Le Conseil d'État avait consacré son étude de 2011, intitulée « Consulter autrement, participer effectivement », à la participation et à la consultation du public. À quoi sert cette participation ? J'y vois deux objectifs assez différents, même s'ils paraissent se conforter l'un l'autre. Le premier, abondamment évoqué lors de vos précédentes auditions, consiste à pallier les défauts de la démocratie représentative ou à la soutenir. Le deuxième est d'avoir recours à la participation du public pour garantir une meilleure qualité du droit. Ces deux objectifs complémentaires peuvent aboutir à des résultats différents. Je m'attacherai au deuxième, que nous avons traité dans notre étude de 2015 sur l'action économique des personnes publiques et dans notre étude de 2016 sur la simplification et la qualité du droit.
Le Conseil d'État s'est convaincu, au fil de ses travaux de conseil de l'auteur de la norme, que la participation du public, mais pas à n'importe quel moment ni avec n'importe quel moyen, pouvait concourir à la qualité de la norme et de la décision publique. Parmi les mesures que nous avons recommandées à cet égard, figure la consultation des destinataires de la norme, et non pas de l'ensemble du public.
Dans une précédente étude, nous avions recommandé de réaliser des études d'impact préalables, ce qui a conduit à la réforme constitutionnelle de 2008. Les résultats sont toutefois peu satisfaisants : ils ne correspondent pas, en tout état de cause, à ceux que nous attendions. La première difficulté tient au moment auquel on procède aux études d'impact : livrées très tardivement au Conseil d'État, elles ne servent la plupart du temps qu'à justifier la réforme déjà décidée. La deuxième difficulté vient de l'absence de contrôle externe sur la qualité de l'étude d'impact, faite par l'administration qui prépare la norme. Troisième motif d'inquiétude : l'absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l'exception notable des collectivités territoriales, grâce au conseil national d'évaluation des normes, organe issu d'une initiative parlementaire et non gouvernementale. Enfin, le champ de l'étude d'impact est insuffisant, puisque de nombreux textes y échappent.
D'où les remèdes que nous avons préconisés et, d'abord, éviter les contournements, c'est-à-dire élargir le champ des études d'impact au-delà de l'obligation prévue par la Constitution, qui ne concerne, aujourd'hui, que les projets de loi avant leur dépôt au Parlement. Nous considérons qu'il faudrait étendre les études d'impact aux amendements significatifs, notamment lorsqu'ils sont déposés par le gouvernement. Nous recommandons aussi au Parlement de se doter d'une instance d'évaluation de l'impact des amendements parlementaires. Au-delà, nous estimons nécessaire d'étendre les études d'impact aux ordonnances, en sachant que, sur recommandation du Conseil d'État, des évaluations préalables sont faites par le Gouvernement pour les mesures réglementaires, en vertu de circulaires. Nous n'avons pas préconisé de modification de la loi organique du 15 avril 2009 relative aux études d'impact ou de la Constitution, mais recommandé des bonnes pratiques, en comptant sur la bonne volonté de l'exécutif et du législatif.
Ensuite, en reprenant une mesure envisagée lors de la création de l'étude d'impact, nous recommandons de créer une étude d'option (« faut-il une norme nouvelle ? »), distincte de l'étude d'impact proprement dite. Nous préconisons qu'une décision politique soit prise par le Premier ministre, au moment de l'étude d'option, sur la nécessité de recourir à une nouvelle norme.
Nous préconisons également de faire certifier l'étude d'impact par une instance experte, indépendante du Gouvernement, et de publier cette certification. Nous nous sommes penchés en détail sur la composition d'une telle instance : il y a suffisamment d'expertise indépendante au sein des pouvoirs publics pour que ce comité puisse être réuni et statuer dans les meilleurs délais.
Il conviendrait de confronter l'étude d'impact à tous les destinataires de la norme et donc élargir le conseil national d'évaluation des normes aux autres destinataires que les collectivités territoriales. Nous préconisons trois collèges. Outre celui des collectivités territoriales, celui des entreprises, en reprenant le conseil de simplification des entreprises, créé par une décision gouvernementale et consulté de façon facultative, et celui des usagers, dont la composition est la question la plus difficile à régler.
Enfin, le Conseil d'État s'est engagé à tirer des conséquences beaucoup plus sévères d'une étude d'impact insuffisante : il va le faire, voire il l'a déjà fait. Nous avons aussi fait observer qu'une bonne évaluation préalable de la norme reposait sur l'évaluation de l'état du droit : l'évaluation ex ante de la nouvelle norme sera d'autant meilleure que l'évaluation ex post de celle en vigueur aura été faite, discutée, commentée et soumise, elle aussi, aux destinataires de la norme, afin de dresser un diagnostic de son efficacité et de ses résultats, préalablement à la décision de faire évoluer le droit ; et ce diagnostic lui-même doit être soumis à une participation des usagers. Cela permet de répondre à une observation du professeur Marcel Gauchet lors de son audition devant votre mission d'information, selon laquelle il convient de lancer un diagnostic partagé des problèmes avant l'élaboration d'une norme. Je suis tout à fait d'accord et c'est pourquoi nous avons beaucoup insisté sur cette recommandation : il ne faut identifier une solution qu'après avoir diagnostiqué le problème.
C'est aussi pourquoi il faut consulter les usagers, qui utilisent la norme et la subissent, et non pas le public, le citoyen ou l'électeur.
Faut-il généraliser la consultation numérique ouverte ? Je me réfère aux déclarations d'Axelle Lemaire à propos de celle qui a été faite sur la loi « République numérique » du 6 octobre 2016 : c'est un travail considérable, qui mobilise des énergies elles aussi considérables et dont l'efficacité n'a pas été mesurée...