Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 avril 2017 à 9h30
Politique commerciale — Négociations commerciales avec le mercosur : communication de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

C'est vrai.

L'accord avec le Mercosur a été relancé récemment ; le directeur général du commerce de la Commission européenne, M. Jean-Luc Demarty, estime qu'il pourra aboutir au premier semestre 2018. Le timing est donc parfait pour que nous en parlions aujourd'hui. Depuis 1999, soit dix ans avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l'Union européenne et le Mercosur cherchent à conclure un accord d'association reposant sur le dialogue politique, la coopération pour le développement et le commerce. Ce dernier volet, qui a posé des difficultés durant de longues années, fait l'objet depuis mai dernier d'une volonté de relance politique, tant du côté des autorités politiques des pays du Mercosur - le Brésil et l'Argentine en particulier - que de la Commission européenne et d'une majorité d'États membres.

Il ne s'agit pas d'un accord de libre-échange de nouvelle génération à l'instar du traité transatlantique, du CETA, de l'accord conclu avec la Corée du Sud ou avec le Japon : ni la coopération réglementaire ni les investissements ne sont concernés ; il n'y a donc pas de procédure spécifique de règlement des différends entre investisseurs et États.

Fondé en 1991, le Marché commun du Sud, ou Mercosur, réunit les quatre pays fondateurs - le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay - et le Venezuela, qui les a rejoints mais n'est pas partie à cette négociation. Ce marché représente désormais, avec 295 millions d'habitants, la cinquième entité économique au monde derrière l'Union européenne, les États-Unis, la Chine et le Japon. Il est devenu en quelques années le sixième client de l'Union européenne et celle-ci en est le premier partenaire commercial et le plus gros investisseur étranger. En 2015, leurs échanges se sont élevés à 88 milliards d'euros.

Cette volonté partagée de relancer le projet après quinze années de pause forcée s'explique surtout par le contexte économique : le ralentissement économique chinois impacte les économies du Mercosur, qui souhaitent trouver de nouveaux marchés. Les intentions protectionnistes de M. Trump aux États-Unis incitent les grands ensembles économiques à diversifier leurs échanges. À ce jour, le Mercosur n'a conclu aucun accord commercial un tant soit peu ambitieux avec des concurrents ou partenaires de l'Union européenne.

La Commission européenne comme le Mercosur souhaitent que la négociation avance rapidement. L'Union européenne et la France ont des intérêts offensifs très importants, en particulier dans le secteur industriel, notamment l'automobile et les pièces détachées, l'industrie pharmaceutique, la chimie et, bien sûr, tous les services, comme les services financiers et le BTP. L'accès aux marchés publics, actuellement très protégés par chacun des quatre pays, est aussi un enjeu majeur pour nos entreprises. De même, dans le secteur agro-alimentaire, nous avons des intérêts offensifs sur les produits laitiers, le vin ou les produits transformés à base de céréales. Il y a donc une logique politique, économique et commerciale à ce que l'Union se rapproche de cette entité qui regroupe des économies dynamiques, avec lesquelles l'Union européenne a déjà des liens très forts. Et je ne dis rien des liens historiques privilégiés des États d'Amérique latine avec l'Europe, qui en font quasiment nos frères.

L'ambition de l'accord, dans son volet commercial, est donc en premier lieu de réduire les tarifs douaniers - les exportateurs européens acquittent chaque année 4 milliards d'euros de droits de douane. Il vise aussi à supprimer les obstacles au commerce des services et les barrières non tarifaires, à améliorer l'accès aux marchés publics, à simplifier les procédures douanières, et enfin à sécuriser la propriété intellectuelle.

L'accord suscite toutefois interrogations et inquiétudes. Celles-ci concernent pour l'essentiel nos produits agricoles sensibles : la viande, l'éthanol et, peut-être plus encore dans nos régions ultrapériphériques, c'est-à-dire nos collectivités d'outre-mer, les sucres spéciaux et le rhum.

L'offre de la Commission présentée en mai dernier prévoit des contingents pour plusieurs produits agricoles sensibles, comme le boeuf, l'éthanol, les volailles, le porc, ou encore les céréales. M. Demarty nous l'a bien dit : les négociations conduites par la Commission ont bien pour objet de défendre les intérêts européens. Le chiffre d'un contingent de 78 000 tonnes de boeuf sans OGM - à comparer aux 50 000 tonnes ouvertes pour le Canada - a circulé, mais la France et plusieurs autres États membres ont demandé qu'il ne soit pas mis sur la table à ce stade des négociations. En tout état de cause, la viande latino-américaine ne va pas déferler sur l'Europe...

