Intervention de Alain Bernier

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 7 février 2017 à 14h00
Audition commune de M. Alain Bernier président de la fédération départementale de loire-atlantique des syndicats d'exploitants agricoles fnsea 44 M. Christophe Sablé secrétaire général de la chambre régionale d'agriculture des pays de la loire M. Dominique deNiaud président de la section locale de loire-atlantique de la confédération paysanne M. Cyril Bouligand et M. Daniel duRand membres du collectif « copain 44 »

Alain Bernier, président de la FNSEA 44 :

La loi Grenelle, qui rend opposable la séquence éviter-réduire-compenser pour les atteintes à la biodiversité, est postérieure à la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet d'aéroport. Si elle s'était imposée à l'époque au maître d'ouvrage, la réalisation du projet aurait été impossible car il semble difficile d'éviter les impacts d'un tel projet sur le milieu.

L'évitement des impacts est une des composantes du triptyque que l'on peut soupçonner d'être trop rapidement esquivée. Tout le monde raisonne par le prisme des compensations, mais c'est accorder trop peu d'importance à l'évitement et à la réduction des impacts, qui doivent pourtant être primordiaux dans la réflexion entourant les projets. Preuve en est, la commission d'enquête qui se réunit aujourd'hui se penche seulement sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructure.

La position des exploitants et des propriétaires face à cette obligation réglementaire est loin d'être unanime. De la même manière que les avis sont partagés en ce qui concerne le projet d'aéroport en tant que tel, les partisans d'une large compensation des impacts sont au moins aussi nombreux que les opposants.

Pour l'heure, il est difficile d'estimer les impacts du projet d'aéroport, et plus encore les compensations qui en découleront. Faudra-t-il, par exemple, intégrer tous les projets connexes qui ne manqueront pas de s'y greffer ?

Quels que soient l'envergure d'un projet et ses impacts sur l'économie agricole et sur l'environnement, les porteurs du projet doivent mettre en oeuvre une concertation aboutie en amont du processus. La FNSEA 44 plaide pour que la profession agricole soit systématiquement associée et consultée en amont.

La chambre d'agriculture fait l'interface entre les protagonistes du projet d'aéroport du Grand Ouest, au travers d'un comité professionnel ad hoc. À ce titre, la séquence éviter-réduire-compenser a déjà fait l'objet de discussions dans le passé. Nous avions pu, par exemple, pointer l'opacité de la méthode de calcul de la dette environnementale. Début 2013, nous avions d'ailleurs regretté, auprès de la mission agricole et auprès de la commission du dialogue mises en place par le gouvernement, d'avoir été mis devant le fait accompli. Cette étape est pourtant cruciale puisqu'elle détermine la suite du processus.

Il est impératif que la concertation débute dès le stade des réflexions relatives à l'évitement. Encore une fois, la mise en oeuvre de compensations ne doit concerner que les impacts résiduels des projets, après épuisement des phases d'évitement et de réduction.

Enfin, la localisation géographique des compensations est un point fondamental sur lequel la profession agricole doit également être consultée.

Le comité professionnel présidé par la chambre d'agriculture réunit l'ensemble des organisations concernées par le projet. Cette instance permet de fixer les orientations agricoles, en déterminant les priorités et en relayant les attentes de la profession ou d'encadrer les interventions dans le cas où les porteurs de projets sont en relation directe avec les personnes.

Les mesures de compensation environnementale ont un effet évident sur l'activité agricole puisqu'elles en modifient le potentiel économique. Elles ne sont pas forcément incompatibles avec l'agriculture, à condition toutefois d'être mises en oeuvre avec discernement.

Nous demandons une mise en oeuvre de la compensation environnementale exclusivement par fonctionnalité équivalente et nous refusons une approche quantitative : il n'est pas question de faire du 2 pour 1 (2 mares reconstruites pour 1 mare détruite, par exemple).

Puisque les mesures de compensation s'appliquent principalement sur des terres agricoles, les agriculteurs sont inévitablement mis à contribution à des degrés divers selon le type de mesure choisie (création de mares, reprofilage de cours d'eau, plantation de haies ou restauration de prairies). Qu'ils participent à la réalisation des travaux ou qu'ils soient chargés uniquement de la gestion effective des mesures, les agriculteurs ont toutefois deux impératifs préalables : avoir la liberté de s'engager de manière volontaire dans le processus et être indemnisés pour perte de marge et, le cas échéant, pour service rendu.

L'attractivité des indemnisations est un véritable enjeu. Il faut parler d'indemnisation ou de compensation de perte de production et pas de rémunération. L'indemnisation doit compenser à sa juste valeur la perte de potentiel et être suffisamment attractive pour que les agriculteurs s'en saisissent. Mais il faut prendre garde à ce que cette indemnisation ne devienne pas une rente. Pour éviter l'effet d'aubaine et conserver le potentiel productif agricole, nous préconisons un plafonnement pour chaque exploitation. Il n'est pas question de dévoyer le métier d'agriculteur ou de concentrer des mesures environnementales sur des exploitations entières. Il en va de l'avenir de l'agriculture.

Bien souvent, les terres concernées sont celles à fort potentiel agronomique : construire des infrastructures sur des terres saines facilite, en pratique, la conduite d'un projet et présente l'avantage de réduire considérablement la facture du préjudice environnemental. Or ce sont précisément ces terres-là que les agriculteurs voudraient préserver en priorité.

Ce n'est qu'à la condition du double respect de l'environnement et de l'agriculture que les agriculteurs pourront se saisir de l'opportunité d'une compensation environnementale à des fins de valorisation d'espaces délaissés ou d'un moindre intérêt agricole. À cet égard, il serait souhaitable de limiter ces compensations aux seuls agriculteurs pour éviter un effet de rétention par des propriétaires qui pourraient être tentés de valoriser ainsi leurs parcelles, plutôt que de les louer à des agriculteurs. Si l'agriculteur n'est pas propriétaire des parcelles, la convention doit être tripartite (maître d'ouvrage, propriétaire, fermier) afin que l'exploitant en place donne son accord.

L'application de la séquence éviter-réduire-compenser est complexe. L'encadrement des dispositions prises sur le terrain est indispensable pour éviter les éventuelles dérives et garantir l'équité de traitement. La FNSEA 44 ne participe aujourd'hui à aucune instance de suivi des enjeux environnementaux. La profession agricole souhaite être acteur et pas seulement spectateur. Nombre d'habitats et d'espèces sont aujourd'hui en bon état de conservation grâce à l'agriculture.

Par ailleurs, quoiqu'il advienne de ce projet, il faudrait mettre fin à l'occupation illégale des terres.

Enfin, pour avoir une vision globale et mesurer les impacts de l'ensemble des projets prévus dans le département, il serait opportun de faire appel à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion