Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 mars 2017 à 17h05
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 9 et 10 mars 2017

Harlem Désir, secrétaire d'État :

Je remercie tous les intervenants de leurs questions et de leurs analyses.

Comme l'a dit Jean-Claude Requier, l'Union européenne devra se réformer. À cet égard, la question d'une Europe à plusieurs vitesses, qui a été évoquée hier lors du sommet de Versailles, est très importante. On ne saurait envisager que rien ne bouge. Je ne crois pas du tout que l'on puisse interpréter ainsi le Livre blanc du président de la Commission européenne, même si l'un des scénarios présentés est que l'on en reste là : ce n'est évidemment pas celui que retient M. Juncker, comme il l'a indiqué lui-même devant le Parlement européen, bien que cette vision puisse être défendue par certains États membres. Il a simplement voulu, me semble-t-il, mettre toutes les cartes sur la table. Cela étant, je ne suis pas son porte-parole !

Le choix d'un État membre de quitter l'Union a été le révélateur d'une crise de confiance interne, même si la relation du Royaume-Uni à la construction européenne présente des particularités depuis l'origine. Après avoir d'abord refusé de rejoindre l'Union européenne, le Royaume-Uni avait finalement décidé d'en devenir membre, sans participer pour autant à toutes les politiques communes. Nombre des éléments de défiance qui se sont exprimés lors du référendum britannique se retrouvent ailleurs dans l'Union européenne. Il en va de même de la démagogie. Un certain nombre de mouvements populistes anti-européens d'autres pays se réclament d'ailleurs de ce précédent et proposent l'organisation de référendums en vue de sortir de l'Union européenne.

Il existe donc des difficultés internes, s'agissant par exemple du fonctionnement de la zone euro, comme vient de le rappeler à l'instant M. Allizard en évoquant les divergences entre les économies des États membres. Certes, nous avons avancé avec le troisième programme d'ajustement économique pour la Grèce, visant à éviter l'effondrement économique de ce pays et sa sortie de la zone euro, mais il est clair que, dans nombre de pays, les problèmes de convergence économique que l'appartenance à l'union économique et monétaire était censée devoir régler demeurent, d'où les débats sur les mécanismes à mettre en oeuvre, outre ceux qui existent déjà, comme le Mécanisme européen de stabilité. Faut-il une autre capacité budgétaire ? Faut-il des instruments d'intervention plus puissants, avec un champ plus large ? Faut-il transformer le MES en fonds monétaire européen, comme l'a suggéré M. Yung ? Pour notre part, nous y sommes plutôt favorables, mais il faut préciser ce que cela peut réellement signifier : certains partenaires pourraient accepter l'idée de faire évoluer le mandat de cet outil, dont la capacité de mobilisation est très puissante - il permet de déployer un programme d'aide de plus de 80 milliards d'euros au bénéfice de la Grèce -, mais ils considèrent qu'il faudrait aussi renforcer les conditionnalités. Dès lors, on risque de voir resurgir des problèmes que l'on a plutôt tenté, dernièrement, de régler par de la flexibilité. En effet, ce sont notamment les choix très courageux, très clairs et très forts de Mario Draghi et la politique monétaire mise en oeuvre par la BCE qui ont permis de sortir de la crise, en injectant des liquidités, en faisant baisser les taux d'intérêt, en soutenant les prêts interbancaires et, par là même, les prêts du système bancaire à l'économie, en faisant baisser le cours de l'euro par rapport à celui du dollar, en dépit de certaines résistances.

Il faut trouver un équilibre entre la politique monétaire, le soutien aux investissements et les réformes structurelles. Nous avons réussi à faire évoluer l'approche retenue. De ce point de vue, le débat franco-allemand a été utile, monsieur Bonnecarrère. Tout le monde aujourd'hui comprend que la politique d'austérité a aussi eu un effet récessif, en particulier dans les pays d'Europe du Sud. Elle a été appliquée beaucoup trop longuement, beaucoup trop brutalement, même si des ajustements étaient nécessaires.

Si nous créons des outils pour mieux financer la convergence économique, mieux répartir les investissements au sein de la zone euro et permettre à des pays de rattraper leurs retards, il faut veiller à ne pas instaurer des conditionnalités qui se révéleraient impossibles à satisfaire, au point que ces outils ne pourraient en définitive pas être utilisés, sauf à ce que les pays concernés mettent en place des ajustements dont l'effet récessif serait tel qu'ils induiraient des problèmes économiques ou politiques, au risque de provoquer ou d'accentuer des crises.

Ainsi, les pays d'Europe du Sud qui ont été soumis à cette pression ont connu des crises politiques. En Grèce, c'est finalement un gouvernement mené par le parti Syriza qui, contre toute attente, met en oeuvre une politique d'assainissement et de redressement économique et financier du pays. En Espagne, ce n'est que plus d'un an après les élections qu'un accord stable a pu être trouvé pour former un gouvernement. Au Portugal, la situation s'est réglée plus facilement, mais sans majorité absolue.

