Tous ceux d'entre vous qui ont pu participer à l'un ou l'autre de la douzaine de déplacements que notre délégation a faits dans les territoires peuvent en témoigner : le poids de l'administratif est l'un des premiers blocages que ressentent les entreprises que nous rencontrons, qui se décline en excès de normes, de règlementations, rigidité, instabilité... Le coût de ce fardeau administratif est réel, même s'il n'a pas été précisément évalué. On retiendra l'estimation qu'en a faite l'OCDE en 2010 : les charges administratives représenteraient 3 % du PIB, soit 60 milliards d'euros. Ce poids pèse surtout sur les petites et moyennes entreprises : elles sont moins armées pour suivre les évolutions de la réglementation et pour gérer le risque de ne pas la respecter. Sur ce critère du poids de la réglementation, la France est classée 115ème sur 138 pays par le Forum économique mondial. C'est donc un enjeu de compétitivité et d'attractivité important. De nombreux pays européens l'ont bien compris et s'en sont saisi. On peut se demander si la France a pris la mesure de l'enjeu.
C'est pourquoi vous avez bien voulu nous confier, à Olivier Cadic et moi-même, le soin de vous présenter un rapport sur les moyens d'alléger vraiment le fardeau administratif des entreprises françaises pour améliorer leur compétitivité.
Pour élaborer ce rapport, nous avons effectué l'automne dernier, avec plusieurs d'entre vous, des déplacements en Europe, pour comprendre la démarche de simplification menée par plusieurs de nos voisins. Nous avons ensuite entendu à Paris une vingtaine d'acteurs qui sont au coeur du sujet : les représentants des entreprises d'abord, CCI France, la CGPME (qui s'appelle maintenant la CPME), le MEDEF, l'association nationale des DRH, le Conseil national de l'industrie ; ensuite, les représentants de ceux qui accompagnent les entreprises pour gérer la complexité : les avocats et les experts comptables. Puis nous avons auditionné les institutions chargées de la simplification, à commencer par le secrétaire d'Etat chargé de la réforme de l'Etat et de la simplification, M. Jean-Vincent Placé, la secrétaire générale à la modernisation de l'action publique dont les équipes sont les chevilles ouvrières de la simplification, et la présidente du Conseil de la simplification pour les entreprises (Mme Françoise Holder) qui a été mis en place en 2014. Au sein de l'appareil d'État, qui est entièrement concerné par le sujet de la simplification, nous avons choisi d'entendre les acteurs clés : le Secrétariat général du Gouvernement, par qui passent tous les projets de textes avant leur publication ou leur dépôt sur le bureau des assemblées ; la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie, qui porte le souci de la compétitivité des entreprises ; la mission de simplification des données sociales qui pilote leur dématérialisation progressive avec la généralisation, cette année, de la Déclaration sociale nominative (la DSN) à toutes les entreprises. Enfin, nous avons entendu des acteurs bien placés pour analyser la situation française : notre collègue députée Mme Laure de La Raudière, qui a présidé en 2014 une mission d'information sur la simplification législative, la Cour des comptes, qui réclame aussi de la simplification, notamment en matière de prélèvements versés par les entreprises, France stratégie, qui a succédé au Commissariat au plan et travaille sur une fiscalité plus simple. Et, pour explorer certaines idées, le think tank IFRAP, ainsi qu'un universitaire qui nous avait adressé sa thèse, consacrée à l'obligation d'étude d'impact des projets de loi.
C'est le fruit de ce travail qu'Olivier Cadic et moi-même allons vous présenter aujourd'hui. C'est pour nous un sujet essentiel : économique d'abord, car plus les entreprises se voient imposer des règles, plus elles se sentent sous le joug de l'Administration, plus leur espace de liberté est réduit, ce qui nuit à leur créativité, et directement à leur développement ; c'est aussi un enjeu démocratique et politique. Quel bilan peut-on faire, pour les entreprises, du « choc de simplification » annoncé en mars 2013 par le Président de la République ? Comment transformer ce choc en un processus pérenne, au service de la simplification et de la qualité du droit, au bénéfice des entreprises, premières créatrices de richesse ?
Premier point : la volonté de simplification affichée en haut lieu a-t-elle produit des résultats pour les entreprises françaises ?
