Intervention de Jean-Claude Requier

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 mars 2017 à 17h05
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 9 et 10 mars 2017

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

À quelques jours du soixantième anniversaire du traité de Rome, et alors que nous traversons une période de doute, il n'est pas inutile de rappeler que l'Union européenne doit demeurer notre horizon.

En effet, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, avec ses multiples défis, l'addition des forces est une nécessité et une condition de la survie économique de la plupart des États membres de l'Union, contrairement à ce que certains voudraient faire accroire.

Pour autant, il est clair que l'Union européenne doit se réformer. Dans cette perspective, on peut accueillir avec intérêt le Livre blanc sur l'avenir de l'Europe rendu public mercredi dernier par Jean-Claude Juncker. Ce document présente des pistes allant du statu quo au fédéralisme. De même, on peut se féliciter des bonnes intentions formalisées lors du sommet de Bratislava.

Pour l'heure, le prochain Conseil européen doit poursuivre les chantiers et les réflexions entamés au cours des derniers mois.

Certes, on pourrait penser que la phase la plus aiguë est derrière nous, mais le traitement de la crise migratoire doit rester une priorité. Les outils mis en place pour gérer l'afflux de migrants ont fonctionné. C'est une bonne chose. Je songe notamment à l'accord avec la Turquie, qui a produit ses effets.

On doit néanmoins considérer la question migratoire comme un problème pérenne, auquel il faut apporter des solutions durables. La crise syrienne n'a fait qu'aggraver un phénomène régulier, engendré non seulement par les conflits, mais aussi par les écarts de richesse entre le Nord et le Sud. Parmi les dernières arrivées, on compte davantage de migrants en provenance du Niger et d'Érythrée. Il est donc important que les partenariats prévus avec cinq pays d'Afrique se concrétisent rapidement, comme c'est déjà le cas, semble-t-il, pour le Mali.

La crise des migrants renvoie bien entendu à la question de la protection des frontières extérieures de l'Union européenne. Je ne reviendrai pas sur le renforcement de l'agence FRONTEX, dont tout le monde s'accorde à dire qu'il était bienvenu. Bien sûr, il faut également s'interroger sur l'avenir de l'espace Schengen. C'est d'ailleurs ce que nous faisons au Sénat, au travers de la commission d'enquête que j'ai l'honneur de présider et où siègent de nombreux membres de la commission des affaires européennes. Nous aurons bientôt l'occasion de dévoiler nos conclusions, qui, je l'espère, rencontreront un écho favorable à l'échelle européenne.

En tout cas, il est certain qu'il faudra réviser le code Schengen, même si, contrairement à une idée reçue, celui-ci est déjà relativement flexible : on a pu le constater après les attentats de novembre 2015 à Paris. À ce stade, je souhaite simplement que l'éventuelle révision du code Schengen ne s'étale pas sur des mois ou des années, comme ce fut le cas pour le fichier PNR.

J'en viens aux problèmes de sécurité, qui seront également à l'ordre du jour du prochain Conseil européen.

La transformation d'Europol en agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs et l'entrée en vigueur du règlement du 11 mai 2016 devraient faciliter l'échange d'informations cruciales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité en général.

Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, est-on certain que les administrations nationales suivent bien les décisions prises à l'échelle de l'Union ? On sait qu'il y a de bons élèves -la France en fait partie - et de mauvais quand il s'agit de partager des informations pourtant cruciales pour la sécurité de nos concitoyens.

Sur le front de la sécurité extérieure, on déplore également une mobilisation inégale en faveur d'une défense européenne réellement efficiente. Pourtant, comme vous l'avez rappelé en décembre dernier devant les sénateurs, « l'Europe doit se donner les moyens d'assumer davantage de responsabilités en matière de défense », sans que M. Trump nous le demande ! À ce propos, je me réjouis que le vice-président Mike Pence se soit récemment rendu à Bruxelles pour tempérer les propos du président américain, en rappelant la nécessité du partenariat entre les États-Unis et l'Europe.

Cependant, au-delà de ce réglage diplomatique, il faut bien constater que la défense européenne demeure à un stade par trop incantatoire, même si je relève des décisions encourageantes : je pense notamment à la création du fonds européen de défense, qui découle de l'acceptation du concept d'autonomie stratégique de l'Union européenne, cette orientation n'étant pas incompatible avec le maintien dans l'OTAN.

Enfin, mes chers collègues, permettez-moi d'avoir, en tant que sénateur du Lot, une pensée pour Maurice Faure, qui fut l'un des signataires du traité de Rome. Il était alors jeune secrétaire d'État : ce sont des fonctions qui peuvent mener loin ! (Sourires.)

Je conclurai en évoquant le volet économique, qui fut la première raison d'être du projet européen.

Le Conseil européen abordera notamment la question de la croissance. À cet égard, on peut toujours se demander si l'on ferait mieux à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'Union. Le Royaume-Uni va en faire l'expérience : attendons de voir... Cela étant, si l'on s'en tient aux chiffres, on remarque que l'Union européenne, avec un taux de croissance de 1,9 % en 2016, a fait mieux que les États-Unis et le Japon.

Pour autant, cette tendance demeure fragile, et l'Union européenne doit déployer tous les instruments dont elle dispose pour la conforter.

La convergence des politiques budgétaires commence à porter ses fruits, même si elle tient à l'écart du rebond de croissance les pays ayant mené une politique d'austérité. C'est pourquoi le dernier conseil Ecofin a rappelé la nécessité de stimuler l'investissement. Le doublement du plan Juncker va dans ce sens.

L'Union européenne doit également renforcer sa politique commerciale et se battre pour mieux exporter ses produits vers le reste du monde, où les obstacles sont nombreux. Certains pays, qui se targuent d'être libéraux, pratiquent un protectionnisme déguisé en recourant à des barrières réglementaires. Est-il normal, par exemple, que les pommes françaises se vendent partout dans le monde sauf aux États-Unis ?

La question de la compétitivité est plus délicate encore, car les États membres n'appliquent pas encore tous les mêmes standards sociaux. La pratique du détachement de travailleurs en est l'illustration. C'est d'ailleurs le constat d'une avancée des États membres à des rythmes différents qui alimente les discussions, à l'instar de celles qui se sont tenues hier, à Versailles, au sujet d'une Europe à plusieurs vitesses. Il s'agit là d'un vaste débat, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir, et qui doit être mené avec diplomatie, pour ne pas froisser les susceptibilités et pour préserver les bénéfices de l'élargissement. (Applaudissements.)

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