Notre rapport consacre des développements importants à la question des opérations effectuées sur les personnes concernées par les variations du développement sexuel pour leur assigner un sexe masculin ou féminin, et notamment sur les enfants.
Les personnes qui ont témoigné le 12 mai 2016 ont dénoncé des interventions chirurgicales qu'elles ont vécues comme des actes « mutilants » et qui étaient pratiquées dans une grande opacité. Elles ont insisté par ailleurs sur les conséquences très douloureuses de ces opérations, aussi bien au plan physique que psychologique.
Selon elles, elles ont été victimes d'opérations qui ne revêtaient aucune nécessité vitale, d'une portée purement esthétique, qui s'inscrivaient dans une tendance à la normalisation des corps en lien avec une conception binaire de l'identité sexuée, et d'une forme de pression sociale. Elles demandent un arrêt de ces opérations, ou au minimum un moratoire. Elles réclament par ailleurs une réparation ou une indemnisation au titre des préjudices qu'elles estiment avoir subis.
Les médecins, sans méconnaître le manque de transparence de certaines pratiques, ont souligné les difficultés qu'ils avaient rencontrées à une époque où les techniques médicales étaient beaucoup moins performantes. La nécessité de replacer les choses dans leur contexte a été soulignée par le Défenseur des droits, qui a plaidé pour une indemnisation, qui pourrait passer par l'Oniam1(*), plutôt que pour une réparation.
Notre position se rapproche de celle du Défenseur des droits : nous ne souhaitons pas de judiciarisation a posteriori sur des cas très anciens, ni de recours judiciaires individuels contre les soignants. Nous formulons ainsi une recommandation pour mettre à l'étude la création d'un mécanisme d'indemnisation.
Je veux revenir ici sur les points de vue très différents relatifs aux opérations qu'a évoqués Corinne Bouchoux en introduction.
Contrairement aux personnes qui ont témoigné le 12 mai 2016, les représentantes de l'association Surrénales, qui apporte un soutien aux personnes atteintes d'hyperplasie congénitale des surrénales, ont souligné l'accompagnement et la transparence dont elles ont bénéficié de la part du corps médical au moment des interventions chirurgicales, lesquelles leur sont apparues nécessaires.
Il est difficile d'expliquer une telle divergence de point de vue, et l'on ne peut approcher cette question de manière frontale : peut-être cette différence est-elle liée à la diversité des pathologies, à l'époque à laquelle ont été réalisées les opérations et à l'évolution des pratiques au fil du temps, ou encore à des approches variables du corps médical selon les centres de soins, certaines équipes pouvant être mieux sensibilisées que d'autres à la question de l'intersexuation.
Toujours est-il que la France a été mise en cause par le Comité des droits de l'enfant et le Comité contre la torture de l'ONU au regard des opérations précoces pratiquées sur les enfants dits « intersexes ». Cela pose notamment la question du consentement éclairé de ces enfants. Comme l'a fort bien résumé l'une des juristes que nous avons entendue : « Il est nécessaire de mettre en place un cadre plus respectueux de l'information et du consentement des enfants eux-mêmes. Il ne faut pas que ces interventions deviennent des opérations routinières et absolument réfléchir avant d'entreprendre toute chirurgie. »
Quel pourrait dans ce cas être l'âge idoine permettant à l'enfant de se déterminer ? Plusieurs pays ont mené des réflexions à cet égard, comme la Suisse et l'Allemagne, et proposent de fixer celui-ci dans une fourchette allant de dix à quatorze ans, tandis qu'une autre juriste entendue suggère de retenir l'âge de la majorité sexuelle (quinze ans). Pour sa part, le Défenseur des droits promeut une « présomption de discernement » de l'enfant.
L'une de nos recommandations préconise justement d'associer l'enfant à toute décision médicale le concernant, sur la base de cette présomption.
