Intervention de Jean-Pierre Henry

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 février 2017 : 1ère réunion
Audition de jean-pierre henry directeur de recherche au cnrs université paris diderot sur le thème : « progrès dans la connaissance des mécanismes du cerveau. vers l'homme augmenté ? »

Jean-Pierre Henry, directeur de recherche au CNRS, Université Paris Diderot :

En la matière, il faut saluer les travaux menés par Hugues Duffau à Montpellier. Ce neurochirurgien, contre vents et marées, a décidé de traiter un type de tumeurs extrêmement graves : les gliomes invasifs de bas grade. Le procédé est le même que pour les épilepsies : on anesthésie, on ouvre et on stimule tout autour de la tumeur pour voir si la zone entourant la tumeur sert encore à quelque chose. Si la réponse est négative, on coupe et on retire. Si elle est positive, Hugues Duffau en conclut que le cerveau n'a pas pu effectuer son transfert. Dans la mesure où la maladie s'est développée lentement, si la plasticité neuronale avait pu jouer et permettre à l'activité cérébrale concernée de se déplacer, cela se serait fait. Dans un très intéressant article publié l'année dernière, il présente un atlas des zones dans lesquelles la régénération est possible.

Je reviens quelques instants sur les greffes de neurones car elles soulèvent nombre de questions : peut-on remplacer des neurones ? Comment vont-ils survivre ? Vont-ils s'intégrer dans les réseaux déjà formés et extrêmement complexes ? La neurogenèse adulte montre que, même dans les situations normales, des neurones en quantité très limitée, dans une aire bien définie, sont capables de reprendre leur place et de jouer leur rôle. Il y a des neurones adultes qui, normalement, se réinsèrent dans des circuits.

De même, chez l'embryon, quand le cerveau se forme, les circuits principaux se mettent en place dans le cortex. Ce sont les circuits excitateurs, ceux qui envoient des messages positifs. Puis les messages négatifs arrivent de manière à équilibrer les messages positifs : c'est le rôle des neurones inhibiteurs, synthétisés dans une autre partie du cerveau, qui migrent et viennent s'implanter dans les circuits formés. Par conséquent, le développement du cerveau ne se fait pas simultanément : les neurones inhibiteurs arrivent après les neurones excitateurs. De nombreuses pathologies impliquent un déséquilibre entre neurones activateurs et inhibiteurs.

Chez la souris, une fois ce décalage observé, les chercheurs, américains pour la plupart, ont prélevé des neurones embryonnaires pour les réimplanter dans différentes régions du cerveau adulte : à l'avant du cerveau se situent les zones responsables de la maladie de Parkinson et d'une autre maladie neurodégénérative, la maladie de Huntington ; dans le cortex se trouvent les zones responsables de l'épilepsie, laquelle, rappelons-le, est due à un déficit de neurones inhibiteurs, donc à un surcroît d'activité. C'est également dans le cortex que l'on peut intervenir en cas d'amblyopie, de schizophrénie, d'AVC. L'hippocampe est impliqué dans les crises d'épilepsie et d'anxiété, ainsi que dans la maladie d'Alzheimer. Ajoutons que les greffes de neurones sont également possibles dans la moelle épinière.

Dès lors, pourquoi ne pas envisager de greffer des neurones chez l'homme ? Nombreuses sont les conditions préalables à remplir. Il faudrait disposer de toutes les catégories de neurones - et il y en a beaucoup - et pas uniquement les neurones inhibiteurs. Surtout, il faudrait en avoir en quantité et qu'ils présentent les mêmes caractéristiques sur le plan immunologique, de manière à éviter les rejets. Tout cela a freiné la recherche en ce sens.

Cependant, un très grand progrès a été réalisé : les cellules souches embryonnaires. Revenons-en aux tout premiers stades de l'embryon, à l'oeuf fécondé : les premières cellules, celles qui sont capables d'engendrer un organisme entier, ce sont les cellules totipotentes, susceptibles de donner tous les types cellulaires de l'organisme, donc des neurones. L'idée est de cultiver des cellules embryonnaires pour obtenir, en variant la composition du milieu de culture, le type cellulaire souhaité : cellules cardiaques, cellules intestinales, neurones...

Il serait donc possible, en théorie, à partir de cellules embryonnaires souches, d'obtenir des neurones disponibles pour la greffe. Pour ce faire, il faudrait intervenir sur l'embryon, ce qui est interdit par les lois de bioéthique. Au demeurant, la recherche sur l'embryon ne permet pas d'avoir suffisamment de « matériau » pour envisager un éventuel développement.