Tous ces éléments rendent le débat assez difficile, mais chacun s'accorde à dire que des réformes sont indispensables.

Il est absolument nécessaire d'accepter le fait que l'Europe sera à plusieurs vitesses. Ceux des pays de l'Union européenne qui ont choisi d'avoir une monnaie commune ont besoin d'une forte coordination de leurs politiques économiques. Pour ceux des pays de l'Union européenne qui considèrent que l'Europe a un rôle important à jouer à l'échelon international, parce qu'ils ont eux-mêmes une politique étrangère et une politique de défense ou qu'ils ont conscience qu'ils doivent pouvoir peser davantage, avec leurs partenaires, dans les grands débats internationaux, dont dépendent notre sécurité, notre avenir, la stabilité du monde, il n'est pas possible d'en rester là et d'accepter l'idée que l'Europe ne puisse être qu'un simple marché intérieur, aussi important soit-il.

À cet égard, la France, contrairement à ce qu'on a pu parfois laisser entendre, n'est pas du tout hostile à un approfondissement du marché intérieur dans des domaines qui n'existaient pas lorsque le marché commun a été créé, en 1957. Je pense en particulier au numérique, à l'union de l'énergie, absolument indispensable, ou à certains services.

Le président Raffarin et André Gattolin ont rappelé la célèbre formule de Jean Monnet, selon laquelle l'Europe avance en surmontant les crises. Cela relève de l'idée générale des pères fondateurs que l'Europe est une dynamique. Elle est confrontée à des problèmes, à des défis, à des crises, parfois plus simplement à une nécessité, comme celle de la reconstruction après-guerre. On a commencé par bâtir l'Europe du charbon et de l'acier. On a ensuite essayé de construire une communauté européenne de défense, mais cela n'a pas marché, et on s'est alors de nouveau tourné vers l'économie, avec la mise en oeuvre du marché commun et de politiques communes, telles la politique agricole et la politique du commerce, jusqu'à en arriver à la situation actuelle et à la monnaie unique. Soit la résolution de ces problèmes débouche sur des avancées, soit notre continent se déconstruit et ses faiblesses s'aggravent.

En rester là n'est donc pas une option. Pour autant, faut-il, pour avancer, forcément s'engager dans un grand débat institutionnel et une réforme des traités ? Non ! Surmonter les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui relève d'abord d'une volonté politique et de la capacité à se concentrer sur quelques priorités. Les outils institutionnels, notamment parce qu'ils permettent des coopérations différenciées, n'ont pas besoin d'être changés. La question qui se pose est celle de leur champ d'application : doit-on mettre en oeuvre des coopérations différenciées sur tous les sujets sur lesquels il faut avancer ? Non ! Dans de nombreux secteurs, il est possible de convaincre tous les États membres de participer ; c'est d'ailleurs nécessaire. Je pense à l'énergie : nos objectifs dans ce domaine étant à la fois économiques et climatiques, il faut avancer à vingt-sept. Il ne serait pas satisfaisant que certains États ne fassent pas d'efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et pour passer du charbon à un autre mix énergétique. Cela créerait même des distorsions de concurrence.

Dans le domaine social, certains progrès pourront être obtenus plus rapidement au sein de la seule zone euro, notamment en matière d'harmonisation fiscale. En revanche, si l'on veut lutter contre le dumping social et, par exemple, mieux organiser le détachement des travailleurs, on ne peut pas s'en tenir à la zone euro : il faut associer à la démarche des pays qui ont adhéré plus tardivement à l'Union européenne et dont les niveaux de développement et de salaires sont plus bas. Nous n'entendons pas nous opposer à la liberté de circulation des travailleurs, mais nous voulons que le droit social applicable soit celui du pays où le travail est effectué.

Dans beaucoup de domaines, la coopération différenciée ne vaut donc pas. Il ne s'agit pas de créer une Europe à la carte, de pratiquer ce que les Britanniques appellent le cherry picking, en renonçant à toute cohérence d'ensemble pour l'Union européenne.

En revanche, la Commission ne doit pas se disperser, comme cela a pu être le cas au cours des quinze dernières années, multiplier les initiatives législatives dans tous les domaines, réglementer la taille des bouteilles d'huile d'olive ou la contenance des chasses d'eau. À cet égard, la France et l'Allemagne, ainsi que le président de la Commission, ont permis une prise de conscience très importante. Il faut se concentrer sur des domaines dans lesquels nous pouvons agir ensemble, à l'échelle continentale. Ceux qui veulent aller de l'avant doivent alors pouvoir le faire. Ainsi, en matière de défense ou de politique étrangère, mais aussi dans un certain nombre de domaines industriels, il peut être nécessaire d'assumer l'existence d'une Europe différenciée. Nous ne pouvons pas être bloqués par ceux qui ne sont intéressés que par le marché intérieur.