Au fil de nos auditions, nous avons pu constater une évolution de la prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel en faveur de l'information et de l'accompagnement des patients, à travers la prise de conscience progressive des limites des opérations précoces systématiques. Cette prise de conscience a plusieurs origines : un changement d'attitude du corps médical face à certains drames humains résultant des opérations, les progrès de la médecine et l'évolution de la relation patients/médecins fondée sur une transparence accrue, laquelle a été favorisée par les réseaux sociaux et Internet et par la loi de 20022(*) qui instaure un droit du malade à accéder à son dossier médical. Rappelez-vous les témoignages entendus le 12 mai 2016 sur les dossiers médicaux qui avaient « disparu ».
Nous avons également noté l'apport bénéfique de la parole des personnes concernées par les opérations, qui a contribué à la remise en question du corps médical ainsi qu'à une meilleure connaissance et à davantage de visibilité pour ces personnes, ce qui rend le sujet un peu moins tabou.
On constate aussi une information aujourd'hui plus complète et un meilleur accompagnement des patients et de leurs familles en ce qui concerne les options possibles (opérations, traitements hormonaux...).
Pour autant, une réflexion demeure primordiale sur la nécessité et sur la temporalité des opérations. Il s'agit de permettre ce consentement éclairé de la personne lorsque cela est possible et de respecter un « principe de précaution », comme l'a dit le Défenseur des droits. Nous formulons donc une recommandation qui demande la formalisation d'un protocole de traitement des variations du développement sexuel respectant un tel principe.
Pour le corps médical, il y a plusieurs justifications aux opérations pratiquées sur les enfants présentant des variations du développement sexuel : elles répondent d'abord à une nécessité médicale (reconstruction d'organes génitaux externes pour permettre la reproduction, réponses à des problèmes urologiques qui peuvent détruire la fonction rénale, prévention de certains cancers des gonades) et revêtent aussi une portée psychologique (favoriser la construction identitaire de l'enfant pour lui permettre de s'identifier au monde qui l'entoure et éviter la stigmatisation). Ces raisons ne sont pas illégitimes, mais il ne faut pas oublier que les opérations dont nous parlons peuvent avoir des conséquences irréversibles, et qu'il faut donc, avant tout acte chirurgical, réaliser un bilan approfondi du point de vue des risques et des bénéfices attendus. Il faut, de manière plus générale, être bien conscient que toute opération sur un nouveau-né comporte des risques.
S'agissant de la temporalité des opérations, on peut clairement distinguer le cas des hyperplasies congénitales des surrénales, où il semble y avoir unanimité pour pratiquer l'intervention le plus tôt possible, des autres variations du développement sexuel, où ce point est beaucoup moins consensuel.
Afin de mieux appréhender la nécessité des opérations et leurs conséquences, nous formulons une recommandation visant à établir des statistiques précises et détaillées sur les opérations de réassignation effectuées chaque année et sur le suivi médical des personnes concernées.
En outre, même s'il y a eu d'indéniables progrès avec la création du Centre de références des maladies rares en charge des variations du développement sexuel et des centres de compétences associés, il nous semble important d'améliorer encore la prise en charge des patients et leur suivi par des équipes pluridisciplinaires et de privilégier l'accompagnement des familles dans la durée. Deux de nos recommandations insistent sur ces aspects, en soulignant aussi la nécessité de ne pas « surmédicaliser » ces situations.
Nos recommandations sur la prise en charge médicale des personnes dites « intersexes » mettent également l'accent sur la formation des professionnel-le-s du corps médical aux questions posées par le traitement des variations du développement sexuel, sur l'utilité qu'il pourrait y avoir à développer un conseil en génétique auprès des futurs parents, ainsi que sur la pertinence d'une saisine du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui présenterait l'avantage de contribuer à une meilleure connaissance des variations du développement sexuel au sein de la population.
Je laisse maintenant la parole à Corinne Bouchoux qui va présenter les risques de stigmatisation et les atteintes à leur vie privée dont peuvent pâtir les personnes concernées par les variations du développement sexuel.