Intervention de Fabien Raynaud

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 7 février 2017 à 14h00
Audition de M. Fabien Raynaud président de la 6e chambre de la section du contentieux du conseil d'état

Fabien Raynaud :

Je tenais tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à témoigner devant votre commission d'enquête. À titre liminaire, et comme le vice-président du Conseil d'État vous l'a indiqué par courrier, je ne m'exprime pas aujourd'hui comme un acteur de l'environnement ni comme un agent responsable d'une politique publique, mais comme juge administratif chargé d'appliquer les textes en vigueur dans ce domaine. Je ne peux donc apporter mon éclairage qu'au regard de la jurisprudence que nous élaborons au Conseil d'État en général, en particulier à la 6e chambre que je préside depuis seulement novembre 2016 et qui est chargée du contentieux sur l'environnement et d'une partie du contentieux en matière d'urbanisme.

Les mesures de compensation des atteintes à l'environnement, notamment à la biodiversité, sont entrées dans notre droit positif avec la loi du 10 juillet 1976 et les textes pris pour son application, comme le décret du 12 octobre 1977, dont l'article 2 prévoyait que l'étude d'impact d'un projet susceptible d'avoir un effet sur l'environnement devait notamment comprendre les mesures envisagées par le maître d'ouvrage pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement. Il s'agissait alors d'une innovation importante de notre droit, en reconnaissant que des projets d'urbanisme pouvaient avoir des effets significatifs sur l'environnement et en inscrivant l'obligation de prévoir un regard spécifique sur ce triptyque éviter-réduire-compenser (ERC) dans les études d'impact.

Dans un premier temps, le juge administratif a veillé au respect de ces obligations sous un angle procédural. Il s'agissait de vérifier que l'étude d'impact comprenait bien des mesures pour éviter, réduire et compenser, telles qu'exigées par les textes en vigueur. La jurisprudence se structure dans les années 1980 et 1990, avec un premier arrêt de section en 1983. Ces décisions rappellent l'obligation procédurale d'intégrer la séquence ERC dans les études d'impact. Dans les années 1990, une série de décisions optent pour une approche plus qualitative, en appréciant le caractère suffisant de ce volet dans les études d'impact.

Depuis les années 2000, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact eu égard à ce triptyque continue régulièrement à être soulevé mais il est plus rare qu'auparavant qu'il conduise à une annulation, pour plusieurs raisons : les études d'impact sont désormais beaucoup plus fournies sur ce triptyque ERC, les critiques se diversifient sur les études d'impact et ne portent plus uniquement sur cette séquence, et le Conseil d'État a relevé son niveau d'exigence en considérant que les inexactitudes, les insuffisances ou les omissions dans une étude d'impact ne peuvent constituer un vice de procédure de la décision prise sur la base de cette étude d'impact que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative, depuis sa décision Société Ocréal du 14 octobre 2011. Cette évolution permet d'éviter des annulations mécaniques, en les limitant aux cas dans lesquels les insuffisances en question ont eu un impact avéré sur la décision. Ce moyen reste souvent soulevé. Un exemple récent : la décision Association de sauvegarde du Trégor du 5 décembre 2016 dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir contre un décret autorisant l'exploitation de sables calcaires.

Dans un second temps, le juge administratif a intégré le triptyque ERC dans son contrôle de fond. Cela fait notamment suite à un renforcement des textes, notamment la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, les évolutions législatives et réglementaires ayant suivi l'adoption de la Charte de l'environnement et le grenelle de l'environnement. Le cadre européen a par ailleurs été renforcé pendant cette même période. Le principe d'action préventive et de correction est désormais prévu à la base de notre droit de l'environnement, à l'article L.110-1 du code de l'environnement. C'est également le cas pour le code rural et de la pêche maritime, à l'article L. 200-1.

Dès 1998, le Conseil d'État a ainsi jugé que l'administration avait pu légalement refuser d'autoriser l'exploitation d'une carrière, au motif que « les mesures proposées par la société pétitionnaire pour prévenir, supprimer, réduire ou compenser les atteintes que l'exploitation de la carrière pouvait porter à la salubrité publique et à l'environnement n'étaient pas suffisantes pour réduire les inconvénients à un niveau raisonnable. »

En 2006, le Conseil d'État a jugé que le principe de prévention des atteintes à l'environnement, qui peut être proche dans son contenu du triptyque ERC, était invocable dans le cours d'un recours pour excès de pouvoir contre un acte réglementaire, en l'occurrence un décret du 10 janvier 2003 autorisant l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) à modifier le centre de stockage de déchets radioactifs dans la Manche. Mais il a précisé à cette occasion que le juge administratif n'exerçait dans ce domaine qu'un contrôle restreint, fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation.

Le juge administratif a appliqué ce cadre à plusieurs reprises, notamment dans une décision Amis de la Terre du 26 mars 2008 sur un arrêté inter-préfectoral portant approbation du plan de protection de l'atmosphère de l'Ile-de-France, une décision Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne du 23 février 2009 à propos de la réintroduction des ours, ou encore une décision de l'assemblée du contentieux du 12 juillet 2013 contre le décret du 22 septembre 2010 relatif à la pêche à l'anguille.

Le contrôle de fond des mesures destinées à éviter, réduire et compenser s'est surtout exercé dans le cadre des recours contre les déclarations d'utilité publique (DUP), et ce dès les années 1980, avec notamment une décision Commune de Thiais du 13 janvier 1984 sur l'autoroute A86. Je citerai également une décision Fédération SEPANSO du 21 mai 2008 contre le décret du 18 décembre 2006 portant déclaration d'utilité publique sur l'A65, dans laquelle le Conseil d'Etat s'est fondé sur les mesures envisagées pour compenser les atteintes à l'environnement afin de rejeter le recours pour excès de pouvoir. Sur cette même affaire, le commissaire du Gouvernement concluait quant à lui à l'annulation du décret, considérant que l'étude d'impact était insuffisante et que le contenu des mesures proposées était lui-même insuffisant.

Un autre exemple célèbre : la décision Association interdépartementale et intercommunale pour la protection des sites du Verdon du 10 juillet 2006 dans laquelle le Conseil d'Etat a annulé un arrêté de décembre 2005 des ministres chargés des transports et de l'industrie portant déclaration d'utilité publique pour des lignes à haute tension dans les gorges du Verdon, considérant que les atteintes à l'environnement étaient trop importantes. La compensation n'était pas directement mentionnée mais le sujet était sous-jacent.

Enfin, sur la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le Conseil d'État n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur des recours, a fortiori car nous intervenons surtout en cassation.

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