Intervention de Olivier Cadic

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 9 février 2017 à 8h45
Examen du rapport d'information de mme élisabeth lamure et m. olivier cadic relatif aux moyens d'alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

Merci, Madame la Présidente. Je voudrais, mes chers collègues, comparer la simplification comme nous la menons et comme la mènent nos voisins européens. Puis en tirer une proposition de démarche qualité que je détaillerai après en quatre points:

- la vision : penser la simplification comme un processus qualité au bénéfice de la compétitivité ;

- le point de départ : simplifier le stock de règles en comparant leur efficacité avec les Etats voisins ;

- la mission : rapprocher la culture politico-administrative des besoins des entreprises

- et enfin le comment : mieux légiférer pour freiner le flux de textes.

Dans les pays que nous avons visités avec la délégation comme l'a rappelé la présidente, la simplification est un processus méthodique ; chez nous, c'est plutôt un mirage politique. Notre approche a le mérite d'être pragmatique puisqu'elle se concentre d'abord sur ce qui irrite les entreprises ; elle est aussi servie par des acteurs très dynamiques, nous les avons rencontrés. Mais le portage politique de la démarche n'est pas suffisant pour changer la donne pour les entreprises. D'abord, il a été discontinu : en trois ans, trois ministres se sont déjà succédé, les coprésidents du Conseil de la simplification ont aussi changé. Et la simplification, qui améliore la compétitivité de manière transversale, n'a toujours pas la légitimité des politiques sectorielles menées par chaque ministère. Chacun d'eux continue à élaborer des normes en silos et à en rajouter aux règles européennes. Bref, les acteurs de la simplification vident la baignoire normative à la petite cuillère, et le robinet qui remplit cette baignoire coule encore à flots.

Bien sûr, depuis la révision constitutionnelle et la loi organique de 2009, une étude d'impact doit être présentée en accompagnement de tout projet de loi. Pareil pour tout nouveau texte réglementaire, en vertu d'une circulaire du Premier Ministre. On peut donc considérer acquis le principe de l'étude d'impact. Mais n'oublions pas que les ordonnances, les propositions de loi et les amendements y échappent encore. Avec le recul, nous constatons que l'exercice reste trop formel pour être utile : ces études sont réalisées in extremis et de qualité inégale, quand elles ne sont pas de simples justifications du texte a posteriori. Le Parlement ne s'en est donc pas emparé. Et le contrôle exercé sur ces études d'impact par le Conseil constitutionnel, le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil d'État n'a pas permis d'en améliorer la qualité. Si bien que notre pays continue à légiférer pour un oui, pour un non.

Quant aux évaluations ex post, seul moyen d'apprécier l'efficacité d'une politique publique, elles sont loin d'être systématiques. Et quelle peut être leur rigueur quand les études d'impact préalables manquent de sérieux ? Même si tout n'est évidemment pas chiffrable, il n'y a que la comparaison dans le temps et dans l'espace qui permet de mesurer l'écart produit par une réglementation publique.

Dans ce contexte, les affichages les plus substantiels du Gouvernement prennent la forme de mirages : suppression d'une norme pour toute norme créée, lutte contre la surtransposition des textes européens, généralisation des « tests PME », alors qu'ils n'ont en fait été que quatre fois mis en oeuvre...

Pour s'attaquer à la simplification, la France traite le symptôme plutôt que le mal, les conséquences plutôt que les causes systémiques. Nous ressentons tous que nous devons assumer notre responsabilité collective. L'heure est venue de nous interroger sur nos méthodes, sans quoi le fardeau administratif des entreprises ne pourra pas être allégé. Nous proposons donc une démarche en 4 points.

