Je tiens, tout d'abord, à vous remercier d'avoir demandé à l'IRSN de présenter ses travaux devant l'Office parlementaire aujourd'hui. Compte tenu du caractère très technique du sujet, ma présentation sera appuyée par des transparents. Elle visera à présenter les anomalies en question, leur importance pour la sûreté et l'état d'avancement des expertises menées sur celles-ci.
Le sujet porte sur la cuve du réacteur de Flamanville 3 et quarante-six générateurs de vapeur, équipant dix-huit réacteurs du parc en exploitation. Ce sont de gros équipements chaudronnés qui font partie de la deuxième barrière de confinement, deuxième barrière qui contient l'ensemble du circuit primaire sous pression. Ces équipements sont conçus selon une démarche d'exclusion de rupture, ce qui signifie que leur défaillance n'est pas postulée dans la démonstration de sûreté. De ce fait, des exigences conséquentes sont imposées, en termes de conception, de fabrication et de suivi en service, notamment une exigence très importante concernant la qualité de fabrication, dans la mesure où le constructeur doit utiliser des techniques éprouvées, permettant d'obtenir une excellente qualité intrinsèque du matériau, accompagnées de contrôles permettant de garantir l'absence de défaut dans le matériau qui sera utilisé pour fabriquer les pièces chaudronnées.
Je vais être assez rapide sur la description des défauts qui viennent d'être présentés : c'est le fait d'avoir une teneur en carbone localement excessive, par rapport à la valeur cible recherchée, dans certaines parties de ces grosses pièces chaudronnées. Cette valeur en excès a été attribuée à la technique de forgeage. Dans la mesure où on a à faire à de gros composants, un lingot plein de fort tonnage, pouvant atteindre jusqu'à cent soixante tonnes, a été utilisé. Dans les opérations de refroidissement, lorsque le lingot est produit, il y a migration du carbone dans la phase liquide. La partie qui se solidifie en dernier est la plus chargée en carbone. Ce type de lingot conduit à de telles ségrégations. Les forgerons, dans les opérations de réalisation, ont pour pratique de chuter une partie supérieure, pour diminuer cet excès en carbone en tête de lingot.
Quel est, en pratique, l'impact d'un excès de carbone dans l'acier ? Cela conduit à une altération des propriétés mécaniques du matériau, avec une diminution de sa ténacité, laquelle correspond à la résistance à la propagation de fissures. Les fissures, si elles se propagent, peuvent conduire à la rupture de l'élément concerné. Les questions qui se posent à ce sujet sont les suivantes. Premièrement, quelle est l'aptitude au maintien en service des équipements ? Deuxièmement, quelle est la teneur en carbone localement dans l'acier, surtout l'extension de cette teneur en surface et dans l'épaisseur de la pièce ? C'est une donnée importante à connaître. Pour la cuve du réacteur EPR, ces ségrégations sont placées en partie centrale en fond de calotte de cuve et en partie supérieure en partie centrale de couvercle ; pour les générateurs de vapeur, en partie basse et en partie centrale.
Ces anomalies mettent en cause la qualité de fabrication et sont importantes pour la sûreté, puisqu'elles concernent des équipements qui font partie de la seconde barrière de confinement. Il est clair que pour se positionner sur leur acceptabilité, il faut avoir une vision de leur comportement, en tenant compte des caractéristiques réelles du matériau, là où il y a une ségrégation de carbone, et également des sollicitations les plus sévères qui peuvent affecter le matériau dans ces zones ségrégées, l'objectif étant finalement de déterminer quelles sont les marges disponibles.
