Il n'en demeure pas moins que le trafic maritime va augmenter dans les années qui viennent en Arctique parce qu'il faudra transporter les ressources extraites, parce que des pays misent sur le développement du tourisme maritime, et enfin parce que l'Arctique est avant tout un océan et qu'on y pêche de plus en plus. En effet, les poissons sont à la recherche d'eaux plus froides et remontent vers le pôle, donc la ressource augmente dans les pêcheries du grand nord - la remontée des aiglefins et des cabillauds a ainsi beaucoup profité à l'Islande après la crise de 2009. Mais cette ressource, il faut la préserver, voire la protéger quand c'est nécessaire.
Deux négociations sont importantes pour l'Union européenne, qui est chargée de la politique commune de la pêche. La première concerne la lutte contre la pêche illégale et non réglementée dans les eaux internationales arctiques, c'est-à-dire dans le centre de l'océan, en dehors des zones économiques exclusives des États. L'accord, en cours de discussion, vise à interdire la pêche tant que la recherche scientifique n'aura pas établi l'état exact des stocks. Ce qui est normal vu que jusqu'à présent, l'eau n'était que glace.
Cette négociation est doublement importante : d'une part, c'est la première fois que l'on décide de réglementer l'activité de pêche avant qu'elle ne se développe dans une région du monde. On peut espérer que cela nous évitera toute surpêche ou extinction d'espèce. D'autre part, les États côtiers de l'Arctique acceptent pour la première fois que les règles qui s'y appliquent soient décidées par l'ensemble des pays utilisateurs de l'Arctique et non par eux seuls. C'est un début de régulation internationale de l'activité dans l'Arctique et c'est essentiel pour une région qui entre de plain-pied dans les échanges mondiaux. Il est donc bon que l'Union européenne participe à ces négociations, sous l'oeil attentif de la France, pour qui la pêche est importante.
Notre pays a justement adopté une Feuille de route nationale pour l'Arctique en juin 2016, grâce à Michel Rocard - quelques semaines avant sa disparition. C'est un document très riche, qui énumère les différents intérêts de la France dans la région et qui trace des pistes d'action. C'est un texte un peu fourre-tout, mais il convient de saluer l'important travail interministériel mené pendant plus de deux ans, et il inscrit pleinement l'action de la France dans le cadre européen. À ma connaissance, la France est la seule à le faire. Or si l'on veut que l'Union européenne se dote d'une politique pour l'Arctique, il faut que les États membres non arctiques y aient toute leur place.
J'en arrive à la politique européenne. Je vous avoue ma déception à la lecture du texte de l'exécutif européen. Il est prudent, assez vague et conçu pour ne froisser personne. En guise de politique intégrée, un cadre général énumère tous les moyens d'action européens, certes hiérarchisés selon trois grandes priorités, mais qui n'identifient pas un engagement nouveau de l'Union européenne dans la région. Il n'y a ni simplification, ni rationalisation. Le texte est prudent, presque à l'excès, y compris dans ses constats. Le Parlement européen s'est par exemple étonné que le renforcement de la présence militaire russe dans la région ne soit pas mentionné... Il ne s'agit pas d'en tirer des conclusions hâtives, mais c'est un fait important qui mérite d'être pris en compte.
La seconde grande dominante est l'avantage pris par le développement économique sur la protection de l'environnement, alors que dans cette région si fragile, l'un ne peut aller sans l'autre. Le développement durable, ce n'est pas du développement économique qui dure. Le texte parle même d' « innovation durable »... C'est un glissement regrettable. Dans cette région du monde, les populations locales - les Inuits au Groenland, les Samis dans les pays scandinaves - sont très attachées à la protection de leur environnement et au devenir de leur territoire. L'esprit même de la conférence de Paris sur le climat semble se dissiper. Face à un président américain qui nie le réchauffement climatique et à un président russe qui réfute la responsabilité de l'homme dans celui-ci, l'Union européenne devrait être porteuse d'un message fort et conforme aux engagements pris il y a un peu plus d'un an.
On peut comprendre que la Commission européenne soit réservée à l'idée de présenter un nouveau programme alors que le cadre financier pluriannuel actuel ne le prévoit pas, mais est-ce à dire que l'Union ne va rien proposer d'ici à 2020 ?
Quelques mesures me paraissent aller dans la bonne direction. J'invite par exemple à la création d'une stratégie macro-régionale pour l'Arctique, à l'image de ce qui s'est fait pour les Alpes. Pour faire face au manque de moyens, je propose également que le plan Juncker soit étendu aux pays et territoires d'outre-mer. Cela permettrait notamment à l'Union européenne d'accompagner le développement économique du Groenland et, accessoirement, celui de nos propres territoires ultramarins, comme Saint-Pierre-et-Miquelon - notre collègue Karine Claireaux, que j'ai auditionnée, souligne par exemple que, faute d'investissements, l'espace de pêche de l'île se réduit par rapport à celui du Canada. À l'heure du Brexit enfin, peut-être faut-il renforcer nos liens au sein de l'Espace économique européen avec deux partenaires nordiques : la Norvège et l'Islande. Hier encore, le ministre de l'économie et des finances islandais proposait de rapprocher la couronne islandaise, dont le cours s'effondre, de l'euro ou de la livre britannique, question qui se pose également en Norvège...
Nous comprenons mieux aujourd'hui les transformations de l'Arctique. Compte tenu de l'activité qui s'y développe, l'Union européenne ne peut pas se permettre d'attendre pour agir. Elle s'est dotée d'un cadre d'action : soyons volontaires et agissons !