Premier point, la Vision : Penser la simplification comme un processus qualité au bénéfice de la compétitivité. Cela signifie :

- faire de la simplification un objectif prioritaire de la politique publique en respectant une démarche qualité rigoureuse du droit ;

- conserver au Premier Ministre le rôle de pilote de la simplification des normes (en donnant la priorité aux entreprises) et structurer un réseau dédié dans les ministères ;

- commencer par mesurer le fardeau réglementaire des entreprises pour avoir un référentiel fiable et partagé et pouvoir se comparer : ce chiffrage serait estimé à 3 millions d'euros ;

- se fixer des objectifs en termes de réduction nette des coûts pour les entreprises, établir des indicateurs et des processus de suivi ;

- établir un plan de mandat avec des réformes globales au service d'objectifs définis et stabiliser ensuite les normes, quitte à s'interdire de les modifier plus d'une fois par législature ;

- faire de l'étude d'impact un outil de qualité de la norme et, pour cela, confier l'évaluation des indicateurs qualité à un organe indépendant ;

- introduire dans chaque nouvelle loi une clause de révision, ce qui oblige à l'évaluer au bout d'un certain délai, ou une clause de caducité qui l'empêche de perdurer sans évaluation de ses effets...

Bref, engager un cercle vertueux : préparer/ exécuter/ contrôler/ ajuster, comme le nécessite tout processus d'amélioration continue. C'est le principe de la roue de Deming, bien connue des entreprises.

Deuxièmement, comment savoir où on va et comment y aller si on ne sait pas où on se trouve ? C'est pourquoi le point de départ de la démarche est de réexaminer le stock de normes pour l'alléger à la lumière des expériences passées et européennes.

- recenser et abroger systématiquement les dispositions remplacées par de nouvelles et refondre certains codes, pas nécessairement à droit constant, ce qui implique de renforcer les moyens de la Commission de codification ;

- poursuivre le travail en ateliers mixtes administration/entreprises pour revoir le stock de règles et réinterroger les couches de complexité accumulées ;

- surtout, articuler ce travail de simplification des normes en France avec le niveau européen pour identifier les surtranspositions et comparer la performance de notre réglementation avec celle des autres pays européens au regard des résultats obtenus par rapport aux objectifs visés (par exemple, la santé au travail ou la sécurité industrielle).

Troisièmement, ensuite, dans quel cadre agir ? La mission qui cadre la démarche est de rapprocher la culture politico-administrative des besoins des entreprises, c'est-à-dire :

- passer d'un système où tout est interdit sauf ce qui est autorisé à un système où tout est autorisé sauf ce qui est interdit ;

- donner plus de liberté et de responsabilité à l'entreprise : privilégier une réglementation par objectif et non par moyen, encourager les normes volontaires plutôt qu'obligatoires, préférer la sanction a posteriori au contrôle a priori ;

- faire gérer par l'administration sa propre complexité plutôt que la reporter sur l'entreprise, par exemple via des guichets uniques;

- mieux accompagner les entreprises et sécuriser leur environnement juridique, grâce au certificat de projet, au rescrit, à un encadrement des contrôles qu'elles subissent ;

- mieux articuler notre réglementation avec l'Union européenne pour éviter de disqualifier les entreprises françaises.

Quatrième point : pour parvenir à ce changement, nous devons mieux légiférer, seul moyen de maîtriser le flux qui noie les entreprises. C'est le « Comment faire ? » :

- avant de décider de faire appel à la loi, se poser la question de l'utilité de la mesure envisagée et faciliter les expérimentations ;

- en finir avec la « production législative en tour d'ivoire » au sein de chaque ministère grâce à un meilleur pilotage transversal;

- systématiser les consultations ouvertes en amont -pour améliorer la légitimité et l'effectivité de la loi;

- associer le Parlement à la préparation du texte pour éviter la multiplication d'amendements parlementaires ensuite ;

- enrichir les études d'impact : y analyser les diverses options (prendre un texte ou non, si oui de quel niveau), les appuyer sur des enseignements tirés des expériences passées ou étrangères, les nourrir des résultats des tests PME rendus obligatoires et publiés, préciser la méthode de calcul des charges administratives créées ou supprimées, estimer l'impact sur le volume des textes en vigueur, évaluer l'impact des surtranspositions identifiées à part, intégrer les critères d'évaluation ex post pour prévoir la collecte des données nécessaires au regard des objectifs visés, évaluer l'effet de la date d'entrée en vigueur sur les situations en cours ;

- soumettre aussi à étude d'impact les projets d'ordonnances et les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour ;