Quand on s'intéresse à ce qu'est une étude de risque de rupture, on a besoin de trois éléments principaux. Premier élément : quelles sont les sollicitations qui peuvent affecter le matériau à l'endroit où la teneur en carbone est plus élevée ? Cela implique un réexamen des sollicitations que subit l'équipement en fonctionnement normal et accidentel, pour définir quels sont finalement les chocs thermiques, soit un choc chaud : de l'eau chaude sur un acier plus froid, soit l'inverse, un choc froid : de l'eau froide sur un acier plus chaud. L'important est donc de réexaminer quelles sont les sollicitations dans les zones affaiblies. Deuxième élément important, puisqu'on parle de propager des défauts, il faut avoir une vision précise des défauts dans la partie de la pièce avec une teneur en carbone excessive. Dit autrement, c'est l'état de santé de l'équipement. De ce point de vue, l'exploitant dispose de contrôles de fin de fabrication. Par ailleurs, il a été amené à faire des contrôles in situ non destructifs, pour vérifier l'éventuelle présence de défauts. Les conclusions de cet examen permettent de retenir, ou non, dans l'étude de rupture un défaut dit de référence, pour évaluer le risque de rupture. Troisième élément fondamental, le plus important : quelles sont les caractéristiques du matériau présent dans la pièce ? Il est clair que, de ce point de vue, il n'est pas possible de faire une biopsie, c'est-à-dire de prélever un morceau de l'acier pour faire des mesures. Dans ces conditions, il est important d'avoir accès à des mesures sur des pièces sacrificielles représentatives. Dans ce cadre, les études qui ont été menées visent, dans un premier temps, à utiliser des données sur la base d'hypothèses faites sur les matériaux qui doivent être confortées par un ensemble d'essais menés sur pièce sacrificielle. Vous avez vu, notamment pour l'EPR, le nombre d'examens qui doivent être faits sur de telles pièces.
Pour vous donner un exemple de choc thermique chaud, lors de l'arrêt d'un réacteur, sa cuve est refroidie par le système de réfrigération aux alentours de dix degrés, simultanément le fond du générateur de vapeur est également refroidi. Par contre, comme le réacteur vient de s'arrêter, la partie d'échange du générateur qui est en équilibre thermique avec le circuit secondaire reste très chaude, aux environs de cent vingt degrés. En cas d'intempestif, par exemple un démarrage inopiné d'une pompe du circuit primaire, induisant à une mise en mouvement de celui-ci, cela va conduire à une arrivée d'eau très chaude provenant de la partie haute du générateur de vapeur, dans le bol du fond en partie basse, déjà froid. En fait, les évaluations vont viser à rechercher toutes les situations, sur tous les équipements de ce type, pouvant conduire à une contrainte thermique sur le matériau.
J'en viens à l'expertise de l'IRSN et à l'état actuel. Un point important, c'est qu'une dizaine d'experts de l'IRSN sont mobilisés sur le sujet, bien entendu dans le domaine de la mécanique et des matériaux, en matière de contrôle non destructifs, puisqu'on recherche des défauts, et de contrôles en thermo-hydraulique, puisque justement il faut évaluer quelles sont les sollicitations les plus sévères pour la zone concernée par la ségrégation majeure de carbone.
Je ne m'étendrai pas sur le sujet de la calotte de cuve de Flamanville 3, puisque cela a été présenté par EDF et l'ASN. Actuellement, le dossier est en cours de constitution. Il doit arriver à l'horizon de la fin de l'année. Ce sera une charge de travail très importante au premier semestre 2017, pour pouvoir justement examiner l'ensemble du dossier qui s'appuie sur un nombre d'essais très important.
Concernant les fonds des générateurs de vapeur, lorsqu'on observe les résultats des mesures de teneur en carbone surfacique de ces équipements, on voit qu'on a à faire finalement à deux familles. Une première famille pour laquelle la ségrégation de carbone est similaire à celle observée pour la cuve du réacteur de Flamanville 3. C'est le cas des fonds produits par Creusot Forge. Une deuxième famille, pour laquelle la teneur en carbone est plus importante, c'est le cas des fonds produits par le forgeron japonais JCFC.