Entre-temps, le prix Nobel a été décerné à un japonais, Shinya Yamanaka, qui a développé la technique des cellules souches pluripotentes induites, dite technique IPS - Induced Pluripotent Stem Cells. De quoi s'agit-il ? Il existe un type de cellules, les « fibroblastes », présentes un peu partout dans le corps, capables de se diviser et que l'on sait cultiver. Or, dans les cellules souches embryonnaires, lorsqu'elles sont totipotentes, quatre gènes sont exprimés. La technique IPS consiste à faire exprimer ces gènes dans les cellules différenciées adultes, ce qui leur permet de se « dédifférencier », de se reprogrammer et de redevenir des cellules souches embryonnaires, qu'il est alors possible de transformer dans le type neuronal souhaité en vue d'éventuelles greffes.

Voilà pour la théorie. D'ores et déjà, des entreprises de biotechnologie, notamment aux États-Unis, se sont lancées dans cette voie. Un exemple particulièrement frappant des promesses nées de cette technique est la réparation de la moelle épinière chez le rat : après hémisection de la moelle, paralysant l'animal d'une patte, on a réussi, par la greffe de cellules, à rétablir la continuité des nerfs de la moelle épinière et donc le mouvement.

Il y a une autre manière de procéder : l'interface machine-cerveau. Je l'ai rappelé, au sein des neurones du cerveau, la signalisation s'effectue au travers des courants électriques. On sait à peu près à quoi correspond tel ou tel type de neurones. Dès lors que l'on est capable de récupérer le courant électrique qui circule dans cette partie du corps, on peut essayer de le décoder et d'utiliser ces signaux électriques pour actionner une prothèse, quelle qu'elle soit. Une expérience de ce genre a été menée en 2013 sur une personne tétraplégique : paralysée des quatre membres depuis une dizaine d'années, les aires de commandes motrices de son cerveau sont fonctionnelles, mais toute transmission est interrompue. L'expérience consiste à recueillir les signaux électriques des neurones par des électrodes implantées dans son cerveau, puis à les décrypter et les utiliser pour actionner un bras prosthétique capable de faire sept types de mouvements différents. C'est donc la personne qui actionne la prothèse, c'est son cerveau qui la commande. Je pourrais citer quelques autres exemples mais en nombre limité car un tel dispositif est évidemment très lourd à mettre en place.

Il est aussi possible de faire l'inverse, c'est-à-dire d'injecter un signal électrique dans le cerveau. Prenons le cas d'une personne aveugle. Dans la rétine se trouvent des récepteurs qui vont transformer la lumière en activité électrique, transférée ensuite via le nerf optique dans le cerveau. L'idée est d'utiliser une caméra vidéo intégrée à des lunettes pour enregistrer l'image, la coder, la récupérer sous la forme de signaux électriques qui sont alors transmis à un réseau de microélectrodes implantées sur la rétine et les terminaisons nerveuses de celle-ci vont les envoyer au cerveau par l'intermédiaire du nerf optique. Un tel dispositif, permettant à la personne aveugle de « voir », a été agréé aux États-Unis et en Europe. En France, c'est le professeur José-Alain Sahel, à l'Institut de la vision, qui coordonne les travaux de recherche. Quelques dizaines de personnes sont opérées. En l'état actuel, le dispositif repose sur soixante-quatre électrodes, ce qui produit une image de soixante-quatre points, encore loin de la haute définition. Deux cents électrodes, c'est pour bientôt, l'objectif déclaré étant d'atteindre les deux mille. Cela étant, la même question que pour le bras prosthétique se pose : comment se comportera, à long terme, un nerf stimulé par des électrodes posées dessus ou dedans ?

Une autre application mérite d'être évoquée ; elle concerne la récupération de la marche. Prenons le cas d'un singe qui a perdu la faculté de marcher après avoir subi une hémisection de la moelle ; il est paralysé de la patte arrière. En aval de la coupure, là où subsistent encore des circuits neuronaux capables de faire marcher une patte à condition de recevoir une instruction du cerveau, est posé un stimulateur. Ce dernier va recevoir, par télétransmission, des signaux émis par un dispositif utilisant des électrodes implantées dans le cerveau et va pouvoir transmettre des indications à la colonne vertébrale. Huit jours après avoir été opéré, le singe marche normalement, et ce sans rééducation.

Tous ces exemples montrent l'éventail de possibilités offertes, des greffes de moelle épinière jusqu'à l'interface cerveau-machine.

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