Le rapport rappelle d'abord les faits : l'inflation législative, que notre collègue Philippe Bas a même qualifiée récemment de « boursouflure », ne date pas d'hier. Elle va toutefois en s'accélérant ; certains dénoncent même la « formalisation névrotique des procédures ». Si leur nombre évolue peu, les projets de loi augmentent en volume. Et leur examen parlementaire multiplie leur taille par un coefficient qui va aussi croissant : le nombre d'articles des projets de loi double en moyenne à l'issue de la navette ; certains cas sont encore plus frappants. On a tôt fait d'accuser les parlementaires, mais le Gouvernement est comptable du cinquième de cette dérive imputée aux amendements ; on peut penser aussi que si les études d'impact étaient plus approfondies, les parlementaires seraient moins enclins au dépôt de nombre d'amendements. Notre rapport relève aussi que le Gouvernement recourt plus souvent à l'ordonnance qu'au projet de loi, contribuant ainsi directement à l'inflation normative tout en contournant le Parlement. Cette hyperactivité législative nourrit une boursouflure réglementaire et toutes ces normes enchevêtrées créent complexité et insécurité juridique. L'Union des industries chimiques nous a transmis une courbe frappante qui manifeste l'emballement normatif depuis une quinzaine d'années, et encore seulement dans le domaine Hygiène-Santé-Sécurité. Il aurait été intéressant d'avoir la même courbe en matière fiscale ou de droit du travail... Enfin, notre rapport dénonce la tendance française à transposer les directives européennes de manière plus stricte qu'exigé : cela handicape la compétitivité de nos entreprises sans pour autant mieux protéger nos consommateurs et salariés.
Le coût de cet étau réglementaire n'est pas chiffré mais il est réel en termes de compétitivité et d'emplois. Cela fait des années que l'on tente de s'y attaquer, sans succès. En annonçant un « choc de simplification », en mars 2013, le Président de la République a pu faire naître de grands espoirs. Il a assurément donné une impulsion, qu'il a voulu voir incarnée en nommant un secrétaire d'Etat chargé de la réforme de l'Etat et de la simplification ; une nouvelle méthode a aussi été retenue, qui est proche de celle de notre délégation : coproduire la simplification avec les entreprises. C'est ainsi qu'a été créé le Conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par un député et un chef d'entreprise. Notre collègue Mme Bricq en est membre et nous a déjà présenté sa façon de faire travailler entreprises et administrations par ateliers thématiques, autour des moments de la vie d'une entreprise : embaucher, construire etc... Ce conseil a annoncé chaque semestre des trains de mesures de simplification. Si bien que le Gouvernement se félicite aujourd'hui d'avoir initié 463 mesures de simplification pour les entreprises.
Mais l'élan initial s'est rapidement essoufflé : le 10 juin 2015, lors de son intervention au Sénat à l'occasion du débat initié par notre Délégation, M. Thierry Mandon insistait sur la nécessité d'outils d'évaluation indépendants et annonçait, pour le 1er juillet 2015, la mise en place d'un comité permettant d'expertiser les études d'impact que produit le Gouvernement, à l'appui des projets de loi. Ce comité n'a pas vu le jour, seul un atelier a été créé au sein du Conseil de la simplification pour donner son avis sur les projets de textes. Il l'a fait quatre fois, sans grand écho. Et M. Thierry Mandon a par ailleurs changé de portefeuille, une semaine après sa venue au Sénat.
Finalement, quel est le bilan pour les entreprises de 4 ans de « choc de simplification » ?
Notre rapport relève le caractère très hétérogène des mesures annoncées qui sont d'importance variable. Il tente une classification de ces mesures en grandes catégories : les mesures « anti-Kafka », qui suppriment des formalités impossibles ou absurdes, les mesures anecdotiques -certaines sont amusantes (par exemple, le remplacement de l'habilitation des personnes amenées à identifier les équidés et camélidés -chevaux, ânes, zèbres, dromadaires, chameaux et lamas- par une déclaration avec inscription sur une liste)-, les symboliques comme la suppression du fichage des échecs entrepreneuriaux à la Banque de France, les mesures « sans papiers » qui dématérialisent sans toujours simplifier, les sécurisantes qui ne simplifient pas vraiment mais apportent un peu de certitude, les mesures en trompe-l'oeil qui permettent aux entreprises de mieux s'accommoder de la complexité ou qui cachent la complexité derrière une façade de simplicité -comme le bulletin de paie apparemment simplifié-, les mesures usurpées comme celles qui reviennent sur une complexité introduite par le Gouvernement lui-même, par exemple concernant les conditions de travail des apprentis, ou enfin les mesures à effet boomerang, comme l'introduction du principe « Silence de l'administration Vaut Accord » une mesure qu'on serait tenté de saluer, mais qui a été assortie de tellement d'exceptions que la simplification apportée est loin d'être évidente. Toute cette palette de mesures dessine un tableau que l'on peut qualifier de pointilliste de la politique de simplification menée depuis 2012 ; cette politique n'arrive pas à convaincre, prise entre effets d'annonce et difficultés de mise en oeuvre.