Si on s'intéresse plus particulièrement à la première famille, les mesures in situ sur les générateurs de vapeur montrent que la ségrégation se situe bien en partie centrale, qu'elle est relativement peu étendue, et globalement du même ordre de grandeur, en termes de teneur en carbone, que celle observée pour la cuve du réacteur de Flamanville 3. Cela a permis d'appliquer la démarche retenue pour ce dernier à l'étude du comportement de ces générateurs de vapeur. Deuxième point important, EDF a effectué des contrôles in situ non destructifs, pour examiner la présence de défaut dans l'acier. À ce stade, les résultats obtenus n'ont pas montré de défaut particulier. Troisième point, comme indiqué tout à l'heure, la sollicitation pénalisante qu'il faut étudier pour faire l'étude du risque de rupture brutale correspond au cas d'un choc chaud sur le fond du générateur de vapeur. L'examen a conduit à examiner notamment les mesures compensatoires en exploitation, proposées par EDF pour limiter les chocs thermiques. Le principe pour des chocs chauds est d'avoir une pièce la moins froide possible. Cela semble simple, mais pas toujours facile à mettre en place en pratique. EDF a proposé des mesures compensatoires qui ont été complétées, suite à l'examen de l'IRSN, pour tenir compte de situations complémentaires examinées. Une de ces mesures particulières consiste à maintenir le circuit primaire du réacteur à une température supérieure à trente degrés. Par ce biais, il est possible de limiter les chocs thermiques chauds, donc les contraintes s'appliquant sur le matériau. De ce point de vue, l'ASN, sur la base de l'expertise, a autorisé la poursuite de l'exploitation des réacteurs, dans l'attente d'un programme complet qui fait appel, comme vous l'avez vu, à des pièces sacrificielles.
Pour le cas des générateurs de vapeur provenant de la production japonaise JCFC, on observe une teneur en carbone nettement plus élevée que celle identifiée pour les fonds précédents et la cuve du réacteur EPR, atteignant zéro virgule quatre pour cent en carbone, et nettement plus étendue. Cela appelle deux commentaires. Le premier porte sur la cause : pourquoi observe-t-on autant de carbone et aussi étendu sur ces fonds japonais ? Le deuxième, son corollaire, porte sur les conséquences : quelles sont les propriétés mécaniques de l'acier ? On comprend bien que si la teneur en carbone en face externe est plus élevée, elle doit l'être également en épaisseur. Donc, premier point, quelles données sont disponibles sur les matériaux ? C'est l'un des points majeurs de l'étude concernant les générateurs de vapeur d'origine JCFC. Un deuxième point qui est, quant à lui, positif, c'est qu'à ce stade, les contrôles effectués n'ont pas montré de défaut sur les générateurs de vapeur concernés. Troisième point, pour l'étude de la rupture brutale, dans la mesure où la teneur en carbone est élevée en face externe, il faut postuler une hypothèse de ségrégation de carbone traversante dans l'épaisseur du matériau, donc enrichir le type de sollicitation qui est à étudier. On voit bien que pour ce type de générateurs de vapeur, en plus des chocs chauds, il faudra étudier les chocs froids susceptibles d'affecter l'équipement. EDF a défini de premières mesures conservatoires, en cours d'instruction. Le dossier vient d'être reçu il y a une quinzaine de jours. Il est en cours de complément. Dans l'état actuel, comme il a été dit, l'ASN a demandé à ce que tous les réacteurs équipés de générateurs de vapeur de ce fabricant soient contrôlés et que leur redémarrage soit soumis à l'accord préalable de l'ASN.
Pour terminer, en matière d'information et d'échanges, l'IRSN participe aux actions mises en place par le Haut comité à la transparence et à l'information en matière de sûreté nucléaire, qui seront présentées par la suite. L'IRSN s'est aussi impliqué très fortement dans le dialogue technique EPR qui s'est mis en place entre l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), le Comité local d'information de Flamanville, l'ASN et l'IRSN, pour échanger sur l'expertise de l'anomalie observée, l'analyse faite et les conclusions, encore en discussion. L'IRSN a également produit une note d'information qui a été récemment mise en ligne sur son site. Enfin, comme le demande la loi, les avis de l'IRSN sont disponibles sur ce même site.