Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 mars 2017 à 17h05
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 9 et 10 mars 2017

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Messieurs les présidents, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le fait que ce débat se tienne dans un format assez inhabituel ne doit pas nous faire perdre de vue les incertitudes qui pèsent sur l'avenir du projet européen, à quelques jours du soixantième anniversaire du traité de Rome.

La question européenne s'invite aussi dans la campagne présidentielle française et, sur le fond, il faut s'en féliciter.

Toutefois, à force de présenter le sujet comme source de complication pour les citoyens européens, l'avenir de l'Europe est aujourd'hui un thème clivant et très sensible. L'euroscepticisme gagne du terrain dans de nombreux pays, y compris le nôtre, et les populistes semblent avoir encore de beaux jours devant eux, du moins si l'objet de leur vindicte, l'Union européenne, ne se désintègre pas avant.

La crise migratoire demeure un sujet de préoccupation qui cristallise les passions et les peurs. Dans plusieurs États européens, la question de l'identité redevient centrale, la crainte de la submersion par des flots migratoires incontrôlables fait l'objet de toutes les instrumentalisations.

Passé le temps de la sidération, l'Europe tente de réagir, même si son action a vite montré ses limites. L'accord avec la Turquie, dont on connaît les conditions discutables, et la fermeture de la route des Balkans ont eu pour effet de scléroser les flux venant de Méditerranée orientale, mais sur d'autres routes continuent d'affluer migrants et réfugiés.

Le chaos institutionnel et sécuritaire libyen a facilité l'implantation de réseaux de passeurs dont l'activité se renforce encore en Méditerranée centrale, et l'arrivée du printemps pourrait annoncer une recrudescence supplémentaire.

Quant à la voie de la Méditerranée occidentale, elle risque de reprendre du service, comme en atteste l'intensification de la pression migratoire autour de l'enclave espagnole de Ceuta. L'Union européenne serait d'autant plus fondée à mieux sécuriser la route occidentale qu'elle constitue la « voie royale » pour un autre fléau qui sape l'Europe : le trafic de stupéfiants.

Caprice du destin, plus de 1 750 migrants ont été secourus au large de la Libye à la veille du sommet européen de Malte. À cette occasion, les Européens ont confirmé leur détermination à réduire les flux de migrants en Méditerranée centrale et à casser le modèle économique des passeurs, tout en restant attentifs à la route de la Méditerranée orientale.

Concernant l'opération européenne Sophia, elle a permis, à l'évidence, de sauver des milliers de vies en mer. En soi, c'est une bonne chose, mais que pèsent quelques navires et moyens militaires face à la déstabilisation des États par la guerre, la famine ou la crise économique, et aux 4,5 milliards d'euros de revenus tirés du trafic des migrants en Libye, soit plus du tiers du PIB de ce pays ?

Comme le notait un récent rapport de collègues députés, Sophia restera « par nature dérisoire ». Elle a certes permis une connaissance précise des réseaux de passeurs et perturbé l'organisation des trafics. Pour autant, du bilan mitigé de 2016, on peut conclure que la pression sur les réseaux est loin d'être suffisante. Les passeurs se sont adaptés au dispositif européen en se contentant de guider les migrants hors des eaux territoriales, prenant même des contacts directs avec les ONG...

Le sommet de Malte a confirmé la volonté européenne de soutien à la Libye, car la ligne de protection de l'Union vers le Sud ne peut plus être la seule frontière maritime italienne. Il convient dès lors de soutenir les garde-côtes libyens pour oeuvrer dans leurs eaux territoriales. Cette tâche sera longue et nécessitera qu'ils puissent disposer rapidement de navires adéquats. Formés, mieux rémunérés pour éviter la corruption, les gardes devront aussi être protégés des menaces de mort dont ils font l'objet de la part des trafiquants. C'est seulement à ce prix que l'action de l'Europe pourra prendre une autre dimension le long de cette côte libyenne où, en haute mer, le contrôle de l'embargo des Nations unies sur les armes doit également s'intensifier.

L'autre enjeu se situe à terre, où des milliers de migrants attendent. L'Europe entend soutenir le développement des communautés locales dans les zones libyennes situées sur les routes migratoires. Elle souhaite aussi mettre en place des structures et des conditions d'accueil adaptées pour les migrants. Mais ces centres ne deviendront-ils pas de simples escales logistiques pour migrants ? Ne tomberont-ils pas sous la coupe des réseaux de passeurs et des mafias locales ?