- assurer une contre-expertise des études d'impact gouvernementales par un organe indépendant : le Conseil d'État pourrait naturellement assumer cette fonction, puisqu'il contrôle déjà la qualité des études d'impact, mais sous l'angle juridique ; il faudrait alors le doter de compétences économiques qu'il n'a pas aujourd'hui ; l'autre solution serait de transformer le Conseil de la simplification qui abrite déjà un Atelier impact entreprises. Sa composition devrait être revue pour être resserrée autour d'une dizaine de membres, experts et personnalités qualifiées issues de la société civile, capables de conduire les ministres à améliorer la qualité des études d'impact; comme son homologue allemand, il s'appuierait sur une petite équipe administrative dédiée, de 12 à 15 hauts fonctionnaires, statisticiens ou économistes pour apprécier la qualité scientifique des études d'impact ; cet organe rendrait des avis consultatifs mais publics sur les études d'impact. Il serait aussi chargé d'évaluer, pour la France, la qualité des études d'impact de la Commission européenne afin d'appuyer la position française dans la négociation des textes européens; il aurait aussi la responsabilité de former les fonctionnaires à l'évaluation ex ante. Sa durée de vie serait limitée afin de réexaminer régulièrement sa pertinence ;

- concernant l'examen d'un projet de loi au Parlement : il faudrait saisir l'occasion de la prochaine législature pour envisager d'aller plus loin dans sa réforme. Par exemple:

 · promouvoir un nouveau regard sur l'activité des parlementaires, qui ne se réduise pas à leur classement en fonction de la quantité de textes ou d'amendements déposés, et sur le bicamérisme, comme facteur de qualité de la loi ;

 · débuter l'examen du texte au Parlement par un débat « politique » d'orientation préalable sur l'étude d'impact et les critères d'évaluation, avant l'examen des articles en commission, débat qui viendrait en remplacement de la discussion générale ;

 · réexaminer les modalités d'exercice du droit d'amendement, vu le gonflement des textes au cours de la navette: sous l'impulsion de son Président, le Sénat a d'ores et déjà renforcé le contrôle des irrecevabilités de nature constitutionnelle au titre des articles 41 et 45 ; voici quelques pistes supplémentaires qu'il faudrait construire en associant les commissions permanentes : réfléchir à l'opportunité de soumettre le Gouvernement à un délai-limite pour le dépôt d'amendement, afin d'écarter l'ajout de dispositions substantielles in extremis ; pour éviter que le Gouvernement n'utilise son droit d'amendement pour échapper aux obligations d'étude d'impact, permettre à un parlementaire de constater cette forme de détournement de procédure ; envisager d'aménager l'article 40 de la Constitution, afin qu'il ne soit pas opposable à un amendement assorti d'une évaluation de son impact financier ;

- après la lecture parlementaire, prévoir l'obligation pour le Gouvernement d'actualiser l'étude impact du PJL sur le texte adopté en première lecture dans chaque chambre, car les contraintes de la procédure législative rendent irréaliste l'exigence d'études d'impact sur les amendements ;

- donner plus de temps et de moyens parlementaires à l'évaluation : recruter des profils d'économistes et de statisticiens capables de s'appuyer sur l'expertise d'un réseau d'universitaires pour contrôler les études d'impact et l'avis du Conseil de la simplification pour les entreprises ; cela pourrait aussi permettre d'évaluer l'impact des propositions de loi à l'ordre du jour ;

- prévoir un délai minimal pour l'entrée en vigueur des lois, notamment fiscales ; et éviter la rétroactivité ;

- examiner s'il est faisable et opportun de créer un droit, pour le président de chaque assemblée ou 60 parlementaires, de saisir le Conseil d'État (en référé) sur le défaut de proportionnalité d'une réglementation d'application au regard de la loi : ceci pour éviter que les décrets pris en application d'une loi n'en viennent à la dénaturer (je pense à l'exemple de la pénibilité) ;

- systématiser les évaluations ex post approfondies des lois par le Parlement, avec l'appui de la Cour des comptes, et programmer du temps dédié en commission pour l'examen de ces évaluations ;

- transmettre ces études ex post au Gouvernement et au Conseil de la simplification pour les entreprises, pour nourrir les études d'impact.

En conclusion, notre arsenal de propositions est conséquent. Il s'agit de revoir en profondeur nos façons de faire, au bénéfice de la compétitivité des entreprises : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent », aurait dit Albert Einstein. La délégation aux entreprises propose une autre façon de faire de la politique.

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