Je tiens à remercier Philippe Bonnecarrère des mots très aimables qu'il a eus à mon égard. Je me félicite de la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec le Sénat. Ces échanges ont été pour moi non seulement un devoir, mais aussi un plaisir. Ils ont été utiles et enrichissants, en tout cas pour le Gouvernement. Même en cas de désaccord, ils sont demeurés courtois. Je me suis toujours efforcé de répondre aux questions qui m'étaient posées et je vous remercie d'avoir fait preuve d'indulgence quand il ne m'a pas été possible de le faire.

Monsieur Bonnecarrère, le couple franco-allemand a joué et joue un rôle très important pour faire avancer la zone euro. Même si la France et l'Allemagne, on le voit s'agissant de l'union bancaire, peuvent parfois avoir des approches différentes, nous devons continuer d'avoir pour objectif de faire des propositions ensemble.

C'est le dialogue entre la France et l'Allemagne qui a permis de trouver une solution pour la Grèce. Une mission technique est actuellement conduite sur place, monsieur Bouvard, par les représentants des institutions - on ne parle plus désormais de « troïka » -, afin de vérifier que la deuxième revue du programme en cours pourra être effectuée. Nous espérons que la Grèce pourra bénéficier d'un appui plus important encore de la BCE, et surtout qu'elle pourra faire face à ses échéances de remboursement de prêts au mois de juillet prochain, dont les montants sont élevés. Pour cela, il ne faut pas prendre de retard. La situation économique en Grèce s'est améliorée depuis la mise en oeuvre de ce plan. C'est là une réponse à ceux qui disent que l'Europe n'est pas solidaire et que la façon dont la Grèce a été traitée n'était pas respectueuse : ce n'est pas vrai, même si les efforts et les réformes demandés étaient très durs et les premiers programmes probablement mal définis. Comme je l'ai déjà dit, certains programmes d'ajustement ont eu des effets récessifs. La perte de pouvoir d'achat a été beaucoup trop brutale pour de nombreuses catégories de la population. Cela étant, je pense que le plan actuellement mis en oeuvre est en train de produire des résultats. J'espère qu'un accord pourra être trouvé ; la France, en particulier Michel Sapin, joue à cet égard un rôle très actif au sein de l'Eurogroupe, de même que le commissaire européen Pierre Moscovici. Le taux de croissance de la Grèce a été plus élevé que prévu en 2016. Son excédent primaire a été de 2,5 %, alors que le programme prévoyait un objectif de 0,5 %. Cela ne signifie pas que tous les problèmes sont réglés, loin de là, mais on voit que, en Grèce comme dans le reste de la zone euro, les effets de l'accélération de la croissance se font sentir.

Il faut évidemment encourager les investissements, grâce à des dispositifs d'accompagnement. La semaine dernière, je me suis rendu en Grèce avec le Premier ministre. Bernard Cazeneuve a rencontré le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, et de nombreux membres du Gouvernement grec, mais aussi des représentants des entreprises françaises, afin de les inciter à continuer d'investir dans ce pays, pour y créer de l'activité et de l'emploi.

Sur les grandes questions internationales également, le couple franco-allemand est un élément moteur. Je pense à l'Ukraine, avec les accords de Minsk et le format Normandie, à la réponse européenne à la menace terroriste, au contrôle de nos frontières, à la réforme du code Schengen, que Jean-Claude Requier a évoquée et qui a déjà commencé, à l'alimentation des fichiers communs, ceux d'Europol, mais aussi le SIS, le système d'information Schengen. Sur ce sujet, Jean-Claude Requier a entièrement raison : il faut que tous les États membres inscrivent dans ce fichier toutes les informations de sécurité sur les personnes présentant des risques. Ce fichier est le seul qui puisse être consulté systématiquement. À l'avenir, il faudra aussi, probablement, que l'on puisse utiliser Eurodac à des fins de sécurité, car il contient des données biométriques tout à fait précieuses. Enfin, Europol devra être beaucoup plus mobilisé par tous les États membres.

Dans tous ces domaines, la coopération franco-allemande a joué un rôle clé. Sans la force de l'engagement du couple franco-allemand, sans le sens des responsabilités de nos deux pays, je pense que l'Europe n'aurait pas tenu dans la tourmente qu'elle a traversée.

Vous avez été nombreux à évoquer le sommet de Versailles. Il a été marqué par le sens des responsabilités commun aux quatre plus grands pays de l'Union européenne, par une volonté très forte, reposant sur une vision partagée du monde dans lequel nous vivons, des valeurs que nous avons à y défendre et de nos intérêts communs. Soixante ans après la signature du traité de Rome, nous devons faire avancer le projet européen.

Ce format n'a pas vocation à déboucher sur la constitution d'un groupe fermé ou d'un directoire. Ces quatre grandes économies de l'Union européenne, à l'invitation du Président de la République, ont simplement voulu aider à préparer le sommet de Rome, afin qu'il soit un succès, et mettre leur force au service de la relance du projet européen. J'espère que cette dynamique se poursuivra au-delà de l'élection présidentielle et que, quelle que soit l'issue de celle-ci, notre pays restera un moteur non seulement de la construction européenne, mais également de l'ambition européenne. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

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