Intervention de Michel Guilbaud

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 1er mars 2017 à 16h10
Audition des représentants des organisations représentatives des employeurs avec M. Michel Guilbaud directeur général du mouvement des entreprises de france medef M. Jean-Michel Pottier vice-président en charge des affaires sociales et de la formation au sein de la confédération des petites et moyennes entreprises cpme et M. Pierre Burban secrétaire général de l'union des entreprises de proximité u2p

Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF :

Le thème que vous explorez est extrêmement vaste, car il ne porte pas que sur la démocratie sociale. Il s'agit d'une réflexion beaucoup plus large sur le fonctionnement démocratique dans toutes ses dimensions. Vous avez entendu de nombreux experts qui réfléchissent sur la démocratie représentative et la démocratie participative. Même si nous pouvons être amenés, de manière connexe, à nous pencher sur ces questions, l'audition d'aujourd'hui portera sur notre rôle de partenaire social.

Les sujets que vous souhaitez évoquer sont bien au coeur de notre réflexion permanente. Nous représentons le niveau national interprofessionnel, en cela nous sommes la face émergée d'un iceberg, puisque nous sommes l'expression de toute la démocratie sociale à l'oeuvre dans l'entreprise. Nous tirons notre légitimité du fait que nous sommes l'addition des représentativités construites par l'adhésion des entreprises à leur syndicat professionnel et à leur branche. Le MEDEF est l'addition de 80 organisations professionnelles qui, pour l'essentiel, gèrent elles-mêmes leurs propres conventions collectives.

Vos questions sont pour l'essentiel relatives à l'efficacité et à la légitimité qui permettraient de faire évoluer la norme en matière de droit social. Comme vous le savez, nous jouons un rôle en la matière et je reviendrai sur le cadre juridique dans lequel il s'exerce. Nous jouons également un rôle dans la gestion des dispositifs paritaires construits au fil des années, à l'instar des grands régimes de protection sociale. Dans ce dernier cas, notre légitimité est tirée du fait que les partenaires sociaux ont souhaité créer des régimes de protection complémentaires des régimes généraux de sécurité sociale.

Dans ces deux domaines, la légitimité et l'efficience des partenaires sociaux sont régulièrement questionnées, y compris dans le paritarisme dit « de gestion ».

Aborder la légitimité et l'efficacité des processus d'élaboration de la norme peut difficilement se faire indépendamment de la norme elle-même. Je peux vous expliquer les fondements de notre légitimité ou les aspects de notre efficacité, mais ce propos ne peut être déconnecté de l'objet de la négociation. Pour faire évoluer le droit, il faut partir des règles actuellement en place.

Dans le cas qui nous intéresse, nous partons de la loi, ce qui nous amène à poser la question de sa place dans la norme sociale. Nous avons joué notre rôle, notamment dans la négociation des accords nationaux interprofessionnels (ANI) qui ont suivi l'adoption de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue sociale, dite « loi Larcher », en respectant le cadre de la loi et pour faire évoluer les normes sociales actuelles. L'article L. 1 du code du travail, dans la rédaction résultant de la « loi Larcher », impose une négociation préalable entre les partenaires sociaux, avant tout projet de réforme du droit du travail, formalisant ainsi ce qui n'était auparavant qu'un usage. Il nous est demandé de négocier des évolutions de la loi mais si la place qu'elle occupe était différente, nous ne rencontrerions peut-être pas les mêmes difficultés.

Ainsi, ce qui prime aujourd'hui dans notre appréciation de l'application de la norme en France, c'est la place trop importante des dispositions législatives par rapport à celle des dispositions conventionnelles qui peuvent être élaborées au niveau des branches et des entreprises. Le champ de compétence de la représentation nationale interprofessionnelle se confond presque avec l'espace de la loi : nos adhérents, les branches professionnelles et les entreprises, qui fondent notre légitimité et nous mandatent, attendent de nous que nous fassions évoluer le droit en modifiant la loi, alors que cette responsabilité revient au Parlement.

La « loi Larcher » avait contribué à clarifier le rôle des acteurs et à les responsabiliser, mais le bilan de son application est assez ambivalent. En effet, notre intervention précède celle du législateur, sur la base d'un document d'orientation préparé par le Gouvernement. Dans les faits, la négociation intervient le plus souvent sur l'initiative des partenaires sociaux, mais le Gouvernement estime qu'il doit la cadrer conformément à l'article L. 1 du code du travail. L'expérience prouve que le document d'orientation est souvent assez précis et limite fortement les marges de manoeuvre des négociateurs. Une fois que l'ANI est signé, c'est le Gouvernement qui le transforme en projet de loi soumis au Parlement, lequel ne l'adopte pas tel quel - ce qui est tout à fait légitime, mais provoque des débats récurrents. Les gouvernements successifs ont toujours considéré qu'il fallait respecter l'esprit des négociations, mais dans la lettre de la loi, on constate effectivement de nombreuses modifications. Ceux qui nous donnent mandat de négocier peuvent alors, in fine, avoir le sentiment que les résultats de la négociation ne sont pas toujours respectés. Il peut devenir extrêmement délicat de reconnaître quelle était la volonté des partenaires sociaux dans le résultat final.

