Intervention de Jaroslaw Obremski

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 mars 2017 à 15h00
Institutions européennes — Échange avec une délégation de la commission des affaires étrangères et des affaires de l'union européenne du sénat polonais

Jaroslaw Obremski :

Notre analyse rejoint la vôtre. Nous pensons que seul un dialogue commun permettra de répondre aux défis qui se posent à l'Union.

Je voudrais me livrer à un petit exercice quelque peu provocateur et caricatural, en décrivant la façon dont la France voit le peuple polonais et la façon dont la Pologne voit vos concitoyens.

Pour vous, les Polonais sont homophobes, refusent d'accueillir les réfugiés - même si nous en avons accueilli et bien que nous ayons nous-même été des réfugiés au cours de notre histoire. Les Polonais sont maladivement pro-Américains, génétiquement anti-Russes, et ils prennent le travail des Français. En outre, le Gouvernement polonais ne répond pas aux attentes de Bruxelles. Ces stéréotypes véhiculés par une certaine presse française nous font rire, mais nous rendent également tristes.

J'en viens à la façon dont la France est perçue en Pologne. Notre pays connaît mieux la Russie, l'Allemagne et la Turquie que la France. Nous avons le sentiment que votre pays n'est pas réconcilié avec son histoire, notamment qu'il n'a pas fait le deuil de son empire. Vous avez de grands artistes, de grands écrivains, mais vous êtes complexés par la supériorité de Hollywood. Vous nous reprochez de ne pas apprendre le français. Les grands distributeurs français s'installent en Pologne pour des raisons fiscales. La France est perçue comme paternaliste, avec le fameux « Taisez-vous » lancé par Jacques Chirac il y a quinze ans. Pour lutter contre le terrorisme, vous préférez les marches et les fleurs plutôt que de vous attaquer concrètement au problème. Vous voulez imposer votre protection sociale bien trop développée au reste de l'Europe, alors qu'elle est à l'origine de la perte de compétitivité de votre économie. Vous êtes contre les Américains et pour les Russes, alors que les 70 ans de paix en Europe sont dus à l'OTAN. Enfin, la France nous apparaît comme opposée aux religions.

D'un autre côté, nous avons un grand respect pour la France, nous honorons la mémoire de Charles de Gaulle, nous apprécions les relations avec votre pays et nous vous remercions pour nous avoir soutenus dans des moments difficiles. D'ailleurs, notre hymne national fait référence à Bonaparte. Enfin, nous apprécions votre approche de l'écologie, même si nous avons du mal à comprendre votre engouement pour le nucléaire, surtout après Fukushima.

L'Union traverse une grave crise et Bruxelles manque de légitimité démocratique. Elle est souvent perçue comme trop paternaliste. Je ne parle même pas de la bureaucratie qui ne parvient pas à résoudre les problèmes qu'elle a elle-même créé, qui soutient systématiquement les plus forts et qui se soumet à la pression des lobbies. En outre, la croissance économique promise n'est pas au rendez-vous. L'idée européenne a été abîmée en 2008 : le référendum a tranché, et l'Europe a déclaré qu'il n'était pas valable et que le peuple s'était trompé. Nous n'en pouvons plus de ces diktats qui perdurent depuis des années.

Pendant longtemps, on a parlé de moteur franco-allemand, mais ce moteur s'est arrêté, du fait de l'asymétrie grandissante entre vos deux États. Nous sommes donc confrontés à un problème interne dans l'Union et les gouvernements ne peuvent pas modifier la politique actuelle menée par Bruxelles. La question n'est donc pas celle de l'harmonisation de l'Union mais plutôt jusqu'où peut aller l'harmonisation avant que l'Europe ne perde son sens. Nous évoquons souvent les valeurs européennes mais n'oublions pas les grandes différences entre, par exemple, l'Espagne, la Grèce et la Suède. En Pologne, plus de 80 % de la population est favorable à l'Union mais 80 % de cette même population estime qu'elle doit être réformée en profondeur. L'Union doit ralentir et récupérer ceux qu'elle a perdus en route. Le Brexit et le populisme sont les symptômes de la maladie, mais pas la maladie elle-même. Une partie des pays membre a peur de voir les États nations disparaître. La révolution des moeurs n'a-t-elle pas été trop rapide ? Le rôle du Parlement européen est important, mais n'oublions pas celui des Parlements nationaux.

Il n'est pas nécessaire d'utiliser systématiquement le carton jaune pour dénoncer les manquements au principe de subsidiarité mais l'Europe doit respecter les citoyens. Nous pouvons également avoir recours aux cartons rouges et verts.

Certes, l'Europe à plusieurs vitesses existe, mais ce processus est très dangereux. Relisez le livre de l'ancien ministre de l'économie grec qui parle de néo-colonialisme. Voyez la peur des plus faibles !

L'Europe des 27 va accoucher de nouveaux blocs et nous avons le sentiment que la France essaye de casser celui qui la lie à l'Allemagne. En se rapprochant de l'Italie et de l'Espagne, la France ne cherche-t-elle pas à apparaître comme la pièce maîtresse des pays du sud ? Jusqu'à présent, le format Weimar s'impose, mais le Brexit ne va-t-il pas modifier la donne ?

Enfin, certains pays, qui nous semblaient au bout du monde, sont en fait beaucoup plus proches de nous et posent des problèmes à l'Europe. Ainsi en est-il du Mali et du Sénégal.

Chimiste de formation, j'aime à citer Marie Curie : la chimie et la vie politique sont des sciences expérimentales ; quand une expérience échoue, on ne la répète pas sans fin, on la reprend en modifiant les paramètres. Je vous propose de redécouvrir le polonium : il faut plus de coopération entre la France et la Pologne.

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