Intervention de Jean-Pierre Henry

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 février 2017 : 1ère réunion
Audition de jean-pierre henry directeur de recherche au cnrs université paris diderot sur le thème : « progrès dans la connaissance des mécanismes du cerveau. vers l'homme augmenté ? »

Jean-Pierre Henry, directeur de recherche au CNRS, Université Paris Diderot :

C'est une question que l'on ne peut s'empêcher de poser. Je l'aborderai dans la troisième partie.

J'en viens à la deuxième partie : « Soigner, réparer. » J'évoquerai tout d'abord les maladies neurodégénératives en commençant par la plus importante d'entre elles : la maladie d'Alzheimer.

Cette maladie se traduit par des troubles de la mémoire récente, de l'attention, du langage, des difficultés d'orientation, des troubles du jugement, de la personnalité. Elle touche, en France, 5 % de la population âgée de 65 ans, 30 % après 80 ans, les cas héréditaires étant très rares. Cela représente 860 000 personnes atteintes, avec un coût de traitement moyen estimé à 16 000 euros par an et par personne, même si les chiffres annoncés peuvent sensiblement varier.

Au-delà d'un certain âge, la probabilité de la maladie est donc très élevée. La situation confine à la catastrophe puisque le mécanisme de la maladie nous est inconnu et qu'il n'existe pas de traitement efficace.

Il y a tout de même des avancées. La présence de plaques dites « séniles » a été détectée dans le cerveau de personnes décédées atteintes de la maladie. Elles sont constituées par des agrégats de grande taille d'une protéine, commune à tous les êtres humains, qui se met à avoir un comportement anormal. Les plaques se forment et provoquent la dégénérescence et la perte de neurones. L'identification de cette protéine doit permettre de développer des méthodes de diagnostic. L'une des pistes envisagées serait de mettre au point des sondes capables de se lier à ces plaques et, grâce à la technique de la tomographie par émission de positons, de repérer les plaques séniles avant même l'apparition des signes cliniques.

Autre élément positif, le fait qu'un certain nombre de cas héréditaires ait été détecté. Dans la mesure où l'on sait séquencer le génome, on est capable de trouver la protéine impliquée, de modifier le gène concerné et de le réimplanter dans des souris, qui vont alors développer la maladie d'Alzheimer.

J'en viens à la maladie de Parkinson, dont les symptômes sont connus : akinésie - déplacements lents -, tremblements de repos, hypertonie musculaire, troubles du sommeil ou cognitifs, perte de l'odorat. Elle touche 1 % de la population à l'âge de 70 ans et l'on dénombre 5 % de cas héréditaires. En France, 100 000 personnes en sont atteintes, pour un coût de traitement moyen supérieur à 10 000 euros par an.

Comme précédemment, même si la situation est beaucoup moins catastrophique, il n'existe pas de compréhension fine de l'origine de la maladie qui permettrait de développer des traitements véritablement curatifs. On sait que la substance noire, c'est-à-dire la partie du cerveau qui contrôle le mouvement, dégénère. Elle utilise un neurotransmetteur, la dopamine. On administre aux personnes une molécule - la L-dopa -, qui possède la particularité de pouvoir être transformée en dopamine et ainsi de soigner les symptômes pendant au moins un certain temps. Par ailleurs, on sait implanter des électrodes et effectuer une stimulation profonde dans une zone particulière, ce qui semble donner de bons résultats. Là encore, la recherche française est à la pointe, puisque cette technique, maintenant bien répandue dans le monde, a été développée en premier par le professeur Alim-Louis Benabid, à Grenoble. La greffe de neurones est également une voie envisagée.

Comme dans le cas de la maladie d'Alzheimer, on a pu remonter aux gènes impliqués grâce aux cas héréditaires détectés et, par ce biais, « fabriquer » des souris qui vont développer, in vitro, la maladie de Parkinson.

Que la pharmacologie, c'est-à-dire la fabrication de médicaments, se révèle impuissante peut paraître étonnant. Après ce que je viens de dire, cela devient compréhensible car, faute de mécanisme connu, on n'a pas, pour parler simplement, de cible à viser.

Je relaierai cependant une relativement bonne nouvelle. Une hypothèse intéressante a cours dans le milieu. Les maladies d'Alzheimer et de Parkinson sont des maladies lentement dégénératives. Dans les deux cas, on observe un dépôt anormal de protéines dans les neurones, puis un envahissement progressif de ces dépôts qui suit l'évolution de la maladie. Les chercheurs ont noté des similarités avec la maladie de Creutzfeld-Jakob, dite de la « vache folle ». Dans ce cas, la pathologie est due à la conversion d'une protéine endogène en une version différente, avec des propriétés physico-chimiques particulières, qui tend à former des agrégats, c'est-à-dire des ensembles de protéines. La protéine convertie sert de matrice pour la conversion dans d'autres cellules. Autrement dit, une protéine anormale possède la propriété « extraordinaire » de déclencher le passage à l'état anormal d'une autre protéine normale. Ce dernier se fait donc par contagion de cellule à cellule.

Il n'en découle pas que les maladies d'Alzheimer et de Parkinson sont contagieuses. D'ailleurs, la contagion dans le cas de la maladie de la vache folle est d'ampleur extrêmement faible : pas plus de deux cents victimes. Toujours est-il que la découverte, au sein du cerveau, d'un risque de contagion de cellule à cellule constitue un changement de paradigme et ouvre une piste à explorer : trouver des moyens de bloquer la sortie de la cellule de la protéine devenue anormale et son entrée dans une autre cellule.

Après les maladies neurodégénératives, j'évoquerai les accidents vasculaires cérébraux, les AVC. Il s'agit de troubles de la circulation provoquant une mort neuronale très rapide avec de lourdes conséquences. On recense environ 20 000 cas par an. La récupération est parfois possible, ce qui démontre la réelle plasticité des circuits neuronaux.

Les aires du langage sont situées du côté gauche du cerveau : l'aire de Broca, plus en avant, et l'aire de Wernicke, un peu derrière. Il arrive qu'un AVC du côté gauche les affecte : plus rien ne s'active et la victime se retrouve incapable de parler. Dans certains cas, à l'issue d'une rééducation s'échelonnant sur une année, on a observé qu'une récupération était possible. Différents clichés montrent que, au cours du processus de rééducation, des zones actives réapparaissent à gauche, mais apparaissent aussi à droite. Puis, quand la parole est revenue, les images révèlent que l'activation du côté droit disparaît et que tout est revenu sur le côté gauche.

Le cerveau possède une capacité absolument étonnante : quand une zone ne fonctionne pas ou plus, il est capable de compenser dans une certaine mesure, parfois en prenant la symétrique dans l'autre partie du cerveau, quitte à remettre les choses à leur place un peu plus tard. Cela signifie que le cerveau contient vraisemblablement des circuits redondants, la moitié redondante étant inhibée mais récupérable en cas de besoin. Il est donc possible de jouer sur cette plasticité pour essayer de traiter un certain nombre de maladies. D'où l'impérieuse nécessité de connaître les aires dans lesquelles existe cette capacité de récupération, de manière à identifier les cas où il est envisageable d'agir.

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