Il était positif de consacrer le rôle des partenaires sociaux, personne ne peut le nier, mais les résultats ne sont pas toujours ceux que l'on attendait. Il ne s'agit pas de critiquer l'action des partenaires sociaux ni celle du Parlement. J'ai commencé mon propos en indiquant qu'il était difficile d'apprécier ce processus indépendamment de l'objet en cause, à savoir la loi. Si la loi se limitait à fixer quelques principes fondamentaux - que l'on serait moins tenté de changer tout le temps - et si l'espace ouvert aux normes conventionnelles était beaucoup plus large, notamment au niveau des branches - laissant ainsi une plus grande marge de manoeuvre aux partenaires sociaux -, la question se poserait différemment. Tel a d'ailleurs été le coeur du débat sur le rapport de Jean-Denis Combrexelle - accueilli de manière plutôt consensuelle par les responsables politiques. La négociation se passerait moins au niveau national interprofessionnel et serait davantage concentrée au niveau des branches. Le Parlement serait donc amené à intervenir moins souvent, puisque la loi ne comporterait plus de normes extrêmement détaillées, comme c'est le cas aujourd'hui, ce qui conduit au dépôt de myriades d'amendements lors de l'examen parlementaire.

Tel est le débat qui existe au sein du MEDEF. Dans l'esprit, la négociation préalable est une bonne chose mais nous demandons que soit réduite la place de la loi dans un droit social particulièrement complexe. Cela reviendrait à aller au bout de la philosophie de la « loi travail », qui n'a été qu'une esquisse, en ne l'appliquant difficilement qu'au temps de travail. Cependant, l'article 1er de cette loi indique qu'une commission d'experts devrait revoir l'espace de la loi, au regard de la notion d'« ordre public conventionnel » évoquée par Jean-Denis Combrexelle. Pour nous, le meilleur moyen de refonder la légitimité des partenaires sociaux serait de leur rendre tout leur rôle dans l'entreprise.

Vos interrogations portent également sur la représentativité nationale interprofessionnelle.

La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a redéfini les règles de représentativité des syndicats, en permettant une mesure objective, et elle n'a pas rencontré de difficulté majeure d'application. La représentativité patronale est en cours d'évaluation, il est donc difficile de se prononcer aujourd'hui. Quelques difficultés techniques se posent, mais cette représentativité sera établie sous l'égide de la direction générale du travail.

Au fond, ce que j'ai dit au sujet de la norme vaut aussi pour la légitimité des acteurs. Le niveau national interprofessionnel est la face émergée de l'iceberg, mais il faut surtout refonder la légitimité des partenaires sociaux dans l'entreprise, pour qu'elle le soit, par consolidation, au niveau de la branche. Aujourd'hui, la légitimité des syndicats au sein de l'entreprise est parfois contestée, du fait de la très grande complexité et du trop-plein de règles formelles enserrant le dialogue social dans l'entreprise. Une multiplicité d'instances élues - comité d'entreprise, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégués du personnel - exercent des compétences diverses et variées. La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi Rebsamen », a essayé de simplifier le dispositif, mais ces instances n'ont pas le pouvoir de négociation, qui appartient à la représentation syndicale. Or, très souvent, celle-ci n'existe pas dans les petites entreprises.

Le cadre du dialogue social dans l'entreprise mériterait donc d'être réformé : nous l'avions proposé en 2015, dans le cadre d'une négociation qui a malheureusement échoué, et la « loi Rebsamen » est allée beaucoup moins loin que ce que nous souhaitions. Nous avions suggéré d'instaurer une instance unique, élue, et qui aurait eu compétence pour négocier. De notre point de vue, cela permettrait à la représentation syndicale et au dialogue social dans l'entreprise de retrouver une légitimité fondée sur le vote des salariés. La représentativité des syndicats au niveau de la branche et au niveau national interprofessionnel retrouverait également une légitimité fondée sur l'entreprise, répondant ainsi à l'une des critiques qui leur est souvent adressée.

Vous posez la question des difficultés rencontrées pour faire aboutir un certain nombre de réformes. J'ai évoqué les ANI dont la conclusion a été suivie par une loi, mais nous avons aussi connu des échecs. Le premier, que je viens de mentionner, est intervenu en 2015 : même s'il n'y a pas eu de crise particulière, les négociations ont échoué, puisque les syndicats n'ont pas souhaité refonder le cadre du dialogue social au niveau de l'entreprise. Nous avons donc été amenés à nous interroger sur la possibilité d'aller au-delà d'une réforme « par petits pas » et d'envisager une vraie réforme de structure.

Ensuite, la « loi travail » a remis en cause notre capacité à mener une pédagogie de la réforme. Cette loi n'a pas fait suite à une négociation, le Gouvernement ayant choisi de légiférer directement. En revanche, on ne peut que constater un échec dans notre capacité à expliquer en quoi il était nécessaire de réformer beaucoup plus profondément le droit du travail pour favoriser l'emploi. Il aurait fallu arriver à faire comprendre l'objectif de la norme sociale : lorsque l'on évoque le contrat de travail, le licenciement, l'enjeu est bien l'emploi ; lorsque l'on parle de simplification de la norme, c'est bien pour permettre aux entreprises de s'adapter. L'expérience malheureuse de ce projet de loi, dont la version initiale n'a malheureusement pas prospéré et dont l'ambition a été fortement réduite, témoigne de l'échec d'une pédagogie qu'il aurait fallu mener de manière concertée, sur la base d'un diagnostic partagé, pour mettre en évidence le lien logique entre l'objet de la norme et les enjeux économiques, à savoir l'emploi et la transformation des entreprises.

Une fois que l'on aura établi ce qui relève de la négociation entre les partenaires sociaux et ce qui relève de la compétence du Gouvernement et du Parlement, reste le plus difficile : définir le cap des réformes et la façon de les mener.

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