L'étude d'impact des futurs accords de libre-échange réalisée par la Commission et diffusée le 15 novembre dernier valide le risque d'une forte dégradation du solde commercial qu'engendrerait l'accord avec le Mercosur pour le secteur agricole, en particulier sur les filières bovine et, à un moindre degré, porcine. Cette dégradation serait compensée par les exportations de services ou d'autres produits, pharmaceutiques par exemple.

L'offre de mai 2016 est également déséquilibrée. Le Mercosur a par exemple exclu de la libéralisation 40 % des exportations européennes, contre 20 % du côté de l'Union européenne. Plusieurs de nos intérêts offensifs figurent dans cette exclusion : vins, produits laitiers, blé dur et orge, par exemple.

En matière d'obstacles non tarifaires, le Mercosur, en particulier le Brésil, semble réticent à réduire les règles sanitaires et phytosanitaires pour décourager les exportateurs européens. Au surplus, quelques-uns des pays du Mercosur maintiennent des embargos sur les produits européens liés à la grippe aviaire, comme le Brésil, et sur le boeuf après l'épidémie d'ESB - c'est le cas de l'Uruguay. Les questions vétérinaires ou sanitaires sont de redoutables instruments de politique commerciale.

La question de la traçabilité est aussi très importante. En témoigne le scandale de la viande brésilienne avariée, qui a conduit à la suspension des quatre opérateurs brésiliens et à une suspension des importations dans l'Union européenne. Enfin, le Mercosur semble à ce jour réticent à faire évoluer sa position sur les questions d'indications géographiques.

La France, aux côtés de plusieurs autres États membres, entend influer sur la position que prendra la Commission européenne. Celle-ci doit ajuster son offre en vue du prochain tour de négociations prévu pour juillet prochain, qui succédera à celui qui s'est tenu le 20 mars dernier à Buenos Aires. Le texte devra par exemple prévoir des contingents réduits sur les produits sensibles, établir des périodes d'étalement suffisamment longues pour certains désarmements tarifaires, et prévoir des clauses de sauvegarde précises et efficaces. Il devra aussi comporter un chapitre « développement durable » afin d'engager les pays du Mercosur à renforcer leurs législations et leurs pratiques sociales et environnementales.

En réponse à votre sollicitation, je dirai quelques mots sur le premier bilan de l'accord déjà ancien, mais de nouvelle génération, conclu avec la Corée et qui, avec un recul de six années, est de nature à relativiser certaines inquiétudes.

La Corée du Sud figure désormais parmi les dix principaux marchés d'exportation de l'Union européenne. Outre les exportations traditionnelles de machines, d'équipements de transport et de produits chimiques, l'accord a ouvert de nouvelles perspectives d'exportation à de nombreuses petites entreprises européennes dans des secteurs aussi variés que l'industrie alimentaire et des boissons, la céramique, l'emballage ou les équipements sportifs. Le déficit commercial que l'Union européenne a enregistré par le passé avec la Corée du Sud s'est transformé en excédent commercial.

Les exportations de produits européens, auparavant soumises à des droits de douane particulièrement élevés - certains produits agricoles par exemple -, bénéficient à présent de droits réduits, et elles ont augmenté de plus de 70 %. Les ventes de voitures européennes en Corée du Sud ont, elles, triplé en cinq ans. En outre, les entreprises de l'Union européenne ont augmenté de 11 % la valeur de leurs prestations de services en Corée du Sud et les investissements bilatéraux ont progressé de 35 %.

L'enjeu de cet accord porte plus largement sur la place de l'Union européenne dans un monde où les tentations protectionnistes des États-Unis vont conduire d'autres acteurs économiques majeurs - la Chine, l'Inde, le Mercosur, le Japon - à multiplier les accords de commerce bilatéraux. Malgré les difficultés rencontrées lors du TTIP et plus récemment du CETA, j'ai la conviction, partagée je crois par plusieurs d'entre nous, que l'Union doit continuer à miser sur le commerce pour stimuler croissance et emplois, donc à négocier des accords ambitieux qui, pour être conclus et ratifiés, supposent des concessions équilibrées de part et d'autre.

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