La superficie de la France est de 55 millions d'hectares. En 1960, 35 millions d'hectares étaient dédiés à l'agriculture ; il n'y en avait plus que 28 millions en 2010. Si l'on se réfère au rythme de ces dernières années, l'agriculture devrait avoir encore perdu entre 2 et 3 millions d'hectares en 2050. Ces données, qui sont publiques et vérifiables, nous interrogent.
Je souscris globalement à ce qui a été dit précédemment sur la séquence ERC. Pour avoir déjà participé à un certain nombre d'auditions ou d'échanges au sein de diverses instances, j'ai constaté que la séquence éviter a souvent été partielle, voire inexistante, et que ni les agriculteurs, ni les citoyens n'ont été associés à ce processus. On est alors en droit de se demander quand et comment les décisions ont été prises. C'est une question à laquelle il faudra répondre tôt ou tard.
La population agricole ne peut comprendre que l'on ait besoin d'une emprise de 1 650 hectares - même si une partie concerne le barreau routier et une autre partie l'infrastructure - alors que certaines plateformes aéroportuaires de plus grande capacité n'utilisent que 350 à 500 hectares.
L'impact sur les exploitations a été mesuré pour les infrastructures aéroportuaires et le barreau routier. En revanche, pour les infrastructures attenantes, telles les lignes train-tram, la LGV, les parcs d'activités qui pourraient se développer, nous n'avons aucune donnée sur l'avenir. Nous avions soulevé ces questions au sein du SCoT Nantes-Saint-Nazaire, qui a été rejeté en commission départementale de consommation des espaces agricoles par l'ensemble des syndicats agricoles, avec un avis très réservé de la chambre d'agriculture. Nos questions sont restées sans réponse. Là encore, il faudra pouvoir y répondre.
La vie d'une exploitation agricole est largement conditionnée à l'absence de coupure dans son territoire. Les facilités de circulation, la densité du nombre d'exploitations présentes sur un territoire, permettent la vie collective - les CUMA, par exemple - et favorisent la présence nombreuse d'agriculteurs sur une même zone. Pour qu'une activité agricole perdure, il faut du foncier disponible, des paysans, mais aussi des conditions favorables. Or, si ces trois éléments ne sont pas réunis, cela ne fonctionne pas. J'en veux pour preuve la zone aéroportuaire actuelle, au sud de Nantes : là encore, il y a beaucoup d'hectares en friche et les exploitations ont énormément de difficultés à se maintenir sur le territoire.
Ce projet d'aéroport ne peut pas être accepté collectivement par les agriculteurs. Certains ont conclu individuellement des protocoles d'accord. Pour qu'un projet puisse progresser, on ne peut pas avoir que des intérêts particuliers qui s'ajoutent. La réussite d'un tel projet passe par une convergence globale et pas par l'empilement d'intérêts particuliers.
En dehors des conventions de mise à disposition temporaire du foncier, les relations entre les paysans locaux et le maître d'ouvrage sont quasi-inexistantes. Le sont-elles car le projet « s'éternise » ? D'une manière générale, le bon sens paysan conduit la profession à ne pas adhérer aux mesures de compensation. Au risque de vous paraître sévère, je dirais que lorsque l'on a compensé des terres, il faut les déclasser en termes de production. On part d'une surface qui a un certain potentiel et on la pénalise artificiellement, ce qui est difficilement acceptable par la profession agricole et qui n'a pas grand sens.
Les compensations financières restent assez imprécises à ce jour, même si nous avons obtenu quelques éléments lors de l'audition des représentants d'AGO. Un maître d'ouvrage qui souhaite compenser l'impact d'une infrastructure y mettra évidemment l'argent nécessaire. Il est évident que si les montants sont faibles, peu de personnes seront intéressées et que des sommes très attractives induiront des solutions individuelles, ce qui pose le problème de la marchandisation. C'est ce qui s'est produit avec la politique agricole commune (PAC) : des personnes en fin de carrière ont préféré ne pas prendre leur retraite et conserver leur foncier en y maintenant une activité réduite, entrant ainsi dans une agriculture de rente. Il y a là un vrai danger.
L'agriculture devra faire face à des besoins alimentaires croissants. Pour répondre à ces besoins, deux éléments sont à prendre en compte : le nombre d'hectares cultivés et leur rendement. C'est bien la multiplication de ces deux facteurs qui détermine notre capacité à nourrir la population. Nous, paysans, disons clairement à la société que nous ne pourrons pas produire plus d'alimentation avec moins d'hectares, et parfois moins de rendement - comme c'est le cas pour certaines cultures céréalières, dont la production régresse en raison de la réduction des phytosanitaires et des engrais minéraux. Cette équation est impossible à résoudre.
J'attire aussi votre attention sur la difficulté des élus à faire le lien entre les enjeux nationaux et internationaux pour la préservation de l'eau et des terres agricoles, d'une part, et leur concrétisation dans des projets locaux, d'autre part : cette connexion-là s'établit très difficilement et il y a un véritable travail à mener.
Enfin, à Notre-Dame-des-Landes, il est encore temps d'éviter les impacts, tant que les travaux n'ont pas démarré.