santé et la stigmatisation, voire l'exclusion et les discriminations dont peuvent être victimes les personnes dites « intersexes », dès l'enfance, ont toute leur place dans nos réflexions.

Dès 1949, Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième sexe, rappelait que « le sens même de la section des espèces en deux sexes n'est pas clair » et évoquait l'intersexualité comme une situation dans laquelle « l'équilibre hormonal n'a pas été réalisé » et où « aucune des deux potentialités sexuelles ne s'est nettement accomplie ».

Signe supplémentaire du lien de notre sujet avec les compétences de notre délégation, la France a été mise en cause par le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) au regard des interventions chirurgicales pratiquées sur les enfants intersexes.

Nous avons mené nos travaux entre le mois de mai 2016 et le mois de février 2017, la dernière audition - celle du Défenseur des droits - s'étant tenue jeudi dernier. Vous vous souvenez sans doute de notre table ronde du 12 mai 2016, qui était réellement inédite au Parlement et qui nous a beaucoup marqués, à travers les témoignages de personnes « intersexes ». Nous avons également entendu le corps médical, des associations, des juristes et nous avons sollicité les réponses des ministères de la Justice, de l'Intérieur et de la Santé.

Ce qui est ressorti nettement de nos auditions est la différence des points de vue et des ressentis exprimés, notamment en ce qui concerne la question des opérations. Pour certains, les traitements chirurgicaux ont été vécus comme des tortures, pour d'autres, au contraire, ils semblent avoir été positifs. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences, mais nous reviendrons sur ce point.

Nous avons organisé notre rapport autour de trois parties, qui explorent chacune une problématique principale.

La première partie porte sur l'hétérogénéité des variations du développement sexuel, le débat entre le corps médical et les associations sur la terminologie pour désigner ces situations, ainsi que sur la connaissance statistique, encore lacunaire, des personnes dites « intersexes ».

La deuxième partie concerne la prise en charge médicale de ces personnes, et notamment des enfants.

La troisième partie aborde le questionnement pour garantir la reconnaissance des personnes dites « intersexes » au sein de la société et le respect de leur vie privée.

Quels sont les constats établis par le rapport ?

Le rapport montre tout d'abord que l'expression de « personnes intersexes » est une notion générique qui regroupe l'ensemble des personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles. Cela recouvre des situations aussi diverses que complexes, que les médecins classent en cinq groupes de patients en fonction de leur profil chromosomique. Je vous renvoie sur ce point au rapport pour plus de précisions.

Il est pourtant difficile d'appréhender ces situations de manière identique. D'ailleurs, il n'existe pas de consensus sur la terminologie qui désigne les personnes concernées par ces variations du développement sexuel.

Les médecins n'emploient pas - ou plus - le terme « d'intersexes » et préfèrent parler d'« anomalies du développement génital » (ADG) ou de « désordres du développement sexuel » (DSD).

En revanche, certains représentants des personnes concernés, notamment l'Organisation internationale des intersexes (OII) rejettent le vocabulaire selon eux péjoratif véhiculé par ces notions d'« anomalies » ou de « désordres ». Ils y voient une connotation excessivement pathologisante et préfèrent parler de « variations » du développement sexuel. Ce terme, suggéré par la commission nationale d'éthique suisse, rencontre aussi la préférence du Défenseur des droits.

Nous formulons une recommandation pour adopter cette terminologie moins stigmatisante.

Nous avons également pu constater qu'il n'y a pas non plus de consensus sur le champ des variations du développement sexuel qui impliquent une réelle situation d'intersexuation. Par exemple, les personnes atteintes d'hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) ne se sentent pas du tout concernées par les problématiques soulevées par l'OII, et les médecins ont d'ailleurs souligné lors des auditions que dans ces cas, il n'y a généralement pas d'ambiguïté sexuelle.

Enfin, il faut bien distinguer la question de l'intersexuation de celle de la dysphorie du genre. Comme l'a exprimé la présidente de l'Association Maison Intersexualité et Hermaphrodisme Europe (AMIHE) au cours de la table ronde du 12 mai 2016, « La transsexualité est une identité de genre pour laquelle les transformations sont un choix personnel. Les anomalies du développement sexuel, en revanche, relèvent d'une mutation génétique au cours de la gestation ».

Il est très important de ne pas confondre les transgenres et les intersexes, qui sont deux questions très différentes, même si l'on peut retrouver des problématiques communes.

Autre sujet, il n'existe aucune statistique sur le nombre exact de naissances de personnes présentant une variation du développement sexuel.

Les rares chiffres dont on dispose varient d'ailleurs selon les définitions plus ou moins larges que l'on retient de l'intersexualité.

Selon des données issues du Centre de référence des maladies rares (CRMR), en charge des variations du développement sexuel, en France, sur 800 000 naissances par an en moyenne, on compte environ 200 personnes concernées. Ce chiffre comprend les hyperplasies congénitales des surrénales.

Faute de statistiques, on peut déplorer le suivi encore insuffisant des personnes dites « intersexes » tout au long de leur vie, ce qui ne permet pas de disposer d'une connaissance de tous les problèmes qu'elles rencontrent. Il n'existe pas d'études dans la durée sur la situation de ces personnes.

De ce point de vue, on peut toutefois saluer la mise en place d'une Banque nationale de données maladies rares (Bamara), en cours de déploiement.

Nous formulons des recommandations pour améliorer la connaissance statistique et le suivi des personnes dites « intersexes », afin de permettre une meilleure prise en charge et un meilleur accompagnement de celles-ci tout au long de leur vie, et pour promouvoir le soutien des associations de personnes concernées.

Car, comme l'a dit le Défenseur des droits la semaine dernière, « Au titre de la société, peu importe au fond l'ampleur arithmétique de la question, il faut la traiter en tant que telle ».

Je cède la parole à Maryvonne Blondin qui va maintenant vous présenter les problématiques relatives à la prise en charge médicale des personnes dites « intersexes », et notamment des enfants.

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