Intervention de Maryvonne Blondin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 23 février 2017 : 1ère réunion
Les enfants à identité sexuelle indéterminée — Examen du rapport d'information de mmes maryvonne blondin et corinne bouchoux

Photo de Maryvonne BlondinMaryvonne Blondin, co-rapporteure :

Nous avons interrogé le ministère de la Justice sur la problématique de la reconnaissance juridique des personnes dites « intersexes ». Il nous a indiqué, et l'on peut s'en réjouir, que la France, au même titre que de nombreux pays de l'Union européenne a, depuis 2015, entamé une réflexion approfondie autour des questions d'état civil de ces personnes, qui a notamment vocation à être enrichie par les travaux du professeur Vialla menés dans le cadre de la mission de recherche « Droit et Justice »3(*), et ceux du comité de bioéthique du Conseil de l'Europe. Les réflexions sont en cours et peuvent laisser présager de futures évolutions favorables aux personnes concernées par les variations du développement sexuel sur ces thématiques.

Pour autant, celles - ci se heurtent aujourd'hui à des procédures encore rigides d'inscription, de modification ou de rectification de l'état civil, qui apparaissent problématiques au regard du respect du droit à l'autodétermination de ces personnes. La présidente de l'association Surrénales nous a notamment fait part du désarroi de plusieurs parents dont les enfants, atteints d'hyperplasie congénitale des surrénales, étaient des petites filles mais avaient été déclarées comme garçons. Or, les démarches de modification de l'état civil s'avèrent dans ce cas très compliquées. Plusieurs témoignages sont allés dans le même sens.

Nous notons toutefois que la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle4(*), adoptée en novembre 2016, a introduit dans le code civil plusieurs dispositions qui facilitent les procédures de déclaration de naissance, de modification et de rectification des actes de l'état civil, et paraissent susceptibles d'apporter des réponses à certaines situations.

Néanmoins, le Défenseur des droits estime qu'on pourrait encore progresser pour faciliter la modification de la mention du sexe à l'état civil. Il plaide pour une procédure déclarative, qui ne passerait pas par un juge, à l'image de ce qui existe dans certains pays. Il souhaiterait par ailleurs qu'une telle procédure soit ouverte aux personnes mineures, et pas seulement aux majeurs et mineurs émancipés. L'une de nos recommandations va donc dans ce sens.

Une autre problématique qui a émergé au cours de nos auditions est celle du délai de la déclaration de naissance, prévu par l'article 55 du code civil et décliné par une circulaire d'octobre 2011.

Je rappelle que, dans le droit actuel, il est déjà possible de retarder la détermination du sexe, mais de manière exceptionnelle et provisoire (un ou deux ans maximum)5(*). Or, ce délai s'avère parfois insuffisant pour déterminer le sexe de l'enfant avec certitude, notamment lorsque ses représentant légaux ne souhaitent pas engager de manière précoce des traitements lourds à l'égard de l'enfant et dès lors qu'il ne s'agit pas d'une opération d'urgence vitale.

Il nous semble que ces délais sont trop courts et tendent à aller à l'encontre du principe de précaution que nous appelons de nos voeux s'agissant des interventions chirurgicales sur les nouveaux-nés. Nous recommandons donc la mise en oeuvre d'une réflexion visant à prolonger le délai de déclaration des naissances au-delà des cinq jours prévus par l'article 55 du code civil. Nous demandons aussi une évaluation de la circulaire de 2011 et souhaitons l'engagement d'une réflexion sur l'extension du délai de deux ans qu'elle prévoit. Nous nous interrogeons également sur la pertinence d'une inscription de ce délai dans la loi plutôt que dans une circulaire, niveau de norme qui nous paraît inadapté à la complexité de ces situations.

Pour terminer cet état des lieux des questions juridiques posées par la situation des personnes dites « intersexes », nous nous sommes intéressées à l'hypothèse éventuelle de la reconnaissance d'un sexe « neutre » ou « indéterminé » dans le droit français, et aux implications éventuelles d'une telle évolution pour notre droit. La question a émergé dans l'actualité judiciaire à la faveur de deux décisions récentes, déjà évoquées par Corinne Bouchoux.

Dans le droit actuel, l'article 57 du code civil relatif à l'acte de naissance prévoit la mention du sexe de l'enfant, sans toutefois préciser que le sexe doive être féminin ou masculin, tant cela paraît évident dans notre société.

Quelques États européens autorisent aujourd'hui une mention « neutre » ou « autre » dans le certificat de naissance.

La reconnaissance d'un sexe « neutre » dans notre droit aurait de profondes répercussions sur nos règles de droit construites à l'aune de la binarité des sexes, particulièrement s'agissant du droit de la famille et des règles de la filiation. Elle aurait aussi un impact sur l'avenir familial de l'individu intersexes qui voudrait avoir des enfants après être devenu de sexe neutre, puisqu'il serait alors impossible d'établir le lien de filiation (selon notre droit actuel).

Pourrait également se poser, dans cette hypothèse, la question de savoir si la procréation artificielle, actuellement réservée aux couples hétérosexuels, ne devrait pas être ouverte aussi, alors, aux individus de sexe neutre.

Enfin, d'autres règles pourraient être perturbées par l'admission d'un sexe neutre, notamment celles qui visent à imposer des quotas afin de garantir l'égalité homme-femme : devrait-on alors constater que, confrontés aux mêmes discriminations fondées sur le sexe que les femmes, les personnes intersexes devraient bénéficier de quotas spécifiques ? Dans l'affirmative, comment mettre en oeuvre ces quotas ?

Les implications de la reconnaissance d'un sexe neutre en droit français seraient donc considérables, comme d'ailleurs sans doute dans d'autres pays, qui ont pourtant avancé sur ces questions...

S'il est indispensable de garantir le droit au respect de la vie privée des personnes intersexes, toute réforme du statut juridique de ces personnes devrait donc exiger une réflexion très approfondie fondée sur des études statistiques.

Avant de céder la parole à Corinne Bouchoux, je voudrais vous parler du Canada, qui a mis en place une autorisation de voyager électronique. Ainsi, depuis novembre dernier, pour se rendre dans ce pays, il faut faire une demande d'autorisation à l'ambassade du Canada et remplir un formulaire en ligne, dans lequel, à la mention du sexe, il est indiqué « homme », « femme » ou « indéterminé ». De plus, depuis janvier dernier, les Canadiens peuvent choisir de n'être ni homme, ni femme sur les actes administratifs. Le Gouvernement fédéral a en effet accordé à une personne transgenres qui avait déposé plainte en 2012 le droit de ne pas cocher « homme » ou « femme » sur les documents qu'il remplit.

On nous dit qu'en France la carte d'identité et le passeport ne sont pas obligatoires, mais quand l'enfant doit voyager, il est obligé d'avoir une carte d'identité ou un passeport ! Quand il doit passer un examen, c'est pareil. À mon sens, les ministères n'ont pas pleinement étudié tous les aspects de cette question. Selon l'agence Presse canada, même les passeports pourraient devenir « neutres », sans mention du sexe de leur détenteur au Canada. C'est une avancée importante quand on sait que le sexe mentionné ne correspond pas toujours au sexe d'apparence. Or, dans ces cas, lorsque les personnes concernées passent les contrôles de sécurité, elles sont contrôlées par une personne du sexe mentionné sur le papier d'identité, ce qui peut être très inconfortable.

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