Enfin, les mesures d'aide au retour volontaire sont-elles véritablement efficaces ?

Il y a là, monsieur le secrétaire d'État, beaucoup de questions aux réponses difficiles, pour ne pas dire incertaines.

Au cours de ce Conseil européen sera évaluée la mise en oeuvre des conclusions de décembre 2016 relatives à la sécurité extérieure et à la défense. C'est aujourd'hui un thème central pour les Européens, dans une époque marquée par une multiplication des conflits et des menaces terroristes. La pression augmente sur les frontières extérieures de l'Union européenne.

À l'heure où la présidence américaine annonce un budget militaire sans précédent, où la Chine modernise sa défense à un rythme soutenu, quelle doit être la position européenne ? Sans doute pas de se lancer dans une course stérile aux armements qui ne réglerait pas les problèmes, ni de croire que le seul effort de coopération serait suffisant.

Dans ce contexte, la décision de l'Union européenne et de l'OTAN de renforcer leurs relations et de coopérer plus étroitement rappelle que notre sécurité est interconnectée ; elle ne signifie pas que nos intérêts soient toujours communs et n'empêche pas les arrière-pensées.

Le renforcement de la présence militaire de l'Alliance atlantique en Pologne et dans les pays baltes notamment, entériné lors du sommet de l'OTAN de Varsovie en 2016, représente-t-il une véritable sécurité pour les Européens ou un facteur de crispation avec la Russie ? La question reste posée. L'adhésion du Monténégro aurait certes du sens pour la stabilité des Balkans, mais, là encore, la Russie se braque et, déjà, la Géorgie s'impatiente de rejoindre l'Union européenne et l'OTAN. Pouvons-nous poursuivre dans cette voie ?

Pour bâtir une « Europe puissance », il est légitime de vouloir construire un outil de défense plus solide, notamment en mobilisant des ressources supplémentaires, et cela est plus cohérent en vue d'assumer davantage la responsabilité de notre sécurité.

Il y a aussi un enjeu industriel, rappelé par plusieurs de mes collègues. Nous ne pouvons pas accepter d'être dépendants de puissances étrangères ni de risquer de perdre de nos compétences. Quel paradoxe de voir, alors que notre industrie de défense est exportatrice, certains de nos partenaires européens se tourner presque systématiquement vers les États-Unis pour les grands contrats ! Je pense aux avions F-16 achetés par la Roumanie ou la Pologne et aux avions F-35 acquis par l'Italie.

L'Europe est bien à la croisée des chemins. Il y a quelques jours, le président Juncker a présenté le Livre blanc de la Commission sur l'avenir de l'Union européenne, qui trace cinq scénarios possibles pour l'évolution de l'Union à l'horizon 2025. Mais, il faut bien l'admettre : d'une part, une Europe a minima apparaîtrait comme un échec au regard de la construction déjà accomplie ; d'autre part, le statu quo n'est plus possible.

Des élections générales en France, en Allemagne et aux Pays-Bas sortiront des gouvernements qui, avec leurs homologues, seront amenés à faire un choix décisif pour l'avenir de l'Union européenne. L'enjeu de ces élections dépasse donc le seul cadre national.

Beaucoup d'espoirs sont placés dans le couple franco-allemand pour servir de « noyau dur » et de moteur à une Europe rénovée. D'un point de vue politique, la France, dont l'économie stagne, sera-t-elle à même de faire jeu égal avec l'Allemagne, qui, par ailleurs, a enregistré en 2016 un excédent commercial de 252 milliards d'euros quand la France accusait un déficit de 48 milliards d'euros ?

Le projet européen doit s'accompagner de nouvelles perspectives en matière économique. Nous suivrons donc avec intérêt les discussions de ce Conseil européen concernant l'emploi, la croissance et la compétitivité.

L'avenir de la zone euro suscite aussi l'inquiétude tant les divergences entre les économies de ses membres sont réelles. De plus, le cas grec est loin d'être purgé. Comme le notait dernièrement le Fonds monétaire international, « la dette grecque est totalement intenable [...] et les besoins de financement vont devenir explosifs sur le long terme ». Ainsi, sans mesures d'allégement, la dette grecque devrait atteindre 275 % du PIB du pays.

Malgré tous ces vents contraires, je vois plutôt dans les bouleversements actuels une chance pour les États de bonne volonté de redonner à l'Europe une ambition et des moyens. Il s'agit de considérer, à l'instar du président de la Commission européenne, que « c'est le début du processus, non la fin ».

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