A la veille de l'annonce du dernier train de mesures de simplification fin octobre 2016, le Gouvernement évaluait à seulement 62 % la part des mesures devenues effectives parmi les 415 alors annoncées. Il est certain que la mise en oeuvre des mesures annoncées requiert beaucoup d'énergie et prend du temps ; elle rencontre aussi, comme tout changement, de multiples résistances, venant de tous ceux qui vivent de la complexité, aussi bien à l'intérieur de l'administration qu'en dehors. Sur certaines mesures abandonnées, la volonté politique du Gouvernement de simplifier est aussi clairement prise en défaut.
Dans ce contexte, il est donc difficile pour les entreprises de ressentir un allègement de leur fardeau administratif. Le baromètre de la complexité publié par le SGMAP en juillet 2015 témoigne même d'un sentiment de complexité accrue chez les entreprises par rapport à 2013, date du lancement du choc de simplification.
Le Gouvernement affiche pourtant un bilan largement positif de ce choc. Il a confié à un cabinet extérieur, EY, le soin de le chiffrer : EY l'a fait sur la base des études d'impact du Gouvernement, et estime le gain pour les entreprises à 5,3 milliards d'euros annuellement. Les trois quarts de ce gain sont imputables à une seule mesure de simplification : la Déclaration sociale nominative (DSN), dont nous pouvons relever qu'elle a été lancée en 2011... En tout état de cause, ce chiffrage reste invérifiable. En effet, pour estimer le gain tiré de la suppression d'une obligation ou de l'assouplissement d'une réglementation, il serait nécessaire d'en avoir estimé le coût auparavant. Or aucun travail d'audit préliminaire n'a été effectué par le Gouvernement.
Surtout, le gain affiché de 5,3 milliards d'euros par an ne tient pas en compte le coût des charges créées parallèlement, par l'adoption de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires. Les entreprises que nous rencontrons ne ressentent peut-être pas le « choc de simplification », mais elles ressentent assurément un « choc de réglementation » : compte pénibilité, compte personnel formation, prélèvement de l'impôt à la source... Le solde net est sans aucun doute négatif pour les entreprises.
Nous nous sommes donc interrogés sur notre incapacité à réussir la simplification en France. En nous déplaçant aux Pays-Bas, en Suède et en Allemagne, nous avons pu mesurer le gain chiffré que les entreprises y retiraient de la simplification de la bureaucratie. C'est considérable, je rappelle juste le chiffre pour l'Allemagne qui est la plus proche de nous : 14 milliards d'euros d'économie dégagés en Allemagne en 4 ans. A Bruxelles, nous avons aussi constaté que le flux de textes nouveaux a objectivement ralenti, sous l'impulsion du président Juncker. Je ne reviendrai pas ici en détail sur chacun de ces déplacements, nous avons eu l'occasion d'échanger en délégation au retour de chacun d'eux. Mais voici les grands enseignements que nous pouvons en tirer :
- la politique de simplification y est menée prioritairement au bénéfice des entreprises ;
- elle repose sur un chiffrage initial de la charge selon une méthodologie rigoureuse, la fixation d'objectifs et d'indicateurs et un suivi régulier ;
- elle implique tous les ministères en réseau et fonctionne par une forme d'émulation entre eux ;
- en plus de l'élagage du stock de règles, elle régule le flux de nouvelles normes et prévoit parfois de lier ces deux opérations par la mise en oeuvre d'une règle de compensation (type « 1 in, 1 out ») ;
- elle s'appuie pour réguler le flux de nouvelles normes sur une évaluation ex ante, très en amont, de leur impact, pour objectiver la décision politique ;
- une contre-expertise des études d'impact produites par le Gouvernement est réalisée de manière indépendante et publique, avec l'appui éventuel de l'Institut national de statistique ;
- une évaluation ex post de la loi est programmée et destinée à nourrir les évaluations ex ante. Je laisse maintenant Olivier Cadic analyser la situation française au regard de ce que nous avons vu à l'étranger et vous présenter nos propositions.