Intervention de Jean-Michel Pottier

Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire — Réunion du 1er mars 2017 à 16h10
Audition des représentants des organisations représentatives des employeurs avec M. Michel Guilbaud directeur général du mouvement des entreprises de france medef M. Jean-Michel Pottier vice-président en charge des affaires sociales et de la formation au sein de la confédération des petites et moyennes entreprises cpme et M. Pierre Burban secrétaire général de l'union des entreprises de proximité u2p

Jean-Michel Pottier, vice-président en charge des affaires sociales et de la formation au sein de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) :

Les questions que se pose votre mission font l'objet de profondes réflexions au sein de notre organisation. On ne peut pas envisager l'avenir en conservant le système actuel qui, bien qu'il ait des qualités, présente de trop nombreux défauts, que le précédent intervenant a détaillés - j'observe sur ce point une grande convergence de vues entre nous, sans concertation préalable entre nos organisations.

Je représente la CPME - auparavant CGPME qui a perdu le « G » de « générale », épithète que l'on pouvait trouver trop martiale - qui, comme son nom l'indique, est une confédération des PME. Nous réunissons, au niveau national interprofessionnel, des adhérents organisés au niveau des branches professionnelles et des territoires - la dimension territoriale est pour nous aussi essentielle que celle des branches professionnelles. Un vaste champ est ouvert à la représentation interprofessionnelle dans le domaine de la formation ou de l'emploi ; il devient d'ailleurs de plus en plus important car les compétences transversales se multiplient, à l'instar du numérique, qui était auparavant une affaire de spécialistes et concerne désormais tout le monde.

Mes constatations convergent assez largement avec celles qui viennent d'être développées, mais je souhaiterais vous les présenter à ma manière, en les illustrant d'exemples.

Lorsque le Gouvernement respecte l'obligation de concertation préalable - l'an dernier, il a créé un précédent en engageant directement un débat législatif -, il enjoint aux partenaires sociaux de discuter. S'engage alors une succession de phases - comme autant d'entonnoirs -, avec des effets que je voudrais rapidement décrire.

En règle générale, on commence par une conférence sociale, ou par l'établissement du fameux « diagnostic partagé » - partagé surtout par la personne chargée de l'établir, rarement par l'ensemble des participants ! Suit un document d'orientation qui, au fil du temps, s'est transformé en plan détaillé de la négociation. En procédant ainsi, le politique « préempte » les éléments de la négociation. J'ai relu récemment le document d'orientation sur le compte personnel d'activité (CPA) : il fait sept pages, soit plus que le projet d'accord lui-même ! On y décrit par le menu comment il va falloir négocier. Les représentants des organisations patronales n'ont donc plus qu'à apposer leur signature sur un document rédigé par les organisations syndicales de salariés... La négociation sur le CPA a échoué parce que le document d'orientation avait tout dit.

Le document d'orientation s'appuie sur le droit existant et se limite souvent à superposer de nouvelles mesures à la complexité actuelle. Le pouvoir de négociation des partenaires sociaux étant totalement réduit, même avec la volonté de simplifier le droit social, le résultat final est une sorte de monstre : une « loi travail » qui ajoute 360 pages au code du travail, par exemple, sous couvert de simplification... Il nous est ensuite très difficile d'expliquer à nos adhérents que nous n'avons pas pu faire autrement parce que les dés étaient pipés.

L'ANI est ensuite transcrit dans la loi - les Français adorent ça : pour leur formation, ils ne jurent que par les diplômes, et pour réformer, il leur faut toujours des lois, quel que soit le sujet à traiter -, suivie par des décrets, des arrêtés, des circulaires. Au final, cette superposition effarante de dispositifs - le droit social s'apparentant désormais à un millefeuille - aggrave l'insécurité juridique. Autant il est intéressant que les partenaires sociaux soient saisis en amont et apportent une réflexion, autant il faut laisser un peu d'espace à l'imagination, à la possibilité de simplifier les dispositifs, cantonner la loi aux grands principes du droit social, afin que les acteurs disposent d'une certaine liberté.

Au fond, est-ce que nous ne nous porterions pas mieux si on nous faisait confiance ? Comment établir un climat de confiance dans l'enchevêtrement que je viens de décrire ? Cela paraît extrêmement difficile. Nous vivons dans la défiance, source d'insécurité juridique, elle-même à l'origine de procédures à l'envi. Ce n'est pas de cette façon que l'on encouragera le développement économique et social ni la création d'emplois. Notre pays est complètement verrouillé. Les patrons de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE) sont tétanisés à l'idée d'embaucher, compte tenu des difficultés qu'ils auront à résoudre.

J'ajoute que notre droit, pour couronner le tout, considère la petite entreprise comme un modèle réduit de la grande, ce qui est totalement faux. Tout est conçu à l'aune de la grande entreprise et les plus petites doivent se débrouiller pour se conformer aux mêmes critères. On en arrive donc à une situation de blocage.

On parle beaucoup du chômage. Quand on discute avec des chefs d'entreprise - et j'en suis un -, on constate qu'ils aimeraient se développer, mais qu'ils ont peur de le faire, parce qu'on ne leur fait pas confiance.

Pour aller au bout de ce raisonnement, il faut permettre le dialogue social direct au sein de la PME. Je salue le courage qu'a eu le Sénat de voter un amendement que nous avions proposé, pour permettre au chef d'entreprise de négocier directement avec ses représentants du personnel, sur des sujets comme l'organisation du temps de travail, un accord soumis à référendum en prévoyant une majorité qualifiée à 70 %, avec un contrôle de légalité a posteriori de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), pour s'assurer de la régularité du processus. Dans une PME, qui est mieux placé que les salariés et le patron pour négocier sur l'organisation du temps de travail ? Cet amendement a été voté par le Sénat, mais n'a pas été retenu dans le texte définitif. Nous continuerons à défendre la logique consistant à définir un cadre légal simplifié, quitte à le compléter par des dispositions conventionnelles, comme l'accord type PME-TPE, qui nous paraît également une excellente idée. Il faut laisser la main à l'entreprise, quelle que soit sa taille.

C'est aussi un moyen de rétablir une concurrence équitable entre grandes et petites entreprises. En effet, la « loi travail » permet aux grandes entreprises de négocier sur des éléments de compétitivité, alors qu'elle ne le permet pas à leurs sous-traitants ni aux petites entreprises. Il en résulte donc une distorsion de concurrence.

Vous posez également le problème de la mesure de la représentativité des partenaires sociaux. L'établissement de la représentativité des organisations syndicales de salariés commence à être rôdé, mais le taux de participation aux élections professionnelles dans les TPE en dit long sur l'intérêt de leurs salariés à l'égard du fait syndical. Tout le monde doit y réfléchir, y compris les organisations syndicales qui devraient se demander si leur offre de services et leur discours conviennent à ces salariés. Tel n'est pas le cas, à l'évidence, sinon les salariés auraient manifesté davantage d'intérêt pour ces élections. Quant à la représentation patronale, le système est très complexe et il a fallu le réviser. On nous promet des résultats fiabilisés d'ici le mois d'avril et nous les attendons tous avec impatience. En effet, s'il est utile de pouvoir se compter, il est encore plus important de pouvoir travailler en confiance, rapidement, dans l'esprit que je viens de vous décrire.

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